Désorientale de Négar Djavani : les voix iraniennes francophones

« Ce que nous appelons avenir n’est rien d’autre qu’une variation du passé. »

Dans la profusion des œuvres qu’il faudrait lire, cette rentrée littéraire offre un joyau : Désorientale de Négar Djavadi. La lecture de ce premier roman de quelqu’un de connu dans le monde des médias incite à aller voir du côté d’une nouvelle littérature francophone du XXIe siècle, iranienne cette fois et, plus particulièrement, de ses voix féminines nombreuses et diverses.

La narratrice, le « je » de la fiction, est Kimiâ, troisième fille de Darius Sadr et de Sara Tadjmol, intellectuels et opposants iraniens contre le Shah puis contre Khomeiny. Que deviennent les enfants de militants entièrement consacrés à leur lutte au risque de leur vie personnelle et familiale ? Nous sommes, comme dans les autres fictions que nous évoquerons après la lecture de ce roman, dans un milieu aisé de la bourgeoisie iranienne avec déjà, au niveau des origines, des apports divers : la grand-mère maternelle est arménienne d’origine. Cette part arménienne de l’Iran peut être mieux connue en lisant les romans, traduits par Christophe Balaÿ aux éditions Zulma depuis 2007, de Zoyâ Pirzâd, romancière très populaire au pays.

Wet Eye GlassesPour « aider » le lecteur dans une construction romanesque insolite, la romancière insère en fin de volume une petite mise au point généalogique. Y sont répertoriés le couple parental, les grands-parents mais aussi les deux sœurs aînées de Kimiâ, Leïli et Mina et les six oncles. L’intérêt de ce roman qui parcourt générations, espaces et événements marquants est dans la manière dont il est construit en tiroirs et rebondissements sans que jamais la narratrice ne lâche le lecteur dans le labyrinthe soigneusement élaboré avec adresse et esprit. Autobiographie ? Négar Djavadi s’en défend fermement dans un entretien : s’il y a des éléments autobiographiques, sans doute comme dans toute fiction, ils servent de « canevas » pour inventer son histoire, sa saga familiale et l’Histoire de l’Iran. Ainsi, dès l’envoi, le lecteur est mis en condition pour la suite : « Tout ce que je sais c’est que ces pages ne seront pas linéaires. Raconter le présent exige que je remonte loin dans le passé, que je traverse les frontières, survole les montagnes et rejoigne ce lac immense qu’on appelle mer, guidée par le flux des images, des associations libres, des soubresauts organiques, les creux et les bosses sculptés dans mes souvenirs par le temps. Mais la vérité de la mémoire est singulière, n’est-ce pas ? La mémoire sélectionne, élimine, exagère, minimise, glorifie, dénigre. Elle façonne sa propre version des événements, livre sa propre réalité. Hétérogène, mais cohérente. Imparfaite, mais sincère. Quoiqu’il en soit, la mienne charrie tant d’histoires, de mensonges, de langues, d’illusions, de vies rythmées par des exils et des morts, des morts et des exils, que je ne sais trop comment en démêler les fils. »

Elle y revient dans le chapitre 5 de la première partie pour apparenter sa manière d’écrire à une tradition iranienne, pour en souligner sa marque iranienne : l’Iranien n’est pas un adepte du silence ni de la solitude qu’il peuple de voix et de bruits : « Si Robinson Crusoe était iranien, il se laisserait mourir dès son arrivée sur l’île et l’affaire serait réglée. » L’Iranien parle, raconte des histoires emboîtées les unes dans les autres « comme des matriochkas », « une façon de s’accommoder d’un destin qui n’a connu qu’invasions et totalitarisme. » Le modèle même est Shéhérazade : « Raconter, conter, fabuler, mentir dans une société où tout est embûche et corruption, où le simple fait de sortir acheter une plaquette de beurre peut virer au cauchemar, c’est rester vivant […] Tandis que le silence, eh bien, c’est fermer les yeux, se coucher dans sa tombe et baisser le couvercle. »

