La Marelle accueille… La Marelle édite… La Marelle organise… des résidences de créations littéraires depuis 2010… des ouvrages imprimés ou numériques des auteurs en résidence… des actions culturelles vers des publics très divers.
La Marelle est donc une association à but non lucratif qui reçoit entre huit à douze auteurs par an, français ou étrangers, et s’ouvre à toutes sortes de projets littéraires, proposant aux résidents de s’approprier leur environnement provisoire, par exemple en facilitant les croisements avec d’autres disciplines artistiques (photo, musique, vidéo, théâtre, arts numériques, arts plastiques…). La Marelle, c’est aussi un lieu à Marseille… à la Villa des auteurs, la Friche la Belle de Mai à Marseille, une ancienne demeure reconvertie en bureaux et logements d’appoint.
Pascal Jourdana est le fondateur et l’animateur de La Marelle. Il répond à nos questions pour ce deuxième billet d’Archipels du numérique.
Peux-tu nous rappeler comment est née La Marelle, les grandes étapes du projet et comment tout cela fonctionne ?
Je suis arrivé à Marseille fin 1998, et j’y ai créé un ou deux ans après une agence littéraire, Premières Impressions. L’idée était de servir d’intermédiaire entre les auteurs et les éditeurs, plutôt dans une perspective d’accompagner les auteurs à la fois dans leur travail d’écriture et dans leurs relations avec les éditeurs. Les auteurs étaient parfois totalement novices, d’autres fois plus confirmés, mais dans ce cas se confrontaient à des changements qui les désorientaient : par leurs travaux mêmes (par exemple une auteure «jeunesse» à qui on disait que son nouveau projet était «adulte» mais qui après avoir présenté ce texte ailleurs se voyait répondre « Ce n’est pas pour nous, c’est trop “jeunesse” ») ou par des faits extérieurs (des auteurs abandonnés par un éditeur fidèle, licencié à la suite de rachats successifs de maison d’édition)… Je proposais donc à des éditeurs, en les ayant rencontrés auparavant, un certain nombre de textes aboutis ou bien avancés.
L’initiative a été saluée par la presse, relativement appréciée par certains éditeurs indépendants, comme Verticales, Balland, Buchet-Chastel, Le Serpent à Plumes (alors que je « visais » plutôt les groupes !), j’ai reçu et traité environ 200 manuscrits, pour un travail sur environ 70 d’entre eux, et une présentation de 20 textes au total. Sur cet ensemble, 7 auteurs ont été publiés, même si c’était parfois pour un autre texte que celui que j’avais présenté. Plutôt une réussite de mon point de vue (3,5 % de réussite par rapport aux 0,05 %, le pourcentage des manuscrits envoyés aux grandes maisons d’éditions qui finissent publiés !) mais évidemment un total échec commercial, impossible de vivre dans ces conditions. Et administrativement, j’avais fait l’erreur de choisir le régime de la SARL, alors qu’au fond l’objectif n’était pas commercial. Au bout de 4 ans, j’ai jeté l’éponge. C’est un peu lointain, tout ça, en quelque sorte la préhistoire, mais je tenais à raconter cela, car au fond, en y pensant aujourd’hui, j’y retrouve en écho une démarche identique à celle que je pense mener à La Marelle.
Par la suite, j’ai eu, en parallèle tout d’abord puis de plus en plus fréquemment, une activité de chroniqueur littéraire (L’Humanité, Le Magazine littéraire, et d’autres), d’animateur de rencontres, de conseiller littéraire et de programmateur d’événements, de cycles, de festivals. Parmi les plus importantes, Les Correspondances de Manosque, D’encre et d’exil, rencontres internationales des écritures de l’exil (Insulaires, 2009), Les Jeudis du Comptoir (Rencontres bimensuelles au café Les Danaïdes à Marseille durant plus de 6 ans)… La conséquence a été de créer une structure associative « Des auteurs aux lecteurs » pour structurer tout cela et travailler de manière plus indépendante, car les actions précédentes étaient toujours portées par des structures extérieures. Peu à peu, d’autres cycles de rencontres se sont mis en place, menés directement (Écrivains en dialogue, ABD Marseille…) de même qu’un festival, CoLibriS (littératures latino-américaines), qui s’est tenu durant 6 ans, jusqu’à l’arrêt des aides publiques pour cet événement.
