Alexander Kluge : « Tous les sentiments espèrent une fin heureuse » (Chronique des sentiments I)

Alexander Kluge (2020) © Martin Kraft (Wikicommons)

« Les supérieurs hiérarchiques les plus élevés ne sont pas rapatriés par leurs camarades haut placés : Hanns Martin Schleyer n’est pas récupéré en 1977, le feld-maréchal Paulus n’est pas sauvé en 1942. Les pannes ont lieu aux points de contact entre les compétences centralisatrices : la 6e armée et ses voisins en 1942 ; la police criminelle (BKA) de Rhénanie du Nord-Westphalie, Erfstadt-Liblar en 1977. Dans sa cellule de l’ancienne prison de Tegel, Horst Mahler parle des morts de Stammheim, de son programme politique d’il y a six ans : une erreur pour laquelle néanmoins des gens sont morts, méprise stratégique dans les années 1970-1978 – la position du feld-maréchal von Manstein au sujet de Stalingrad en 1943 : des erreurs on ne peut plus évitables sur le fond, des victoires perdues ou volées, « erreur de gestion ». Etc., etc. Bien que tous les détails relatifs au chaudron et au temps présent puissent être mis en relation, ainsi qu’un nombre incalculable d’exemples le souligneraient, « … L’histoire de toutes les générations disparues pèse comme un cauchemar sur le cerveau des vivants » = Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, p. 504 –, il convient d’insister sur le caractère profondément révolu et inaccessible de Stalingrad du point de vue actuel. Il n’est personne en Allemagne qui ressente, voie ou pense comme l’un des intéressés de 1942 (c’est l’auteur qui souligne). »

Cet extrait de « Stalingrad comme message » fait partie d’un grand ensemble autour de la bataille de Stalingrad (Description d’une bataille) dans le volume 1 de Chronique des sentiments d’Alexander Kluge. Il n’y a pas de point d’interrogation, pourtant la question posée reste entière : est-ce que les « erreurs de gestion » de cette bataille peuvent servir de message à la police allemande face au terrorisme des années soixante-dix ? Schleyer, patron des patrons et ancien SS, enlevé par les terroristes de la fraction armée rouge (RAF) et offert en échange contre Baader, Ennslin, Raspe, Möller, détenus dans la prison de Stammheim, a été aussi bien sacrifié pour des « raisons d’état » que le feld-maréchal Paulus et sa 6e armée à Stalingrad. On peut toujours trouver un moyen de mettre en relation le chaudron de Stalingrad avec le temps fort du terrorisme allemand des années soixante-dix ou encore notre présent, Kluge conclut néanmoins à l’inaccessibilité du message. Les enfants sur la photo « connaissent Stalingrad par les bande dessinées », apprend-on par la légende, et en passant la page : « Plus on scrute un mot de près, plus il nous regarde de loin. »

Comment aborder cette œuvre monumentale ? Comment lui rendre justice ? Comment la lire, comment démêler les activités de l’écrivain, du conteur, de l’essayiste, du scénariste, du cinéaste, du producteur de télévision, et la liste n’est pas close ? D’autant plus que son maître mot est Zusammenhang (ce qui tient ensemble, ce qui est imbriqué l’un dans l’autre, se conditionne et s’interpénètre). Dans Geschichte und Eigensinn (Histoire et obstination), les deux auteurs (Alexander Kluge et Oskar Negt) donnent un mode d’emploi qui pourrait bien s’appliquer à la Chronique des sentiments :

« Dans un monde où il est évident que des catastrophes arrivent, nous sommes intéressés par ce qui travaille et modifie la matière. Ce sont les pouvoirs du travail historique, issus de processus de séparation, muni d’un sens d’obstination qui se défend contre cette séparation.
En abordant cette matière, nous sommes arrivés à une forte concentration et condensation du contenu, au point que nous avions songé plusieurs fois s’il ne valait pas mieux écrire plusieurs livres au lieu de concentrer tout dans un seul. S’y oppose l’intérêt principal de notre livre : la catégorie du Zusammenhang (corrélation). Nous faisons donc confiance à l’attention détendue du lecteur.
Nous attendons que le lecteur de ce livre développe son propre intérêt en piochant dans les contenus qui ont affaire avec sa vie. De cette manière, le livre se résume rapidement. Il y a des livres qu’on lit du début à la fin. Il y en a aussi dont la vertu est leur réitérabilité. On les lit, puis on les relit.
Aucun livre n’offre plus que la possibilité d’autonomie du lecteur. »