Sa matière romanesque, Négar Djavadi la divise en deux parties qu’elle nomme Face A et Face B comme sur les anciens vinyles où la face A contenait les meilleurs titres et la face B les moins bons. Mais, espiègle, la romancière conclut sa note explicative par : « Ceci pour vous dire que des faces B réussies, il y en a… » L’histoire – en fait une double histoire, celle de Kimiâ l’Iranienne et celle de Kim « la désorientale » – est insérée dans l’Histoire de l’Iran en un ensemble où les dates sont visibles et précises : entre autres, le 3 juillet 1971, le 21 avril 1981, le 11 mars 1994, la plus importante, celle de L’ÉvÉnement dont on n’aura le sens qu’en fin de parcours. Si de nombreuses fictions, iraniennes en particulier mais aussi autres, ont fait une place de choix à l’Histoire, la manière ici est très ingénieuse et ne fatigue le lecteur à aucun moment, par différents procédés qu’on savoure à la lecture :
* par une interpellation constante de celle ou celui qui lit.
* Par de nombreuses allusions sans pathos inutile pour des faits objectivement dramatiques, comme la comparaison qui croque l’air de Darius lorsqu’il doit s’exiler du pays, la mort dans l’âme : « son visage était aussi abattu que celui d’un gardien de but encaissant un penalty. »
* Par des comparaisons souvent savoureuses entre les mœurs iraniennes et françaises qu’on ne peut évidemment toutes citer.
* Par des notes de bas de page interpellant directement le lecteur sur sa méconnaissance de cette Histoire et en lui proposant une information comblant cette lacune.
* Par des rappels en cours de narration liés aux parcours des personnages. Les trois personnages les plus sollicités à ce sujet sont le père et la mère mais aussi l’Oncle Numéro 2 : de ce dernier, elle est la digne « héritière » puisqu’il lui a appris que la mémoire est recomposition entre fiction et réalité. Comme lui, elle est conteuse, mémoire de la famille et homosexuelle. La naissance de Kimiâ le jour même de la mort de la grand-mère paternelle, Nour, en fait un chaînon incontournable de la mémoire familiale.

Histoire et histoires sont animées par un art consommé du portrait. Pour le couple parental, le portrait se dessine par touches successives jusqu’au dénouement de leur vie avec un bonheur d’expression remarquable : Darius est, tour à tour et en même temps, le révolté, le différent, le fugueur, un « solitaire au sein de la foule ». Le chapitre 7 de la Face A est essentiellement consacré à l’homosexualité, celle cachée d’Oncle Numéro 2 et celle douloureuse de Kimiâ – quand Leïli la traite de « lesbienne » et qu’elle reçoit de plein fouet « la violence soudaine de la vérité » –, qu’elle revendique ensuite dans l’histoire support de l’ensemble de la fiction dont je n’ai pas parlé : son insémination artificielle avec le sperme de Pierre pour élever un enfant avec Anna, sa compagne. Avant de quitter l’Iran, l’adolescente était entrée dans la chambre secrète de son oncle et avait découvert sa particularité et en avait déduit : « nous nous ressemblions ».

Notons que, contrairement à de nombreuses œuvres francophones, on ne trouve pas de déclarations passionnées à la langue française et à la France. On peut suivre, tout au long de la lecture, une critique assez acerbe de la francophilie iranienne, brutalement heurtée par le vécu de l’exil : la langue d’origine reste une référence valorisée, l’accent iranien une marque de différenciation plus ou moins stigmatisante selon les lieux et les interlocuteurs ; le roman est parsemé de mots ou expressions françaises, déformés en persan et cela donne un effet comique indéniable. Les pages consacrées à l’entrée du mot vagin dans le vocabulaire des Iraniennes valent le détour…

Le parcours personnel de Kimiâ entre deux cultures, deux pays, deux langues la conduit à une interrogation sur la notion d’intégration, si souvent utilisée dans le discours socio-politique actuel : « Cette cicatrice qui traverse mon vocabulaire est ma seule coquetterie, mon unique résistance face à, disons, mes efforts d’intégration. J’emploie cette expression par commodité, parce qu’elle vous parle, même si, biberonnées dès l’enfance à la culture française, je ne me sens pas concernée par le sens qu’elle véhicule. D’ailleurs puisque nous en parlons, je trouve qu’elle manque de franchise et de sincérité. Car pour s’intégrer à une culture, il faut, je vous le certifie, se désintégrer d’abord, du moins partiellement, de la sienne. Se désunir, se désagréger, se dissocier. Tous ceux qui appellent les immigrés à faire des « efforts d’intégration » n’osent pas les regarder en face pour leur demander de commencer par faire ces nécessaires « efforts de désintégration ». Ils exigent d’eux d’arriver en haut de la montagne sans passer par l’ascension. »