Puis le moment clef : la proposition faite par Philippe Foulquié, ancien directeur de la Friche la Belle de Mai, qui connaissait mon travail, de monter un projet de résidence en un lieu qu’il m’offrait à la Belle de Mai, la villa des auteurs (appelée ainsi depuis un premier projet d’accueil d’écrivains étrangers à Marseille imaginé par Jean-Claude Izzo en 2000, mais jamais réalisé). Il a accepté en toute confiance mon projet de monter un lieu proposant aux écrivains de travailler sur leur propre projet (pas de commande, pas d’obligation de résultat) avec une certaine « philosophie » :
écrire en tenant compte de l’environnement (urbain, sociologique, artistique…), ne pas être « en retraite » mais être « en friction » avec ce qui entoure le lieu de résidence. D’où de nombreux projets à plusieurs (plusieurs auteurs, ou un auteur en collaboration avec d’autres artistes d’autres disciplines), d’autant que la taille de l’appartement (120 m2, trois chambres) permet aisément la cohabitation.
Et le numérique ?
Il se trouve que nous recevons plutôt de « jeunes » auteurs, ou des auteurs émergents. Ou encore des auteurs « confirmés », mais qui sont dans une démarche d’expérimentation, de découverte, de curiosité. Mes échanges avec eux (nombreux, car la résidence se prépare toujours très en amont, puis se poursuivent évidemment lors de la présence de l’auteur) ont souvent porté sur les nouvelles formes, et le numérique était naturellement associé à cela.
En fait, le projet initial prévoyait une partie « édition numérique », mais plutôt comme une manière de restituer avec simplicité et économie un travail abouti quand le projet allait vers le croisement artistique. En réalité, cela n’a pas du tout été mis en place ainsi, car les projets n’étaient pas pensés réellement pour être d’emblée « utilisables » sous un format numérique. C’est, sans fausse flatterie pour eux, le projet de Pierre Ménard et Anne Savelli (c’est Anne qui était en résidence et qui a invité Pierre) qui nous a mis sur la voie de l’accompagnement d’un projet spécifique, Laisse Venir, dont ils nous ont confié la future édition… alors même que nous n’avions aucun ouvrage encore paru en dehors de deux petites anthologies papier !
Les mois qui ont suivis ont été ceux de la recherche de la conception générale du projet d’édition, car nous avons alors d’emblée prévu d’autres titres. Mais il a fallu du temps avant de trouver les bons outils, le bon format, les bons développeurs…
En revanche, nous avons aussi mis en place à ce moment-là, suite à l’intérêt de la Drac Paca et au désir du conseiller livre de monter un réseau régional de résidences (La Marelle étant perçue comme « Pôle référent »), notre appel à projets pour une résidence d’écriture numérique.
Aujourd’hui, les auteurs arrivant en résidence se voient d’emblée proposer, dans la palette de nos formes d’accompagnement ou coproductions possibles, une future publication sous un format numérique. Cela oriente parfois le choix formel ou thématique des projets d’auteurs.
Quand j’ai entendu la première fois le nom de ta structure, forcément, j’ai songé au livre de Julio Cortazar : livre qui préfigure le site web avec ses liens hypertextes. Le choix du nom Marelle n’est pas anodin ?
En effet ! J’ai déjà parlé de Jean-Claude Izzo, qui avait commencé à imaginer un lieu de résidence ici même. Nous aurions pu donner son nom à notre projet, en mémoire, d’autant plus que je le connaissais un peu, et que j’avais énormément apprécié l’homme et l’œuvre. Mais « Villa Izzo » aurait donné une couleur trop « marseillaise », ou trop « polar » au projet. Je souhaitais que l’on se place sous les auspices d’un écrivain d’envergure internationale, mais aussi d’un inventeur de forme, d’un précurseur.
