Tanguy Viel : « Il faut être résolument idiot au moment où on se met à écrire et même plus qu’idiot : animal, végétal, sauvage, moléculaire » (article 353 du code pénal))

Tanguy Viel © Patrice Normand / éditions de Minuit

Après quatre années d’absence, Tanguy Viel revient en cette rentrée d’hiver avec sans doute l’un de ses romans les plus puissants : Article 353 du code pénal. Dévoilant l’histoire tramée d’échecs de Martial Kermeur en butte aux manipulations d’un promoteur immobilier, Viel offre le terrible récit d’un homme bientôt abandonné de tous au cœur d’une rade de Brest comme à la dérive. Diacritik a rencontré Tanguy Viel le temps d’un grand entretien pour évoquer avec lui ce nouveau roman qui s’impose déjà comme l’un des plus importants de cette année.

Après La Disparition de Jim Sullivan, votre dernier roman paru en 2013, qui racontait le périple de Dwayne Koster à travers les États-Unis, Article 353 du code pénal choisit de revenir de ce côté-ci de l’Atlantique pour dépeindre, dans la rade de Brest, l’histoire terrible et tragique de Martial Kermeur aux prises avec Antoine Lazenec, trouble personnage, désirant construire, comme il l’affirme, « le Saint-Tropez du Finistère ».
Ma première question serait la suivante : comment est née l’idée de ce roman qui présente, comme les personnages l’affirment eux-mêmes, « une vulgaire histoire d’escroquerie » ? Vous avez coutume de dire que vos romans prennent naissance depuis une image ou une idée qui font scène : quelle était-elle cette fois-ci ?

La silhouette de Martial Kermeur est née quand j’ai composé un livret d’opéra il y a quatre ans. En arrière-fond de l’histoire, il y avait cette figure d’un père un peu déchu. Je crois que le roman est né d’une voix, celle qui allait devenir la voix du narrateur, à peine une voix : une plainte, une fatigue. Et puis en même temps, née de cette déchéance en quelque sorte, il y a eu cette vue sur la rade de Brest, non pas le large et l’océan mais presque la vase qu’on pourrait trouver au fond d’une rade, avec des arbres qui auraient les pieds dans l’eau. A force, il y avait même une confusion des éléments : le maritime, le végétal et l’humain, tout cela vivait sur un même pied, dans une sorte de continuité d’humeur et de pensée un peu boueuse.

J’ai beaucoup pensé à Virginia Woolf à ce moment-là. Mais comme je ne suis pas Woolf, quand j’ai des choses comme ça dans la tête, je n’ai pas un roman, j’ai même le contraire d’un roman, mais comme un voile affectif qui flotte au-dessus des choses, un poème invisible en somme, et difficile à déposer dans une narration. Ce qui fait narration, c’est toujours quelque chose de résistant, de dur : ici, ce qui durcit le cadre et permet le roman, c’est l’idée de bâtir des immeubles. Quand j’ai eu tout cela, un élément horizontal et un élément vertical, alors je crois que j’ai pu vraiment commencer le livre.

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Comme un écho prolongé de Paris-Brest hanté de l’ombre du fils Kermeur, le personnage principal et narrateur d’Article 353 du code pénal porte également le nom de Kermeur, l’histoire venant même à se nouer semblablement autour d’Erwan, le fils Kermeur. Comment ce nom de Kermeur s’est-il de nouveau imposé à vous pour ce roman ? S’agissait-il pour vous d’offrir des liens affirmés avec Paris-Brest et, si oui, comment les envisagez-vous ?

Paris-BrestOui. Même si on peut lire le livre en ne sachant rien du fils Kermeur ou bien en ne faisant pas le rapprochement, j’ai pensé très vite à ce livre comme un pendant de Paris-Brest, une excroissance presque née de lui. Dès lors que j’ai été comme rappelé en Bretagne, dans cette rade de Brest, il était clair qu’il y aurait des liens.

Et si c’est plutôt le père qui est apparu en premier, il fut vite évident que le fils aurait cette même énergie rentrée, cette même faculté un peu compulsive à basculer dans l’action que celle qu’il a dans Paris-Brest. C’est donc bien le même « fils Kermeur », cette fois il a un prénom, Erwan, et cela se passe un peu avant.

