LOS ANGELES /nineth day
D’une journée à l’autre, tout se déplace ; si je reste assis ici une minute, une chose arrivera là-bas dans treize minutes ou, au contraire, aucun événement ne se déclarera, à mes yeux. Cette histoire « d’être là » à cet instant ; cette histoire d’espace et de temps. Et de lumière, car ici la lumière est un cadeau. Je pars dans l’idée d’aller chercher la voiture. Très vite, je croise à nouveau des pompiers ; ce sont les mêmes qu’hier, même si on est à un bon Mile de leur caserne : « Hey man, how are you doing ? One day more ! ». Avec un grand sourire. Ils sont en train de pomper de l’eau sur la borne et me disent « Yeah, we are training, you know ! We have to ! ». Et de nouveau des sourires.
Plus loin, je vois ces femmes avec leurs parapluies ; ce ne sont pas des ombrelles mais que faire d’un parapluie à Los Angeles. Je n’y ai jamais vu la pluie ! Un homme lit le journal dans un éclat de lumière entre deux immeubles ; un autre aussi, mais sur un banc, bien concentré. Je prends le métro mais m’arrête trois stations plus loin, à Lincoln/Cypress. Je ne sais pas pourquoi, je devrais continuer mais la journée a bien commencé. Je me dirige vers Figueroa street dans l’idée d’aller vers Elysian Park mais c’est trop compliqué à pied ; marcher avec les voitures, non ! Un arrêt de bus est là, je le prends ; je traverse Chinatown, m’arrête vers la Troisième avenue à Downtown pour rejoindre la Red Line sur la Cinquième. J’attends de traverser la rue. J’entends une voix de femme derrière moi, qui chante ; je me retourne et aperçois une asiatique en kimono blanc sur des patins à roulettes en train de chanter. Un autre cadeau ! Quel beau commencement de journée ! Dans le métro, je n’ai pas envie d’aller louer la voiture ; j’ai encore envie de marcher, alors je décide d’aller une station plus loin que prévu. Je chronomètre le temps entre les stations pour me rendre compte de la distance au-dessus car la Red Line est souterraine. Au vu de ce que je connais, de ce que j’ai déjà parcouru entre deux stations, je sais. Par exemple, entre West Hollywood et Hollywood/ Vine, c’est 1’35’’ à peu près. Mais en continuant, je m’inquiète un peu vu qu’entre Hollywood/Highland et Universal City c’est 3’55’’.
Je sors en comprenant que j’arrive à Disneyland, enfin, non, à Universal, ce qui est un peu du même tonneau. Je décide de suivre le « troupeau » qui sort du métro, tout comme moi. Apparemment, on doit attendre une « navette », gratos, qui monte sur la colline. Je rencontre Allysia qui gère l’arrivée des gens avec son panneau « Stop/Slow » entre les mains. Je lui dis que je voudrais aller, à pied, de l’autre côté de la colline, sur Hollywood Blvd où se trouve mon agence de location. « Take the train, take the train, five minutes ! » ; « No, I want to walk ! » ; « You’re crazy, take the free shuttle ! » ; et je n’insiste pas ! Pourquoi ne pas monter là-haut alors qu’elle me vante mille merveilles, en haut ! Un gros « truck » arrive avec trois wagons derrière. Je monte dedans et alors qu’il part je me dis que s’ils assumaient vraiment leur truc, comme dans les films, il faudrait que les wagons se détachent et se crashent ! Même si je suis dedans ! Mais rien de tel ! Je débarque sur un parking et suis de nouveau le troupeau dans le « City walk » d’Universal. Bon, là, tout est clair ! Restos, magasins, grotesques à souhait. Dans un recoin, cachés, des sapins recouverts de fausse neige, en attente, et un magnifique King Kong bleu de dix mètres de haut. Je suis gavé immédiatement, alors je descends vers la vallée. Un autre employé d’Universal me fait signe avec son panneau STOP ; je peux traverser la route. Je ne sais plus trop où je suis, lui demande le moyen d’aller de l’autre côté de la colline. To Hollywood Blvd ! Et là il me traite de menteur, me sort « Are-you killing me Buddy ? ». Non, je ne le tue pas, je lui explique que j’aime marcher ; il ne veut pas comprendre. Cela m’amuse.