Il se trouve que je lis Julio Cortázar depuis longtemps, c’est un de mes auteurs favoris. Or Cortázar, à la fois très « Argentin » mais aussi très Français (il a été naturalisé par Mitterrand en 1981, en même temps que Kundera), était un auteur de cette trempe. Un « grand » qui n’hésitait pas à remettre en question son travail, à le réinterpréter, à le confronter à d’autres formes artistiques (il a collaboré avec des musiciens, des cinéastes, des peintres…). Il avait aussi des liens avec Marseille : son arrivée en bateau en 1951, une maison à proximité, dans le Luberon, des amis proches qui vivaient à Aix, et surtout ce livre emblématique de son œuvre Les Autonautes de la cosmoroute, le dernier paru de son vivant et qui se termine à Marseille, sur le Vieux-Port. des liens ténus, certes, mais significatifs, car cette œuvre, Les Autonautes… était d’une inventivité formelle extraordinaire, une sorte d’hybride entre le blog, le testament amoureux et un projet ludique aux contraintes quasi-oulipiennes…
J’avais songé d’abord à Villa Cortázar, puis, après un échange de courrier très aimable avec sa veuve, avais renoncé à inclure son nom, car elle souhaitait avec raison qu’il soit associé plutôt à un lieu consacré à son œuvre. Un instant désemparé, j’ai finalement pensé au titre de l’œuvre phare de Cortázar, Marelle, qui est en effet également une préfiguration d’expériences d’écriture composant de la non-linéarité, de l’hypertexte, de l’intertexte, du jeu… Et je ne regrette pas : « La Marelle » est plus parlant et percutant qu’un mystérieux « Autonautes » ou qu’un « Cortázar » qui n’aurait parlé qu’aux connaisseurs. L’image de la marelle (que nous représentons en colimaçon, la plus ancienne forme attestée de ce jeu qui date de l’époque romaine, voire avant) ajoute l’idée d’un parcours, de quelque chose d’à la fois centrifuge et centripète, tout à fait ce qui se passe en un lieu de résidence. Du centre (de l’appartement où vit et écrit l’auteur) partent des textes. Vers lui convergent les idées, les formes, les gens.
La première chose que je peux vous dire… est le nom de votre revue – nom inspiré de l’incipit de La vie devant soi de Romain Gary, encore un haut patronage !
Elle a connu une première série de six numéros entre 2014 et 2015, puis repris un peu plus tard sous une autre forme, chaque opus étant un cahier de restitution des résidences (Matthieu Duperrex, Rozenn Guilcher et le dernier, consacré à Sylvie Germain, actuellement en résidence).
Est-ce que la restitution de la résidence doit être forcément imprimée quand on connaît les coûts de fabrication et de diffusion ?
La forme blog, le site Internet ou d’autres outils numériques ne conviendraient-ils pas mieux ? Tu évoquais plus haut l’aspect expérimentation du numérique.
En fait, c’est curieux, mais les choses ne se déroulent pas ainsi. Une forme ne remplace pas l’autre. Ainsi les publications numériques que nous réalisons n’ont pas d’équivalent papier en parallèle (qu’elles soient de forme « homothétique » ou « innovante »). Et nous continuons d’aimer les textes imprimés sur papier ! Mais c’est vrai que l’aspect « coût » est très important. C’est une des raisons de l’abandon de la première formule de la revue, imprimée de façon traditionnelle et bien trop onéreuse pour les ventes qui en découlaient. Nous avons donc réfléchi à une nouvelle forme : des parutions beaucoup plus rattachées au temps de présence de l’auteur à Marseille, une impression en photocopie, rapide et pas chère. Mais tout de même une belle maquette et le principe constant d’un texte inédit à proposer au public. Cela nous permet d’encore mieux donner un aperçu à moindre coût, et très simplement, du travail de l’auteur au public venant à une rencontre, par exemple, ou aux partenaires avec qui nous travaillons. Un objet papier léger, et facile à donner, à faire circuler !
Quels sont tes meilleurs souvenirs de résidence ? Est-ce que les résidences sont nécessaires et utiles pour l’écrivain que vous accueillez ?
Nécessaire, je ne sais pas. Bien sûr, il y a ceux qui en ont un besoin crucial sur le plan financier. Ou qui, n’ayant pu faire l’impasse sur métier alimentaire mais trop chronophage, ont besoin de s’extirper du quotidien pour pouvoir se remettre en condition d’écriture. Et puis cela dépend tellement des auteurs, de la période à laquelle la résidence s’accomplit au sein de leur cheminement propre… Mais utile, certes oui ! Surtout quand les auteurs font le choix de l’expérimentation. Se disent que c’est une opportunité pour aller sur des terres inexplorées jusqu’à présent. Ou encore pour aller jusqu’au bout d’un temps préalable à l’écriture même, et dont on parle trop peu alors qu’il est une condition indispensable, celui de la recherche, de la récolte de matériaux, de la décantation, voire de la rêverie, tout ce qui précède l’acte d’écriture mais qui fait partie intégrante de la création.