De la même façon, alors que vos premiers romans taisaient le nom de famille de ses personnages, vos derniers romans, et en particulier Article 353 du code pénal, les affirment, Kermeur parlant même du nom d’Antoine Lazenec comme de ce qui suffit « à le faire briller dans le ciel des noms propres ». L’absence première de noms propres correspondait-elle dans votre écriture à un héritage sinon une réticence de la modernité ? Et inversement, leur présente affirmation correspond-t-elle à une mutation dans votre vision même du roman ?

Oui, tout à fait, une lente mutation, je dirais presque, une lente incarnation. J’ai commencé à écrire il y a vingt ans dans un épais brouillard, un tremblement aussi qui était sans doute assez proche de celui qui avait agité le Nouveau Roman. Je n’aurais pas pu alors déposer si nettement un nom propre ou même un nom de ville dans un roman. Quelque chose en moi flottait et mon langage flottait, incapable de faire le tour d’une chose avec la force du nom propre. Il faut les pieds bien ancrés dans le sol pour utiliser des noms propres.

Et puis peu à peu, l’écriture a fini par faire ce que je lui demande depuis vingt ans : me déposer sur un sol, s’approcher des choses, les circonscrire dans le langage. Mais ce n’est pas un changement de vision, c’est seulement une confiance augmentée, travaillée au fil du temps, dans les liens du langage avec le monde. Peu à peu je parviens à habiter une langue qui a ses connivences dans le réel, qui s’ouvre à sa propre confiance, presque transitive. Les mots et les choses se reconnectent et la vie circule des uns aux autres.

À ce titre, à considérer cette histoire qui s’inscrit nommément dans la rade de Brest et son palais de justice « aux murs si défraichis », peut-on affirmer, selon vous, qu’Article 353 du code pénal s’offre comme un roman du Dehors, à savoir un récit qui entend délibérément s’installer dans l’exploration référentielle ? L’avez-vous conçu, de fait, comme une épopée de la matière, et en l’occurrence comme une nouvelle matière de Bretagne, celle de Brest ?
Plus largement, Article 353 du code pénal semble s’offrir à un partage du sensible où les choses elles-mêmes auraient quelque chose à nous dire, de la mouette jusqu’à « l’alphabet des immeubles » : seriez-vous d’accord avec l’idée romantique selon laquelle écrire, ce serait traduire la langue tue des choses ?

Oui, bien sûr. Jusqu’alors j’avais hérité d’un romantisme plus noir, plus négatif, qui se battait contre les choses, celui d’un certain Baudelaire et puis celui, à peine romantique au fond, de Mallarmé. Je ne crois pas d’ailleurs que je liquiderai jamais cette violence qui sépare à mes yeux le vécu du langage. Mais le grand détour que j’ai fait par la littérature américaine et, notamment, par la poésie américaine que j’ai beaucoup lue ces dernières années, m’a rappelé à cet autre romantisme, plus proche de Novalis en somme, pour lequel le roman est poreux, ouvert et que les choses pensent autant que nous, et qu’il y a comme une confusion dans la nature même de la pensée.

Tout cela va sans doute vers ce que vous appelez « l’épopée de la matière ». Mais l’expression est exagérée. Je ne suis pas un écrivain épique, au contraire, il faut toujours que je concentre tout sur une scène de théâtre. Disons que cette fois, c’est un théâtre à ciel ouvert.

Peut-on considérer, à ce titre, Article 353 du code pénal comme un roman qui, loin de tout élan réflexif affirmé et peut-être même comme en réaction contre lui, se livrerait au pur déroulement du récit, un roman affirmant en quelque sorte le plaisir du roman en quelque sorte – du romanesque, du roman comme cœur de littérature, comme sa reconquête ?

Voilà. Exactement. Mais je ne saurais le poser comme une évolution de mon travail, en tout cas pas comme un progrès. Je crois que je suis composé de ces deux humeurs un peu contradictoires : l’une dont l’inquiétude interdit de rejoindre la matière des choses, et puis l’autre qui en rêve sans cesse. La première donne sans doute mes travaux les plus réflexifs, la seconde quelque chose comme la tentative d’un roman pur ou du moins transparent dont Article 353 voudrait s’approcher. Encore qu’il y reste, à mon sens, beaucoup d’opacité.