Arrivé sur Cahuenga Boulevard, j’oblique sur la droite pour monter vers Mulholland Drive. C’est le but, mon but à ce moment-là ! Enfin Mulholland Drive ! Mais le ciel est là, un ciel constellé de traces d’avions ; surtout celle-ci. En fait, au début je ne vois que deux lettres, alors j’attends la suite ; c’est lent, très lent ; j’imagine les distances que l’avion doit absorber pour faire ces lettres, alors je reste patient. Jusqu’à lire « MARR » mais les lettres se défont vite dans le ciel. Cela fait bien vingt minutes que je campe devant cette maison, scrutant le ciel. J’aperçois une vieille dame, derrière une haie, qui m’observe. Ok, j’ai compris et vais vers elle, lui expliquant ce que je regarde et photographie ! « Would you married me » me dit-elle en regardant l’image que j’ai faite, que je lui tends pour preuve, vu la parano du coin. Je lui réponds « No, I don’t want ! Too late madame ! » et elle éclate de rire. Elle m’invite à prendre le thé. A l’intérieur, une vague d’angoisse me submerge avec tous ces bibelots, ces chiens en faïence, peut-être mille, je ne sais pas. Elle me parle de son fils, vétéran ; elle me parle de son mari, mort à la guerre ; elle me parle de son père, d’Omaha Beach… Toutes les guerres y passent ! Le thé est enfin chaud, datant du vingtième siècle comme les gâteaux. Je m’éclipse, aussi vite que possible, poliment.
Je continue mais impossible de continuer. Plus aucun trottoir là où je suis. Car je suis redescendu sur le boulevard ; c’est trop compliqué dans les petites rues. Au moins, j’ai une bonne discussion avec un couple et leur enfant qui brandissent des pancartes, voulant qu’une bretelle de la One O One disparaisse. Je fais demi-tour pour, enfin, aller chercher la voiture. J’ai faim. Un resto thaï « vegan » apparaît ! Ils me servent un plat gigantesque ; c’est horrible. « Too much », la dose pour une personne correspond à trois ou quatre personnes en France. Je ne peux pas manger tout cela et l’exprime. La serveuse me répond : « I understand why you are looking so skinny ! ». Je reprends la Red line ! Je n’en peux plus de la « cité de l’univers » ! Obligé de descendre à « Freaks Land » sur Hollywood Blvd, car c’est là qu’est mon agence de location ! Entretemps, ce que j’ai oublié de vous dire, c’est que je subis, depuis ce matin, les contrôles des « Sheriff County of Los Angeles » dans le métro. L’un, où ils sont cachés derrière des colonnes, en bas ; l’autre, dans le wagon, et le dernier dans la station où ils bloquent les issues. Avec les gilets pare-balles, les flingues et tout le toutim… C’est là que j’avais loué la dernière fois que je suis venu alors je cherche avec mes yeux « la pancarte ». Je cherche longtemps ; rien. Je ne comprends pas. Je fais demi-tour après un ou deux kilomètres. Évidemment c’était là où je pensais que c’était ; sauf que maintenant, c’est devenu une agence de location d’hélicoptère ! Je leur demande ce qu’est devenue l’agence de location de voitures. Ils ne savent pas qu’il y avait une agence de location à cet endroit et me propose un hélicoptère. Bien sûr, avec son pilote ! Je leur dis que mon but est pour le moment de rester sur terre ; pas d’aller au ciel ! Mais ils ne rient pas même s’ils comprennent mon allusion. De toute manière, cela se voit qu’ils ne sont pas là pour rire mais pour s’en mettre plein les fouilles ! Je vais derrière leur « échoppe » et demande aux « valets » de parking où est passé l’agence ! A cinq « blocks » d’ici ! J’y fonce.
Mais le temps que j’arrive, les boulevards et les avenues sont pleines ; ça sent le samedi soir et sa fièvre. A l’agence, je réserve une voiture pour demain matin. En sortant, je vois une famille, un couple et deux enfants, une fille d’environ 11 ans et un garçon de 9 ans, qui marchent avec un panneau : « L.A. City won’t help us ! please help for motel and food !». Une famille entière à la rue… En face, un homme arrive avec cette inscription, qu’il revendique, qu’il montre au monde, aux voitures : « Sick of bitches bitching about other bitches ». Hallucinant ! Je dois faire attention ; je le sens ; la rue me happe, la rue me mange… Je rencontre Dimitry le biélorusse qui me raconte son enfance à Brooklyn ; et plus tard, en rentrant, ce gamin d’une beauté hallucinante tatoué sur le visage ; et je me fais quelques photos de nuit avec des voitures, aussi. Et encore plein d’autres choses aujourd’hui… Mais cela suffit. Je vais dormir.