***

Le premier volume de ce grand ensemble de plus de 1000 pages a trouvé contrairement aux publications précédentes et plus discrètes un écho dans la presse nationale : George Didi-Hubermann a signé un article et un entretien dans Le Monde, Gérard Lefort l’a présenté dans les Inrockuptibles. Sous le même titre, Kluge avait rassemblé une première fois en 2000 ses histoires en deux volumes (Histoires de base, Cours de vie) chez son éditeur allemand Suhrkamp. Le fait que la « version française » arrive 16 ans après l’édition « originale », elle-même déjà une sorte de réorganisation de tous les volumes parus depuis les années soixante et puis complétée par d’autres parus depuis 2000, ne rend pas la tâche des éditeurs et traducteurs français facile. Leur travail est d’autant plus louable et impressionnant. Pour l’auteur, c’est une aubaine : regrouper ses histoires sous un seul titre, qui va du volume 1 au volume 5, sans se soucier de ce qui dans l’édition allemande compose le côté à la fois assemblé, éparpillé et en constante évolution de ses histoires. Cela pourrait même être une orientation, voire l’édition qui fait référence, pour une nouvelle édition « originale » augmentée et actualisée des chroniques en allemand, une première dans l’histoire de l‘édition.

Vincent Pauvel et son équipe en étroite coopération avec l’auteur ont donc redessiné le premier volume. S’il porte encore le nom et le sous-titre de l’édition allemande de 2000, les contenus à l’intérieur de cet ensemble des «histoires de bases» ont bien changé. « Qui tente un mot de réconfort est un traître », 48 histoires pour Fritz Bauer, initialement publiées en 2013, sont de la sorte entrées dans ce premier volume. C’est aussi le cas du bloc thématique qui ouvre le volume : Les coureurs de vies et leurs histoires de vies, histoires publiées dans le volume Das fünfte Buch (Le cinquième livre) en 2012. Heidegger en Crimée et Description d’une bataille ont été largement révisées et revues, pour des raisons d’actualisation et d’adaptation au public français. D’autres ont disparu, réservées pour la suite, prévue en 2017. Les dernières histoires publiées en Allemagne renvoient une nouvelle fois à ce qui pourrait être le fil conducteur des chroniques dans leur ensemble : la corrélation.

Kongs große Stunde – Chronik des Zusammenhangs (Le grand moment de Kong – chronique de la corrélation) introduit par conséquent des pages intercalaires avec des pistes d’approfondissement soit dans les histoires précédentes, y figurant avec leur titres, volumes et indication de page, soit dans des films, indiqués par leurs titres, extraits avec le timecode. Ils ne manquent plus que les liens vers les productions télévisuelles en ligne sur sa chaîne dctp.tv afin de compléter l’univers ou en faire une œuvre totale. Cependant, cette œuvre ne se place pas dans une revendication wagnérienne suggérée par ce titre, elle vise davantage un inventaire historique et personnel à la fois, patiemment construit et collectionné depuis plus de cinquante ans.