Et je me souviens d’un petit texte de Guénaël Boutouillet (avec qui d’ailleurs j’aimerais bien prolonger cette réflexion) dans lequel il parlait de tout ce qui s’écrit « au-delà des “attendus” explicites d’une résidence. Le hors-programme en somme, d’une résidence. L’incalculable. »
Un exemple alors. Le roman de Laurence Vilaine qui vient de paraître cette rentrée, La Grande Villa. Le livre se déroule à La Marelle, dans cet appartement de résidence, qui pour l’auteure a été un secours, un réconfort, un endroit protecteur, et quantité d’autres choses. Un lieu qui « prend soin » de la narratrice, empli de lumières de respirations, de sensations… Ce n’était pas du tout son projet d’écriture au départ. Mais des circonstances extérieures, un deuil, ont fait que sa résidence initiale a été abrégée, et lorsque nous avons pu à nouveau l’accueillir plusieurs mois après, c’est ce qui a surgi, malgré elle. Le lieu lui a permis de reprendre contact avec l’écriture, et avec elle-même. C’est un cas très spécial, bien sûr, mais c’est un cadeau pour nous !
Sinon, beaucoup d’autres bons souvenirs auraient leurs places ici ! Mais citons François Beaune, parce que c’est notre premier résident et que nous avons un peu appris en même temps que lui ; Delphine Bretesché, car ses propres rencontres à Marseille nous ont rapprochés de voisins que nous méconnaissions ; Anne Savelli parce que c’est l’exemple même de l’auteur avec qui les liens sont profonds et durables ; Eduardo Berti parce que son «Inventaire d’inventions inventées» est une expérience au long cours qui va enfin trouver sa restitution sous forme d’exposition ; Emmanuel Darley, car c’était un ami et que sa disparition prématurée me laisse pantois. Le travail qu’il a accompli ici, inachevé, existe néanmoins, et pour moi, c’est tout sauf du vide… J’en oublie, trop !
Ce lundi 17 octobre, c’était la présentation de la nouvelle saison ? Quels sont les axes marquants et les écrivains invités ?
D’une manière générale, La Marelle, sans augmenter le nombre d’auteurs en résidence « longue », connaît plusieurs évolutions, qui se confirment pour 2017.
Davantage de rencontres publiques, d’actions en partenariat avec des centres sociaux, des établissements scolaires, des bibliothèques et des musées, de meilleurs échos dans la presse et auprès du réseau professionnel. Les projets des auteurs entrent plus en résonance avec le territoire et ses habitants, tout en demeurant artistiquement singuliers et personnels.
Nous avons également mieux équilibré les choix de programmation, en particulier dans l’articulation entre les auteurs «émergents» et ceux de très grande notoriété, ou entre écrivains «locaux» et écrivains venus d’ailleurs.
Nous produisons enfin de plus en plus de résidences qui aboutissent à une forme finale à l’incontestable réussite, et dont la visibilité et la reconnaissance rejaillissent sur notre travail. Et tout cela sans déroger à notre action première, soutenir la création, partir du projet d’auteur, sans commande de notre part et sans obligation de résultat !
Alors, pour 2017, nous restons éclectiques, pour recevoir aussi bien le très connu canadien anglophone Joseph Boyden que la discrète poète et performeuse Claude Favre (résidence annulée en 2015 pour raisons de santé), la jeune romancière Laure Naimski comme la dramaturge Lydie Parisse ou le scénariste de BD franco-libanais Joseph Safieddine. Tout cela est dans la lignée de nos « saisons » précédentes.
Ce qui est nouveau ? D’abord, la mise en place d’un dispositif de résidences «Livre Jeunesse en région Provence-Alpes-Côte d’Azur», avec au moins 4 projets d’auteurs-illustrateurs sur l’ensemble de la région Paca, menés systématiquement avec des partenaires locaux ayant les compétences et l’expérimentation de la médiation auprès de la jeunesse.
Et puis des projets « accompagnés », qui sont en quelque sorte des résidences hors-les-murs, comme « The Hole » de Berta Tarragó, qui a obtenu la bourse Résidences d’auteurs – Écrire pour la rue » décerné la SACD/DGCA, et « Carnets de l’Est » de l’auteur-illustrateur de BD Clément Baloup, qui va s’immerger durant 3 mois dans des quartiers méconnus de Marseille, la vallée de l’Huveaune, qui possède une très forte histoire sociale et industrielle, et pose des questions d’ordre urbanistique et écologique.
Et puis bien sûr, nous aurons les lauréats du 4e appel à projets « Résidence d’écriture numérique », cette année le trio Camille de Chenay, Samuel Leader et Célio Paillard, tout juste désignés par le jury, pour L’Observatoire, un excitant projet d’écriture collective qui questionne les processus de perception.
Quelle saison enthousiasmante !
Pour aller plus loin et découvrir La Marelle et ses productions :
Le site de La Marelle et son blog collectif alimenté par les auteurs en résidence
La revue La première chose que je peux vous dire
Les livres de La Marelle : imprimés ou numériques