La Face B est beaucoup plus consacrée à la vie française de Kimiâ, de l’exil salvateur puis perturbateur à l’étonnement irrité devant l’ignorance en France de ce qu’est son pays : « en ce début des années 80, les Français ne faisaient pas vraiment de différence entre nous et les hezbollahis. Les professeurs et les élèves nous posaient des questions incongrues et parfois blessantes qui témoignaient surtout de leur ignorance. […] A vrai dire, aujourd’hui encore, il m’arrive d’être confrontée à ce genre de réactions, obligée de faire un cours sur l’histoire contemporaine de l’Iran pour faire comprendre dans quel camp nous nous trouvons. »

En plus donc de ce va-et-vient dans l’entre deux, Kimiâ doit s’assumer sexuellement et décoder tous les signes qui, depuis sa naissance – l’interprétation de la grand-mère Emma, la layette bleue achetée par son père, sa complicité avec lui « comme un fils » – font d’elle une femme différente. La révolte de Kimiâ emprunte plusieurs voies : la musique, la fugue, une résidence hors de France : « Là où l’Iran et la France n’existaient pas. Seule et insurgée. […] A partir de ce jour, ma vie change. La musique dessine une ligne de partage entre le passé et le présent, l’enfance et l’adolescence, ce qui a été et ce qui sera. » Dans le premier chapitre de cette Face B, le récit de la fuite d’Iran est délégué au livre de sa mère qui a connu un grand succès en Iran même. Les derniers chapitres dévoilent le destin de Kimiâ, celui de Darius : sa mort s’inscrivant dans l’assassinat méthodique de plus d’une centaine d’opposants à l’étranger par la République islamique, entre 1985 et 1995 ; la casquette déposée sur les corps étant la signature des services secrets iraniens. Le tout dernier chapitre clôt le destin de Sara qui n’a pu franchir cette tragédie après avoir déployé courage et insolence dans la lutte politique. Kimiâ a hérité d’eux et, en particulier de sa mère, dans son désir d’enfant exaucé qui clôt la fiction.

La richesse de ce roman, les questions qu’il pose et le plaisir de lecture qu’il donne ne peuvent être enfermés en quelques lignes qui passent sous silence cette question de société de l’insémination artificielle, suivie pas à pas et qui donne son ossature à la fiction. Désorientale est à lire, on l’aura compris !

Cette première fiction de Négar Djavadi rejoint une déclaration de Marjane Satrapi (née en 1969), sur son site, après Persépolis : « Quand on a la chance ou la malchance d’être traversé par l’histoire de cette façon là et si on a un moyen de narration pour le dire ou le témoigner, il faut le faire. Je ne travaillerai plus jamais sur un livre comme j’ai travaillé sur Persépolis. C’est un travail qui prend énormément d’énergie. C’est un travail sur soi-même pour pouvoir avoir de la distance et mettre de l’humour sur cette histoire sordide ».

9782844142405On sait que cette BD autobiographique a rencontré un immense succès en France et dans d’autres pays d’Europe ou aux États-Unis. Si, dans ce genre créatif, elle était singulière, elle s’inscrivait dans un contexte éditorial plus large d’œuvres iraniennes écrites en français partageant, avec plus ou moins de réussite, témoignage testimonial et recherche esthétique, et ouvrant ainsi un nouveau corpus « francophone » entièrement originé dans une littérature de l’exil ; elle pose aussi des questions sur l’intégration en France comme le souligne Mahnaz Shirali, dans son étude, Entre islam et démocratie – de jeunes Français d’aujourd’hui, en 2007. Ces œuvres ont bien bousculé clichés et stéréotypes sur ce pays, bien épaulées d’ailleurs par le cinéma. Entre autres références à ce sujet, on peut lire l’article de Stéphanie Marin dans Le Devoir (Montréal) des 26 et 27 mai 2007, « Un Iran à découvrir – Place est faite aux femmes au pays de Khomeiny », où elle rend compte des recherches sur l’emploi des femmes dans l’Iran actuel que mène la sociologue iranienne Roksana Bahramitash.

Les femmes ont une place tout à fait singulière : le canal littéraire est particulièrement approprié pour faire entendre leur voix, leurs aspirations, leurs revendications. Comme le dit et le vit l’extraordinaire gynécologue de la romancière Fariba Hachtroudi (née en 1951) dans Iran, les rives du sang : « Côté féminin, trois adjectifs peuvent résumer notre rapport avec l’espace le plus secret du monde : la honte, la fierté et le pouvoir. Pouvoir insoupçonnable pour celles qui ont compris que leur ventre est un coffre-fort inexpugnable, au propre et au figuré : l’utérus des femmes, cénotaphe des secrets du monde depuis l’aube des temps, renferme l’histoire commune, comme l’histoire particulière à chacune d’entre nous. Et moi, Narguesse Darani, j’arrive à la déchiffrer. »

