No(s) confidence(s) – 14/24

J’avais longtemps cru (ou peut-être avais-je essayé de m’en convaincre) que je vivrais une histoire digne des plus beaux romans d’amours. Quand bien même il s’agirait d’un de ces monuments d’exaltation de gare routière sorti tout droit de la bibliothèque d’une maison de vacances, renfermant des livres racornis aux pages déjà jaunies, lus et relus par des générations successives d’occupants un peu fleur bleue ou très désœuvrés. Je devais cultiver cette envie des années durant. Longtemps satisfait de ce romantisme de foire aux bestiaux qui fleurit à la télévision dans ces soaps opéras provençaux mal écrits et mal interprétés voulus par des responsables de programmation aux goûts étrangement pompidoliens.

J’avais maintes fois imaginé la scène de la rencontre, à la fac, j’avais même essayé de la coucher sur le papier pendant un cours insipide. Elle commençait toujours de la même manière. Sur un littoral où j’avais séjourné un jour ou dont j’aurais vaguement rêvé, j’ai planté le décor.

Elle serait venue ici pour se défaire de ses idées forcément moroses. Elle aurait quitté Paris pour quelques heures, le temps d’une escapade océanique qui lui procurerait au moins du grand air, des embruns revigorants, un peu de repos. Elle en reviendrait le lendemain, rassérénée, ramenant avec elle un peu de cette pureté salée, des sons de bateaux rentrant au port, le bruits des vagues renouvelées et, si le cuisinier de l’hôtel le permettait, sans trop de désordre hépatique.

(Je souris à ce détail, résurgence d’un week-end à la mer qui s’est réellement terminé la tête dans des toilettes d’autoroute pour cause d’intoxication marinière).

Elle aurait choisi de ne pas descendre dans un grand hôtel. En entrant dans la chambre, elle aurait rapidement inspecté l’espace qui allait l’accueillir pendant une nuit. Ce serait confortable, sans plus, sans fioritures mais pas forcément de bon goût, la couleur orange centriste du dessus de lit se mariant piètrement avec les doubles rideaux bleu UMP en lin des Vosges.

(Cette fois-ci, ça ne me rappelle rien).

La vue sur l’océan, le cabinet de toilette grand siècle avec baignoire sabot et broc en faïence ébréchée assortie, comme dans ces films des années 60 dans lesquels Lelouch ou Demy racontent pendant deux heures une rencontre improbable et belle. Même si l’on peut se contenter de l’épilogue (voire de la bande-annonce), souvent plus intéressant. Elle irait ensuite marcher, pour sentir le froid lui mordre doucement les chairs et la réveiller.

Elle serait arrivée tôt, pour profiter de son samedi sur la côte. Flânant dans le centre-ville, de vitrines de boutiques de souvenirs aux rideaux de fer tirés en panonceaux d’agences immobilières vantant (toute honte bue) des studettes pieds dans l’eau dans une bourgade qui a connu la déferlante Xynthia. Elle arpenterait lentement les rues, les ruelles. Un café sur le front de mer, un livre ouvert posé sur la table dont les pages se soulèveraient de temps à autre. Elle se souviendrait où elle en est, l’ayant à peine commencé, quitte à reprendre depuis le début. Une sorte de quiétude l’habiterait. Elle ne penserait à rien ou presque, si ce n’est à se laisser bercer par le rythme des vagues allant et venant sur la plage. Les galets roulant, l’écume, l’effervescence naturelle à mesure que l’eau se retire. Elle se laisserait emporter par les sons étrangers comme joués par un bruiteur pointilleux. Le sable craquerait sous ses pas, un bruit mat répondrait à chacun de ses légers coups de talons. Elle glisserait. Elle flotterait. Elle voudrait finalement aller s’allonger un peu. Dormir. Evacuer le stress de la semaine achevée. Et rêver peut-être. Pourquoi pas. Elle ne serait désormais plus contre.

Elle se regarderait dans le miroir. Jolie, le teint blanc et un sourire inhabituel sur les lèvres. Déplacé dans sa solitude. Les cheveux coupés court soulignant son cou gracile, une mèche rebelle devant ses yeux verts lui donnant un air mystérieux. Elle se trouverait fatiguée mais heureuse d’être ici. Son regard serait animé d’une lueur qu’elle n’aurait plus vue depuis longtemps. Elle se sentirait libre. Les yeux fixes dans le miroir, elle saurait qu’elle voudrait aimer.

Elle jetterait son livre sur le lit, regarderait à nouveau au dehors. Et me verrait.

Je serais assis sur ce muret sur le front de mer, le col remonté, l’air désabusé. Tournant le dos à l’océan. Je ne regarderais rien de particulier. La façade de cet immeuble rococo m’amuserait. Digne d’un décor de cinéma, très « Hôtel de la plage », ou ressemblant aux habitations des stations balnéaires anglaises face à ces jetées ridicules, bondées l’été et boudées l’hiver.

Je serais arrivé la veille pour un enterrement de vie de garçon. Mon meilleur ami. Nous aurions passé la nuit à boire et peut-être à danser dans la boîte de nuit du casino, repoussant les limites du raisonnable en termes de bouteilles commandées et de mauvais goût dans les blagues précédant le mariage d’un vieux pote de fac, aujourd’hui trentenaire installé. Qu’importe. C’est l’intention qui compte. Pas l’invention. Cela ne m’aurait pas empêché de m’amuser. Au contraire. Au troisième degré, c’en était même assez drôle. A mon goût, ça aurait manqué de femmes. Le futur marié répétant que c’était le but. Moi, le contredisant pour le plaisir tout en flirtant avec une des serveuses.

Je n’aurais pas dormi. Après avoir couché un à un mes comparses, je serais resté au bar du casino à discuter avec la barmaid. Puis en terrasse, seul après le départ de cette dernière dans l’Audi du patron de la boîte qui s’avèrerait être son mari. Et j’aurais entrepris de rester éveillé le plus longtemps possible. Les premières envies de sommeil se seraient évanouies avec l’apparition du jour, la lumière me donnerait un air mélancolique. Semblant absorber l’air, j’aurais les yeux qui brillent. Avec acuité, je dévorerais ce moment et le monde autour de moi. Ou l’absence de monde, à cette heure matinale. Le regard mobile. Sens et pensées assurément en éveil. On devinerait de temps à autre un rictus, un clignement, comme un acquiescement à une question muette. Je paraîtrais serein. Lucide. Je me dirigerais alors vers l’hôtel.

Mon cerveau bourdonne. J’ai sommeil. Je reviens à mon personnage, je me rends compte que ce qu’il verrait défiler devant ses yeux n’est en fait qu’un curieux mélange de souvenirs plus ou moins véridiques et de clichés inventés. Je pense à la dernière fois que j’ai été amoureux (ou feint de l’être). Je me souviens de la soirée et du matin qui a suivi.

Je m’interroge. La quête de l’absolu est une chose insupportable, il faut se l’avouer : elle mène trop souvent à des choix déraisonnables, à un profond oubli de soi. Chassant de ma tête les paroles d’une chanson idiote, risible et sentimentale, qui me reviennent en mémoire. Je pense à cette rencontre qui n’a pas eu lieu. Je me dis que c’est mieux ainsi. De toute manière, je suis persuadé qu’à force d’ouvrir son cœur au lieu de fermer son col, on finit toujours par attraper froid.

(A suivre)