Pourtant, parallèlement à cette saisie de la matière, Article 353 du code pénal paraît néanmoins questionner cette possibilité même du récit à être récit mentionnant entre autres que l’histoire à raconter est « comme une rivière sauvage qui sort quelquefois de son lit ». Ainsi, est-ce que, derrière le souffle romanesque, vous n’avez pas poursuivi votre réflexion critique sur le récit mais sur un autre mode, plus directement sensible cette fois ? Seriez-vous d’accord avec l’affirmation d’un art poétique en filigrane ? En ce sens, en quoi était-il important de choisir un personnage comme Martial Kermeur, comme en retrait du langage et comme hors littérature, qui se tient presque en obstacle au récit ?

La Disparition de Jim SullivanC’est vrai que dans ce livre, la réflexion critique est noyée dans la parole de Kermeur, dans ses doutes et dans les métaphores qu’il emploie pour qualifier la difficulté à raconter. C’était un vrai plaisir pour moi de pouvoir dire discrètement des choses sur l’art du récit à travers une voix qui n’était pas intellectuelle mais aux prises avec la matière sensible, celle de sa mémoire et d’une vérité qui semblait se mouvoir sous ses yeux. J’ai retrouvé une sorte de naïveté critique que j’avais perdue avec Jim Sullivan. Et, de fait, ce n’est pas seulement Kermeur qui se trouve ainsi en dehors de la littérature, c’est moi.

Au fond, il faudrait presque dire : si on veut faire de la littérature, il est bon d’être en dehors, parce qu’alors on ressent l’obstacle à franchir et ça oblige à trouver des ruses sensibles pour dire les choses. C’est le non-savoir de Kermeur qui lui ouvre tout un champ de métaphores et de réflexions. C’est toujours une certaine forme d’ignorance qui produit des pensées neuves. Je répète ça à l’envi mais il faut être résolument idiot au moment où on se met à écrire et même plus qu’idiot : animal, végétal, sauvage, moléculaire.

Tanguy Viel Cinéma

À l’instar de vos précédents romans qui, pour reprendre une expression de Cinéma, répondaient d’une « pellicule vocale » et obéissaient à une écriture cinématographique, Article 353 du code pénal vous paraît-il s’affirmer comme la réécriture d’un western, Antoine Lazenec étant évoqué comme un pionnier du Far West ? Cependant, au-delà de cette réécriture, les allusions filmiques semblent néanmoins et paradoxalement plus diffuses qu’auparavant : le cinéma constitue-t-il toujours votre univers privilégié de fiction ? Seriez-vous d’accord avec l’idée selon laquelle, depuis Paris-Brest, votre œuvre semble amorcer un nouveau versant où le cinéma s’efface devant une réflexion sur la matière romanesque même ?

Je me suis rendu compte très tardivement que le livre avait un peu la couleur d’un western. Sans doute, là encore, mes lectures américaines ont dû sculpter certaines silhouettes. Mais il vaudrait mieux dire « Southern » que « western », parce que je crois qu’il y a l’ombre des Snopes de Faulkner, et plus encore celle des Fous du roi de Robert Penn Warren. Sans doute c’est un roman qui doit plus à la littérature qu’au cinéma. Mais cela fait un moment que les deux imaginaires se sont fondus pour moi en un seul réservoir ou plutôt une seule usine à fabriquer des images et à les mettre en mouvement, sans que je ne m’inquiète plus de savoir quelle en est la source. Dans ce livre, il y a aussi bien La Nuit du chasseur ou Stalker que les ombres de Faulkner et de Woolf.

À évoquer à présent les liens qui se tissent entre les personnages, Article 353 du code pénal semble pareillement marquer une notable inflexion dans votre œuvre : de fait, si depuis Le Black Note, l’intrigue paraissait presque uniquement dominée par les rapports entre des héros semblables à des faux frères, ne peut-on pas bien plutôt considérer Article 353 du code pénal comme le roman d’une filiation problématique entre le père et le fils Kermeur ?
Si Paris-Brest était le roman du fils Kermeur, Article 353 du code pénal n’est-il pas celui du père Kermeur, celui du legs impossible à son fils, de la grande voix vide du père, « en forme de rocher absent » devant le fils ?