Écrit en français, ce roman est longuement dédié à toutes les Iraniennes et en particulier : « Aux mères… aux milliers de résistantes, torturées et exécutées… aux compatriotes » (d’autres religions) aux jeunes filles, aux grand-mères, « Aux femmes lapidées, aux combattantes de la liberté et à toutes celles qui disent non à l’intolérance et la barbarie ». L’énonciatrice est une femme qui parle au nom d’autres femmes et son roman, à la structure assez complexe, entraîne le lecteur dans un tourbillon d’horreur et de violence, d’amour et de solidarité. S’il s’agit de parler du plus grand nombre de femmes possible, le roman lui-même est conduit par Fari Echq, fille exilée pour ses positions politiques et qui veut connaître les vraies raisons de la mort de sa mère à Téhéran, circonstance autobiographique de la romancière elle-même. C’est un roman fragmenté dans le roman, envoyé à Tadjik, l’inspecteur, pour qu’il mène l’enquête. Elle confie, par bribes et avec pudeur et réserve son propre vécu, ses pensées intimes et ses frayeurs. La dénonciation est collective mais laisse percer le « je », au milieu d’autres femmes inoubliables du « Mollah Land » : Mme Echq la mère, Zahra Khanom, sa servante et Ozra la fille de celle-ci, la mère de Tajik, Mania, prostituée et fille du général fou Kiani, la fille handicapée de Tajik, Narguesse, la gynécologue subversive, Galia, la belle cousine. Dans son livre, Fari note : « Comment expliquer par les mots, le secret des femmes d’Iran, celles qui partagent avec tant d’autres le mal au monde au féminin. »

Deux années plus tard, paraît le premier récit d’une écrivaine beaucoup plus médiatisée aujourd’hui, Chahdortt Djavann (née en 1967). Elle publiait Je viens d’ailleurs, récit « par fragments (de) vingt ans de la vie d’une jeune iranienne révoltée par la violence du régime islamique installé par Khomeiny en 1979 ». L’année suivante, au moment du pic de « l’affaire du foulard islamique » dans les lycées français, elle faisait paraître, Bas les voiles !, pamphlet implacable contre le port du voile : « J’ai porté dix ans le voile. C’était le voile ou la mort. Je sais de quoi je parle. » En 2006 elle publie, Comment peut-on être français ?, long dialogue avec Montesquieu, la France, sa littérature et sa langue qui ne manque pas de saveur et transmet la douloureuse expérience de l’exilée déracinée à Paris et du calvaire de l’apprentissage d’une langue si éloignée du persan. L’énonciation autobiographique du premier récit a fait place à la prise de parole pamphlétaire pour s’arrêter avec le second roman à ce qui apparaît comme une autobiographie masquée puisque le personnage qui dit « je » se nomme Roxane Khân : la prénomination annonce, bien entendu, le dialogue avec Montesquieu et le patronyme accentue le clin d’œil persan par sa stéréotypie. En 2016, elle vient de publier une « enquête » fictionnalisée, violente et terrible, Les putes voilées n’iront jamais au paradis.

Même si elles ne sont pas écrites en français mais traduite de l’anglais, les œuvres d’Azar Nafisi (née en 1955) sont à connaître dans cette recension car elles ont été très lues en France. En 2004, Lire Lolita à Téhéran obtient deux distinctions littéraires. Classée dans les documents, une étude du texte montre qu’il a toutes les caractéristiques d’une autobiographie biaisée ou alors de « Mémoires » si, adaptant la définition donnée habituellement à ce genre, on l’applique à cette situation : un témoin privilégié se met en scène dans l’histoire de son temps et de sa société. C’est bien ce que fait cette professeure de littérature américaine. Démissionnant de son poste de professeur à l’université de Téhéran à la suite d’un certain nombre de péripéties de vie dont un premier renvoi et des mois sans activité professionnelle, Azar Nafisi décide de tenir, chez elle, un séminaire de littérature avec sept étudiantes choisies et volontaires.