Le nom de Kong, diminutif de King Kong, n’est pas pour rien dans cette parenthèse (le terme allemand de ce signe de ponctuation – Klammer – le marque encore plus par cette notion de pince – qui tient tout ensemble sans pouvoir vraiment le contenir et éviter les débordements). King Kong est pour lui le personnage qui donne à réfléchir et met mal à l’aise dans ce plan d’une charge symbolique intense : lorsqu’il protège la femme blonde et se défend lui-même contre les avions qui l’attaquent – ou est-ce l’Empire State Building qu’il protège ? Qui est le singe, qui est la femme, qui sont les avions ? Il n’y a pas de réponse univoque, la configuration selon Kluge renvoie comme un effet de miroir à notre incertitude. Trancher entre le bien et le mal, une exigence centrale du film ou de tout blockbuster hollywoodien, est ici remise en question dans une seule image. Autrement dit selon Kluge, cette image « creuse » comme un foret nos entrailles et remue nos états d’âme. Par ailleurs, le souci de Kluge pour rapporter toute réflexion abstraite à un langage concret est permanent. Comme il le dit ailleurs : « On ne peut utiliser la raison que si c’est une forme intense et accentuée du sentiment. » Le concret aide à « accentuer le sentiment », le foret apparaît aussi dans ce qu’il nomme explicitement « politique » : Du forage de planches épaisses (Vom Bohren dicker Bretter). Cela ne veut aucunement dire que les autres histoires ne seraient pas politiques, mais quand on est aux premiers postes, les obstacles sont plus durs et plus épais, et il faut oublier ceux qui brassent beaucoup d’air et font comme si c’était un jeu d’enfant, les Dünnbrettbohrer (littéralement les foreurs de planches fines, les partisans du moindre effort, dont le travail n’est bien fait qu’en apparence) notamment.

Les chroniques, ressemblent-elles davantage à des planches épaisses ou à des planches fines ? Kluge laisse au lecteur le souci de trancher, s’il le souhaite vraiment, mais est-ce nécessaire ? Il y a des histoires avec des chutes surprenantes comme dans une nouvelle bien construite, mais ce n’est pas le premier souci de l’écriture de Kluge. En lisant sa chronique, on est constamment amené à faire des choix impossibles devant la contingence des histoires, à penser d’autres issues possibles, de plus heureuses évidemment, l’espoir étant le moteur de nos sentiments.

Ces issues alternatives peuvent se trouver entre les lignes – tel un raccord cinématographique révélant l’image invisible – ou sont évoquées par l’auteur lui-même – au détour d’un de ses principes de « processus d’apprentissages avec issue mortelle ».

Ce qui étonne et détonne, c’est la capacité de Kluge à relier raison et sentiments, la première sans les seconds débouchant selon lui sur un monde inhumain. La même chose s’opère entre histoire (s) personnelle(s) et l’histoire, celle avec un grand H. C’est pourquoi aussi aucune histoire n’est définitive, non seulement une fin peut se rouvrir autrement, mais aussi une circonstance atténuante peut détourner le regard ou rendre fou.

***

« De l’aptitude à exercer les fonctions de juge », une histoire qui a également servi dans le film La force des sentiments (1984) indique par son sous-titre la confusion dans laquelle il faut parfois rendre un jugement : « à chaque fois que le juge posait une question, les faits se dérobaient. » Dans cet interrogatoire, Kluge pousse chacun des protagonistes dans ses retranchements. Pourquoi une femme qui ne sait pas se servir d’un fusil, va en chercher un dans une armoire fermée, se tire d’abord dans sa propre cuisse puis, dans un deuxième tir, atteint son mari en pleine poitrine, qui meurt sur le coup ? La logique de l’échange est difficile à résumer, cette rencontre entre langue, investigation juridique et réponses instinctives, donc voici un extrait :

– Je voulais tirer.

– Mais pour tirer, il faut deux choses : le fusil et son mode d’emploi.

– Je n’en avais pas.

– Pourquoi alors avez-vous pris le fusil ?

– Pour tirer.

– Sur qui ?

– Je ne le savais pas encore à ce moment-là.

– Pourquoi avoir sorti le fusil alors ?

– Je voulais tirer un coup de feu.

– Nous tournons en rond, dit le président. Je repose ma question : sur qui aviez-vous l’intention de tirer ?

– Je n’en savais rien.

– Aviez-vous l’intention de tirer en l’air ?

– Ça dépend.

– Cela dépend de quoi ?

– De ce qu’en dit mon mari.

– A-t-il dit quelque chose ?

– Il était trop soûl pour dire quoi que ce soit.

– Et cela, vous l’aviez vu ?

– Assurément.

– Alors pourquoi avoir sorti le fusil ?

– Pour tirer un coup de feu.

– Ce n’est pas ainsi que nous avancerons.

(…)

– Vous avez tourné le fusil sur son axe, c’est-à-dire qu’en le brandissant vous l’avez retourné ?