Oui, je ressens cela aussi, cette nouvelle distribution des forces entre les figures. C’est étrange d’ailleurs : les forces et les faiblesses sont les mêmes mais elles ne se vectorisent plus de la même manière. À se demander si faire un roman ne serait pas en partie cela : trouver une distribution à chaque fois nouvelle des énergies. Alors dans celui-ci, c’est peut-être plus complexe que dans les précédents pour cette raison que vous dites : c’est le père qui porte la faiblesse et le legs impossible et qu’il est au cœur d’un triangle entre l’escroc qui le manipule et son fils qui découvre qui est son père.

De fait, en vieillissant moi-même, je suis bien obligé de ressentir qu’on est pris entre deux feux : ce moment où on est censé être un adulte et pourtant l’enfant naïf et sans prise sur la vie est toujours là. J’ai l’impression que je ne sortirai jamais de ce problème d’apprentissage infini, de ce roman de formation qui semble durer encore à cinquante ans. Ce qui change, c’est qu’à cinquante ans, si vous n’êtes pas un adulte, vous pouvez cependant être père. Et là, oui, si vous refusez cette place d’adulte aux yeux de votre fils, c’est compliqué pour lui et pour vous.

Dans le même élan du roman de la matière, Article 353 du code pénal ne manque pas de s’ancrer dans un cadre à la fois social, historique et économique avec notamment les personnages de Martial Kermeur, licencié économique de la France des années 1980, et de Martial Le Goff, élu socialiste de la gauche mitterrandienne bientôt en déshérence.
En quoi était-ce important pour vous d’ancrer votre roman au cœur de cette gauche socialiste ? S’agit-il pour vous de suggérer que la politique a dévié depuis ce point pour parvenir à l’effondrement du débat public actuel ? Peut-on par ailleurs affirmer qu’Article 353 du code pénal peut se lire comme un roman politique puisque, comme le dit Kermeur, le sentiment qui guide les actions, c’est « la lutte des classes » ?

Ça fait toujours peur de dire comme ça « roman politique ». Il y a quelque chose d’opérationnel là-dedans, d’héroïque même, qui va à l’encontre de tous mes sentiments à l’égard de la littérature. Vous savez comme j’aime les autruches et qu’écrire m’est toujours apparu comme un geste d’abord négatif, je devrais dire : théologiquement négatif. Je suis plutôt du genre tête dans le sable ou bien sous le couvercle d’une poubelle, comme chez Beckett. Alors ça me fait bizarre à moi-même de seulement oser prononcer ce mot, politique.

Et pourtant, il faut bien que je l’assume : oui, ça se passe dans les années 90, oui, ce sont des socialistes dévoyés, et oui, je ressens profondément cette inscription du livre dans une époque, celle d’un champ d’errances laissée aux enfants de cette génération par des baby-boomers qui n’ont transmis que leurs renoncements, leurs déceptions et leurs petits profits personnels. Et c’est bien avec tout ça qu’un adolescent des années 90, mettons, un fils Kermeur, doit vivre, avec un syndrome Kurt Cobain en somme, entre compulsion et tension suicidaire, mais victime de l’effondrement de tout récit solide. Dans les années 90, il y a chez les adultes une fierté de façade, un grand discours nostalgique des années 60 mais rien sur quoi s’appuyer vraiment. Mais ce n’est pas grave, on s’est débrouillés quand même. Et même, on y retourne, à bâtir le monde, plus qu’il n’y paraît.

