America 2016 : Colum McCann (Transatlantic)

Colum McCann (2014) © Christine Marcandier

La 8ème édition du Festival America aura lieu, à Vincennes, du 8 au 11 septembre prochain, rendez-vous incontournable pour les amateurs de littératures américaines. Diacritik est associé à plusieurs de ces rencontres et vous propose, durant l’été, de revenir sur quelques-uns des auteurs invités. Aujourd’hui, Colum McCann et Transatlantic, roman paru chez Belfond, désormais disponible en poche chez 10/18.

Et le monde de poursuivre sa course folle : Transatlantic de Colum McCann couvre trois siècles et sonde l’histoire de l’humanité — « un chantier à jamais inachevé ». Le lecteur rencontre d’abord les aviateurs Alcock et Brown, sur le point de réussir le premier vol transatlantique. Puis Frederick Douglass en pleine croisade contre l’esclavage et le racisme. Enfin, le sénateur George Mitchell qui tente de trouver un accord de paix en Irlande du Nord. Dans la seconde partie du livre, le roman bascule vers des figures fictionnelles et féminines, manière de sonder, comme nous le dit Colum McCann, les « angles morts » de l’Histoire officielle, les anonymes qui pèsent sur la course folle du monde et participent d’une même « fascination de l’impossible », point commun de toutes les figures mises en récit, qu’elles soient attestées ou fictives.

Colum McCann (2014) © Christine Marcandier

On pourrait croire, d’abord, à un recueil de nouvelles. Rien ne lie ces différentes destinées sinon leur caractère « transatlantique », pont entre l’Amérique et l’Irlande ou le fait que chacune illustre un état du monde comme la volonté de le transformer : chacun « aimerait voir se dégager une ligne d’horizon ». Tous sont pris dans une conquête de liberté, qu’il s’agisse de s’affranchir de jougs géographiques, sociaux, politiques, raciaux ou religieux. Certains ne sont pas a priori des personnages de roman, ils ont existé mais Colum McCann choisit de les raconter selon l’angle de la fiction, de l’hypothèse biographique, dans des moments intimes, non officiels. L’homme sous la figure publique, loin de l’image donnée à l’époque dans les medias. Frederick Douglass sous « le conquérant noir, le gentleman-esclave, l’Orphée américain », quand bien même ces figures iconiques disent aussi le monde comme il fut, le monde comme il va.

Capture d’écran 2016-08-21 à 11.44.31Mais les chapitres qui pourraient d’abord sembler se juxtaposer – illustrant « la vie et l’art de distribuer les imprévus. De ne jamais rien achever » –, voient des lignes de force apparaître et « les contextes s’entrecoupent » dans ce monde « éternel spécialiste des changements de cap » : Amérique et Irlande, la folie de l’homme (celle meurtrière de la Première Guerre mondiale, des attentats en Irlande, des meurtres racistes) mais aussi sa soif de conquête, de liberté, ses défis permanents, la volonté d’être « hors de tout continent », d’abolir frontières et distances. Enfin se nouent des liens via des personnages secondaires et réapparaissants, comme Lottie Ehrlich, croisée dans le récit consacré à Alcock et Brown, qui revient dans celui centré sur George Mitchell.

De fait, le véritable personnage principal de Transatlantic est l’histoire, définie dès l’exergue du roman à travers les mots d’Eduardo Galeano comme « jamais muette. On a beau se l’approprier, la briser, la couvrir de mensonges, l’histoire de l’homme refuse de se taire. Malgré la surdité et l’ignorance, le temps jadis continuer de s’écouler dans le présent ». La forme labile du roman permet d’épouser ses méandres, ses paroles muettes et parfois gelées, d’extraire de multiples destinées – historiques comme anonymes – la voix d’un progrès, le chemin d’une aventure collective.

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L’ambition de cette traversée du temps comme de l’espace est immense : dire l’histoire, ses crises et ses mutations à travers de multiples destinées, rendre le « miracle du réel », refuser les vérités univoques (« il y a toujours assez de place pour deux vérités au moins »). Mais aussi adapter sa prose, son vocabulaire au contexte social, littéraire et historique dans lequel évolue chaque personnage. Le roman, « grand puzzle des choses », s’affirme « ruban de Möbius », montrant que « nos vies sont des tunnels qui parfois se connectent », que passé et avenir composent conjointement nos présents, qu’un fil rouge se devine à travers hasards et coïncidences, « imprévus » et inachèvements. Car « le monde a ceci d’admirable qu’il ne s’arrête pas après nous ».

Colum McCann (2014) © Christine Marcandier

Transatlantic peut être lu comme une simple fresque historique mais aussi comme un roman d’une ampleur « folle » qui rassemble tous les fils ce que l’écrivain irlandais exilé aux États-Unis a jusqu’ici tissés dans son œuvre et à la définition du roman qu’il avait donné aux Assises de Lyon en 2009 : « L’écriture doit être à l’écoute des blessures apparentes dans le présent telles qu’elles se manifestaient hier, et ainsi donner sens à ce qui est à venir. Il y a de longs fils au sein de la toile. Les grands écrivains, en ce sens, vivent à deux, trois époques : leur temps immédiat, le passé et le temps qu’ils ne peuvent pas encore appréhender. »

Colum McCann, Transatlantic, traduit de l’anglais (Irlande) par Jean-Luc Piningre,10/18, 2014, 360 p. 8 € 10