– Je ne sais plus.

– Il faut que vous l’ayez retourné, puisqu’il était d’abord rangé le canon tourné vers la paroi de l’armoire, avant que vous n’écartiez la moustiquaire. Ensuite le canon était pointé sur votre cuisse. C’est ce que nous déduisons du fait que le premier coup de feu a touché votre jambe.

– On m’a amputée de cette jambe à l’hôpital militaire, car l’os était réduit en bouillie. Il faut donc que j’aie tourné le fusil.

– Pourquoi avez-vous retourné le fusil contre vous-même ?

– C’est comme je vous dis, je ne sais plus.

– Mais il faut bien qu’une intention ait présidé à la rotation. Quel était votre but ?

– En tout cas ce n’était pas pour me flanquer une décharge dans la jambe.

– Pourquoi donc ?

– Je voulais tirer un coup de feu.

– Afin que votre mari vous réponde ?

– Oui.

– Mais comme vous le dites vous-même, il était trop soûl pour ça.

– C’est ce que je voyais.

– Alors pourquoi ce coup de feu ?

– Je ne sais pas.

– Mais vous vouliez tirer un coup de feu ?

– Ça, c’est sûr.

– Cette intention, vous l’aviez en sortant le fusil et en le tournant vers vous ?

– C’est là précisément que j’avais cette intention. C’était là mon but. Il fallait faire feu.

– Maintenant, lorsque vous continuiez à brandir votre fusil en visant la poitrine de votre mari, quel était l’objectif visé à ce moment-là ?

– À ce moment-là je ne poursuivais aucun but. J’avais mal à la jambe.

– Étiez-vous prise de frayeur ?

– Je ne sais pas.

– Quel but recherchiez-vous en pointant le canon du fusil sur votre mari ?

– Que cesse la douleur.

– Quelle douleur ?

– Celle de ma jambe.

– Pas la douleur des années passées ?

– Je ne sais pas.

– Pourtant vous vouliez continuer à tirer ?

– J’étais allée au bout de mon intention. J’avais tiré ce coup de feu. Alors je ne voulais plus tirer du tout.

– En êtes-vous sûre ?

– Non.

Plus l’interrogatoire dure, plus le déroulement, les mobiles et le contexte s’évanouissent, et le juge et ses assesseurs, patients et bienveillants, dont aucun n’a l’intention d’accabler cette femme humble et déjà suffisamment éprouvée, se trouvent au bord d’un gouffre. Aucun élément ne leur permet de décider si elle a tué son mari devenu insupportable par exaspération, légitime défense, accident, avec ou sans circonstances atténuantes. Mais la confusion qui s’empare d’eux n’est pas prévue dans la machine juridique, chaque procès doit se terminer par un jugement. Comme il s’agit de juges réputés, dont aucun des jugements n’a été cassé auparavant, ils concluent à un acquittement tout en espérant trouver la bonne formule pour dire qu’aucune « personne » (excepté le mort) n’a été impliquée dans une suite d’événements inexplicables et dépourvus de toute logique.

***

Ce procès illustre la complexité de l’humain que Kluge cherche à explorer par ses histoires à moitié véridiques, à moitié inventées comme il le dit lui-même. L’invention sert le plus souvent à intensifier le cadre, les rapports entre les protagonistes et leurs comportements sans jamais pouvoir les rendre nets et univoques. La combinaison des termes même, chronique et sentiments introduisent cette ambiguïté en formant une sorte d’oxymore.

Tandis que la chronique appelle à fixer et à ordonner les choses, ne serait-ce que dans la chronologie, les sentiments sont plus complexes et ne se laissent guère fixer, surtout leur force nous échappe le plus souvent. Même si leur « origine » peut être une distinction simple entre le chaud et le froid, à partir de laquelle Kluge nous explique dans une de ses histoires la nostalgie du chaud qu’on peut éprouver lorsqu’on a froid. De la période glaciaire où naissent d’après l’auteur les sentiments et la nostalgie du paléozoïque, lorsque l’océan avait la température du corps, au sentiment océanique de Freud, il n’y a qu’un pas. Ainsi, Kluge arrive-t-il à relier dans ses histoires le passé le plus lointain au présent le plus proche. Elles sont chargées, voire saturées de mémoire individuelle et collective.