Tanguy Viel Le Black Note

Depuis Le Black Note, votre premier roman, votre écriture œuvre à une vision mélancolique du monde où, marqués par la lassitude, le sentiment du renoncement et d’une fin proche, les héros semblent fatigués et détruits par un irréversible échec. Article 353 du code pénal vous paraît-il répondre d’une semblable mélancolie, le récit étant innervé de fantômes et de l’effondrement d’un monde allant à sa ruine ? Mélancolique, L’Absolue perfection du crime était, selon vos dires, un « roman couleur rouille » : de quelle couleur serait celui-ci ?
Cependant, la fin plus libre et large d’espoir du récit n’autorise-t-elle pas à trouver une couleur plus claire, comme s’il s’agissait, en définitive, presque d’un roman post-mélancolique, d’après la mélancolie, comme si parvenir à accomplir l’œuvre et raconter son histoire, c’était en vérité pouvoir enfin vaincre toute mélancolie ?

Gris-vert, comme certains yeux un peu perdus, ce serait la couleur de ce livre, le reflet passé des arbres dans l’eau trouble, quelque chose comme ça. Genre film de Herzog mais dans la rade de Brest. Et je crois que pour tout ça, il en reste encore un peu, de mélancolie. J’ai peur aussi qu’il n’y ait, du point de vue de la construction du roman, que peu d’évolution depuis vingt ans dans mon travail. Oui, raconter est le remède sans cesse remis sur le métier pour s’en sortir avec toute défaite, et c’est cette même folie du récit thaumaturge qui habite le narrateur du Black Note comme celui d’Article 353.

Je suis un incurable mystique du langage, j’y crois comme je crois en la psychanalyse et dans toutes les formes de réparation de l’âme par le langage. S’il y a une évolution, c’est peut-être que, pour la première fois dans ce livre, le récit a une puissance, comme on dit, performative : il fait changer le cours des choses. Peut-être que je commence à assumer ça, le retour du livre dans la réalité qui l’entoure, les radiations qu’il envoie. « Dans ton combat contre le monde, seconde le monde ».

Justement, j’aimerais revenir sur celui qui est à la naissance même du récit de Kermeur : la figure du juge, homme auquel le prévenu se retrouve confronté et qui aura le mot de la fin. Comme un écho au juge de L’Absolue perfection du crime, pourquoi se trouve-t-il le plus souvent comparé à un psychologue plus qu’à un homme de loi, qui guide Kermeur « vers un point central » qu’il ne connaissait pas lui-même ? Ne peut-on pas également le concevoir, pour reprendre les termes de Jeanne Favret-Saada, comme une figure de désorceleur, celui qui entend délivrer Kermeur et le faire se déprendre, le désenvoûter des fantômes de son passé et de cette « noirceur ou nuisance ou maléfice » de Lazenec ?

Le juge, c’est la loi mais c’est aussi la langue officielle, celle du code pénal, celle que tout le monde partage et que nul n’est censé ignorer, celle qu’on peut voir comme écrasante mais aussi comme celle de la communauté dans laquelle on rêve d’entrer si on en est exclu. Je veux dire que Kermeur veut peut-être ça : entrer dans la langue commune, dans la langue partageable, hors de toute faute. On fait souvent grand cas de l’écrivain comme l’homme d’une nouvelle langue, d’une langue étrangère mais ce qu’on ne voit pas, c’est que cette langue est souvent une demande profonde et violente pour revenir à la communauté. Il faudrait pouvoir demander à Kafka et Dostoïevski ce qu’ils en pensent.

Ce que je sais, c’est que ce juge dans mon roman est une utopie de juge, il est peut-être la communauté des hommes tout entière, et c’est en cela qu’il ressemble tant à un psychanalyste, à un désorceleur, pourquoi pas. Dans toutes ces formes, il y a un point commun, c’est que la parole et, plus encore, l’adresse à l’autre est une promesse. Une promesse de quoi, ce n’est jamais très clair, mais c’est quand même cette promesse qui aimante la parole et même la cimente. C’est cette promesse qui cristallise toute l’énergie jusqu’alors atomisée du narrateur. C’est sans doute cette même promesse qui me pousse, moi, à écrire.

Tanguy Viel, Article 353 du code pénal, éditions de Minuit, 2017, 176 p., 14 € 50 — Lire un extrait

Signalons la sortie simultanée en poche dans la collection « Double » de La Disparition de Jim Sullivan, Minuit, 2017, 160 p., 7 € — Lire un extraitLire sur Diacritik