Pendant longtemps, je n’ai pas voyagé. Je n’avais pas le désir de le faire. Bien sûr, ce n’est pas la seule manière de sortir de chez soi, de sortir de soi, mais elle est une chance incomparable – une promesse.
Celle de la géographie qui lie les qualités d’un espace et des événements métrologiques au corps – et tout commence par le corps dont les petites habitudes, dès le lever, se trouvent ébouriffées.
On s’ajuste à la configuration des maisons et des salles de bains, au goût du café, à la largeur des trottoirs, au dentelé de la côte, à la lumière aussi, poudreuse et pourtant nette, avec des gris si nuancés, si éclatants. On avait oublié combien la présence de la mer change tout. L’air, la manière de respirer, de jeter loin le regard et de le voir revenir tout lavé – et même la manière de marcher s’en trouve affectée.
Et il y a les autres corps, leur rythme différent du vôtre (nonchalant et à la fois nerveux en Grèce), la sonorité de leur langue (douce, comme mouillée, et pourtant scandée). Les expressions du visage (re)deviennent des hiéroglyphes– malentendus et charme.
Je ne voyais que l’énergie des gens. Un homme a murmuré à mon oreille : « les Grecs sont las, une profonde fatigue ». Je ne l’aurais pas perçu s’il ne me l’avait pas dit. Les Grecs ont une manière de ne pas se plaindre : plutôt se mettre en colère et parfois la mener jusqu’au rire.
Et puis, il y a leurs petits gestes qui accueillent quand on entre dans leurs maisons : de suite, on vous offre du café et, lorsqu’on préfère ne pas en prendre comme on en a bu déjà une dizaine, votre hôte disparaît ou fouille dans un sac et, sans rien dire, il vous tend une mandarine. On la mange sur place ou après.
J’en ai mangé des tas. J’en ai ramenées quelques-unes pour me souvenir et pour la couleur. La Grèce, pour moi, c’est bleu et orange. Paris est blanc aujourd’hui, et blanc c’est beau aussi.
Demain, on part en Angleterre. Je me demande quelles couleurs on va découvrir.
