Le mur de Berlin, 1982 (Photo-graphies)

© Philippe Bazin

Dans son Combat pour Berlin, Goebbels emploie dans des circonstances variées, mais toujours péjorativement, un mot bien plus révélateur. Ce livre a été écrit avant la prise du pouvoir, avec pourtant déjà une grande confiance dans la victoire, et il décrit les années 1926-1927, époque à laquelle Goebbels, arrivant de Rhénanie, commence à conquérir la capitale pour son parti. Ici, le mot qui marque l’aversion et qui revient toujours, c’est « asphalte ». L’asphalte, c’est la couverture artificielle qui sépare les habitants des grandes villes du sol. Les poètes lyriques naturalistes sont les premiers (vers 1890) en Allemagne à l’employer métaphoriquement. Une « fleur d’asphalte » signifie à l’époque une prostituée berlinoise. À ce mot n’est associé presque aucun blâme car, dans cette poésie lyrique, la prostituée constitue une personnalité plus ou moins tragique. Or, chez Goebbels, pousse toute une flore d’asphalte, et chacune de ces fleurs est vénéneuse et le manifeste. Berlin est le « monstre d’asphalte », ses journaux juifs, ouvrages sans valeur de la « journaille » juive, sont des « organes d’asphalte », le drapeau révolutionnaire de la NSDAP doit « battre l’asphalte en brèche », le chemin qui mène à la perdition (celui du marxisme et de l’absence de patrie), « le juif l’a asphalté avec des phrases et des promesses de fourbes ». La vitesse folle de ce « monstre d’asphalte a rendu l’être humain sans cœur et sans âme » ; ainsi, c’est une « masse informe du prolétariat mondial anonyme » qui vit ici ; ainsi, le prolétariat berlinois est « un morceau d’apatridie »

Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, traduit par Elisabeth Guillot, Pocket, 2003

Berlin 1982-014
© Philippe Bazin