Ce sont les lectures qu’elles partagent et leurs réactions qui forment la matière exhibée du document. Toutefois l’analyse montre que, ne suivant pas l’ordre chronologique et sélectionnant des séquences significatives, la narratrice opte pour une autre logique qui met en valeur le vécu des femmes, de jeunes femmes, ses étudiantes et son propre vécu. Les livres privilégiés sont Lolita de Nabokov, Gatsby le magnifique de Scott Fitzgerald, Daisy Miller de Henry James et Orgueil et préjugés de Jane Austen mais de nombreux autres sont cités. Le sujet apparent est bien le pouvoir de la littérature pour aider l’être à conserver sa liberté d’imagination malgré le carcan d’un totalitarisme ; mais il est aussi le lent cheminement qui conduit Azar Nafisi à prendre le chemin de l’exil après être revenue enseigner volontairement à Téhéran en 1979. En 2016, l’écrivaine a publié La République de l’imagination, traduit chez J-C. Lattès. Elle y défend encore et toujours la force de la littérature. Florence Noiville la présentant dans Le Monde, le 10 juin, conclut très justement, « Au fond, ce que veut nous dire Azar Nafisi, c’est qu’après l’Iran et les États-Unis elle a opté pour une tierce citoyenneté. Celle que délivrent le « savoir imaginatif » et la fiction. La République de l’imagination est à ses yeux le seul pays vraiment habitable. Le seul où l’on ne pourra jamais vous déchoir d’une nationalité rêvée. »

Une œuvre classée dans les témoignages mérite ici d’être évoquée pour sa force d’interpellation et l’information qu’elle propose sur la répression en Iran. Le Cahier d’Aziz édité par Chowra Makaremi (née en 1980), est la publication du cahier qui contient les mémoires de son grand-père, Aziz Zarei, disparu dix ans auparavant et qu’elle découvre en 2004. C’est en 2011 que paraît l’œuvre : elle rend hommage à la fois à ce père meurtri par l’arrestation de ses deux filles, et à sa mère et à sa tante. Toutes deux appartenaient à l’organisation de Mojahedine-e-Khalq (mojahedins du peuple) et ont subi les pires sévices. Chowra est la fille de Fatemeh, exécutée en 1988. Le cahier est suivi de lettres écrites par les deux prisonnières. L’œuvre est jalonnée de précisions historiques. Par la recomposition de tous ces éléments épars, l’œuvre dépasse largement l’impact d’un simple témoignage.

Il faudrait citer encore le travail que fait Nahal Tajadod (née en 1960) sur la culture persane, poursuivant le travail d’érudition de sa famille et, pour notre propos, ses quatre romans dont le dernier, Les simples prétextes du bonheur, chez Jean-Claude Lattès à cette rentrée littéraire 2016. Elle a obtenu la Grande Médaille de la francophonie en 2007.

Loin de leur Iran natal, « intégrées » ou moins dans le paysage littéraire et social français, ces écrivaines adoptent le geste littéraire avec la richesse de leurs cultures et le bonheur et la violence de leurs expériences personnelles et collectives. Elles offrent des fictions qui désignent la littérature comme l’espace même du refus de l’effacement et le lieu ludique de la construction langagière. Elles ont bien adopté cette « tierce citoyenneté » d’Azar Nafisi, faisant de leurs histoires singulières, un matériau humain et esthétique partagé par tous.

Négar Djavani, Désorientale, Liana Levi, 2016 (Le livre est désormais disponile en poche aux éditions de poche des éditions Liana Levi, Piccolo)

Fariba Abdelkah, La révolution sous le voile. Femmes islamiques d’Iran, Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 1991.
Ladane Azernour, Les larmes de l’exil. L’Iran confisqué, Ed. Les quatre chemins, 2004.
Chahla Beski-Chafik, en collaboration avec Farhad Khosrokhavar, Femmes sous le voile face à la loi islamique, éd. du Félin, 1995.
Chahdortt Djavann, Je viens d’ailleurs, éditions autrement Littératures, 2002 – Bas les voiles !, Gallimard, 2003. – Comment peut-on être français ?, Flammarion, 2006. En 2016, Les putes voilées n’iront jamais au paradis, Grasset.
Fariba Hachtroudi, Khomeiny Express, 2009 – Iran les deux rives du sang, Le Seuil, 2000  – Le Douzième imam est une femme ? en 2009 – Le Colonel et l’appât 455, Albin Michel, 2014.
Chowra Makaremi, Le Cahier d’Aziz, Gallimard-Témoignages, 2011.
Azar Nafisi, Lire Lolita à Téhéran, Plon, 2004 (10×18 en 2005) – Mémoires captives, Plon, 2009.
Zoyâ Pirzâd, C’est moi qui éteins les lumières (2011) et Le goût âpre des kakis, 2009, éd. Zulma, trad. de C. Balaÿ.
Nahal Tajadod, Passeport à l’iranienne, Jean-Claude Lattès, 2007 – même éditeur, Debout sur la terre, 2010 – Elle joue, Albin Michel, 2012 – Les simples prétextes du bonheur, Jean-Claude Lattès, 2016.