Quentin Pradalier : On a interrompu le mouvement de l’oubli

© Quentin Pradalier

 Des gens sont passés, des gens ont habité.

Après eux, le chant du silence. Et un lieu vide, soumis à la peine du cadenas et enchainé à l’absence. En ville, les ruines à peine oubliées sont rattrapées par les permis de démolition. Les lieux vont, viennent, grimpent, chutent et la terre des fondations, un instant découverte dans la boue des excavatrices, est sitôt noyée sous la mécanique des citernes de béton. Et la mémoire manque.

Mais quelque part dans ce processus, on a interrompu le mouvement de l’oubli. Dans un dernier hommage, on a organisé l’enterrement d’habitants déjà disparus. La boue originelle a figé cette cabine de douche, l’a dissimulée sous une couche protectrice, la rendant à jamais éternelle dans la mémoire de son usage. Les seuls témoins de cette archéologie à rebours sont l’opérateur de l’image et surtout, l’image elle-même. Cette image, c’est l’empreinte du lieu. On pourrait croire qu’elle aussi a vécu la dégradation de l’abandon, qu’elle est restée là, dans l’humidité et les courants d’air. Cette prise de vue, parce qu’elle est marquée par ce temps et cet espace, n’est plus seulement un tirage en deux dimensions, c’est un objet-preuve qui agit sur le spectateur comme une relique.

De ce genre de reliques qui raniment en nous des prouesses enfantines de chercheurs de trésor ; les mains dans la terre, nous dégagerions d’abord cette image trouvée au hasard d’un désordre. Puis le regard et l’imagination gratteraient derrière la boue du papier noir et blanc, jusqu’au carrelage immaculé et aux corps nus qui s’y baignèrent.

© Quentin Pradalier

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