Lisière, par Hélène Giannecchini (Anne-Lise Broyer, Photo-graphie 1/3)

Lisière © Anne-Lise Broyer

Dans la lumière de fin de journée une photographie est posée sur un chevalet au milieu de la grande table en bois. Anne-Lise Broyer travaille, concentrée et silencieuse, crayon et gomme à la main. Avec un infini soin elle trace des sillons noirs puis les estompent pour faire frémir un bosquet de feuilles au premier plan de son image.
Voir Anne-Lise Broyer dans ce temps secret de la création est une chance parce que ses photographies ne sont pas une simple surface mais un pli qu’il faut ouvrir pour que s’y dévoilent Marguerite Duras, Georges Bataille, Bernard Noël ou Pierre Michon qui innervent ses recherches, le corps rendu à son animalité primaire dans le temps de la prise de vue ; parce que des heures de dessin minutieuses jusqu’à l’égarement font vibrer le monde enregistré sur la pellicule.

Anne-Lise Broyer évolue sur une ligne de crête, habite une lisière ; celle de l’heure bleue où le jour coagule lentement à la nuit, celle de la blancheur où la photographie est poussée jusqu’au bord de sa disparition. Dans le moment de la chambre noire, avec son tireur, elle choisit de ne révéler que certains endroits de son négatif, de pousser la photographie dans ses gris. Elle se donne un squelette d’image qui émerge de la blancheur froide du papier photogénique. Ensuite, elle dessine, prolonge et module le réel à la mine graphite qu’elle mêle à la gélatine. En passant devant ses œuvres, la lumière réfléchit sur les brillances perturbe notre regard : elle anime les reliefs, rend la matière vivante, inverse les valeurs, ravivant une mémoire primitive de la photographie où chaque image était à la fois « négatif, positif et miroir ».
Du grain, des gris : Anne-Lise Broyer cherche une photographie dénuée de la grandiloquence des effets, comme une écriture blanche ; simple mais acérée. Au spectateur de déployer ce territoire poétique ; à lui de révéler l’image latente.

Hélène Giannecchini

Anne-Lise Broyer, Abbadia #3
© Anne-Lise Broyer, Abbadia #3

Dessin à la mine graphite sur tirage argentique, 2016, format 80×120 cm © Anne-Lise Broyer courtesy La Galerie Particulière Paris. Extrait de la série « Regards de l’égaré ».