Les sentiments interviennent autant dans la grande histoire que dans les histoires personnelles. Toutes deux se trouvent imbriquées par la technique de montage et de changement de point de vue utilisés par Kluge. Il y paraît indéniablement la griffe du cinéaste qui dit d’ailleurs que s’il pouvait mettre des images en mouvement dans ses livres il s’abstiendrait de faire du cinéma. Dans un entretien avec Vincent Pauval (Europe, 2016), Kluge précise :

« Conter implique de relier l’ensemble le plus directement possible, « en un éclair » dirait Walter Benjamin. Le concept serait dépourvu de toute substance sans la précision, la part insaisissable, le côté libre et indomptable qui réside dans la matière, laquelle rechigne à éclairer le concept. La littérature se refuse de servir. Suivant une expression anglaise assez récente, on parlerait de cross-mapping, c’est-à-dire de croiser plusieurs irréalités en les superposant, et donc de les frotter l’une contre l’autre jusqu’à faire jaillir l’étincelle : c’est cela la littérature. »

On peut trouver cet « éclair » dans l’histoire personnelle de Kluge. à l’âge de 14 ans, il a failli mourir d’une bombe alliée qui est tombée avec une myriade d’autres sur sa ville natale de Halberstadt. Cette image traumatisante n’est pas pour rien dans sa volonté de revenir régulièrement à la Deuxième Guerre mondiale en particulier et aux conflits guerriers en général, toujours avec le même souci de placer hommes et femmes au centre de ces événements à la fois meurtriers et absurdes. Il s’agit de saisir l’humain dans ce qui le dépasse, mais aussi dans ce qu’on sous-estime de ses forces souvent insoupçonnées ou associées à des logiques externes, extrahumaines, automatismes, contraintes, mimétismes, etc.

(Der unterschätzte Mensch), coécrit également avec Oskar Negt, est à la fois une réponse ironique à L’obsolescence de l’homme (Die Antiquiertheit des Menschen) de Günter Anders et une façon de réhabiliter les occasions manquées de l’histoire, chères à Benjamin, et travailler au sauvetage, à la conservation de ce qui est le plus précieux dans l’humanité : la compassion, l’empathie, la générosité.

Si la critique de la raison kantienne a été d’après Kluge une réaction au trop-plein de l’imprimé provoqué par la révolution de Gutenberg, il nous faudra autre chose aujourd’hui, dit-il dans le même entretien avec Vincent Pauval : dans le trop-plein de silice, de sable qui vient nous noyer depuis le Silicon Valley, il faudrait créer des oasis poétiques pour contrer cette tendance envahissante.

C’est ce que Godard, un cousin proche de Kluge, mais aux penchants mélancoliques, a retenu dans l’expansionnisme occidental, rappelant à son tour les mégalomanies politiques :

« Pourquoi l’Ouest veut envahir ce pays ? C’est évident, parce que c’est la patrie de la fiction. Et l’Ouest ne sait plus quoi inventer. » (Les enfants jouent à la Russie, 1993)
« Pourquoi l’Ouest veut envahir ce pays ? C’est évident, parce que c’est la patrie de la fiction. Et l’Ouest ne sait plus quoi inventer. » (Les enfants jouent à la Russie, 1993)

De nouveau des enfants, tel un écho à la photo résumant « Stalingrad comme message » citée en entrée. Remettre la fiction à l’honneur, saisir le réel par ce biais, c’est pour résumer ce que Kluge entreprend dès ce premier volume de sa Chronique des sentiments.

On peut le dire, le prédire dès ce premier volume qui en appelle déjà d’autres. « Tous les sentiments espèrent une fin heureuse » comme nous espérons que Vincent Pauval, son équipe et P.O.L tiennent bon dans ce défi éditorial.

Alexander Kluge, Chronique des sentiments (Tome 1 – Histoires de base), édition dirigée par Vincent Pauval, éditions P.O.L, 2016, 1136 p., 30 € —  Lire un extrait en pdf