Quentin Pradalier : Je cherche un homme, par Ludovic Drouet (Photo-graphies)

© Quentin Pradalier (détail photographie)

La première fois que je l’ai vue, cette photographie, c’était à une exposition, au vernissage, ça m’a tout de suite frappé. Peut-être était-ce parce que je venais de terminer un livre, Le Navire Night, de Duras. Oui, ça m’a fait penser à un passage : « C’est un orgasme noir. Sans toucher réciproque. Ni visage. Les yeux fermés. Ta voix, seule. Le texte des voix dit les yeux fermés. Aucune image sur le texte du désir ? Alors il n’y a rien à voir. Rien aucune image. Le Navire Night est face à la nuit des temps ».

© Quentin Pradalier
© Quentin Pradalier

La technique du collodion humide ouvre sur la nuit des temps, la plaque de verre est un hublot, je m’y penche, j’y colle mon nez. Qu’est-ce que je vois ? Rien ? Si, un peu quand même. Rémanence d’une partouze dans les abîmes. Avec les abîmes. Souvenir d’une persistance rétinienne hallucinée. Mon globe oculaire est une planète noire dans un univers où les morts tortillent du cul. Alex Barbier dit :

« Dans l’obscurité il n’y a plus de regard. Le corps n’y est plus qu’un objet ».

Eros Acéphale : un corps nu erre sans visage. La photographie devient image de surveillance, caméra de sécurité postée en enfer nous envoyant régulièrement son compte-rendu sous forme de mauvaises nouvelles du désir. Le problème avec les pulsions c’est qu’on ne peut pas les fuir. Elles viennent du dedans. Aveugles et sans têtes. Est-il possible de faire du désir l’objet du désir sans verser dans la jouissance aveugle ni goûter au phénomène de la solitude et à sa violence non adressée ? Que nous dit l’image qui censure les visages et floute les bites ? L’image nous dit : la beauté a du nitrate dans les ailes et les anges du poil au cul, la tête c’est ce qui se mange en premier, par-contre le corps, il faut le garder pour le dessert. Et mon ventre gargouille déjà de plaisir. Duras encore :

« C’est l’appel lancé dans le gouffre, le cri, qui déclenche la jouissance ».

On m’a dit un jour que la pudeur était instinctive. Je suis resté circonspect. Et là, ces deux mains, avec leurs doigts entrelacés, que font-elles juste au-dessus du sexe si elles ne le cachent pas ? Juste au-dessus du sexe dis-je. Mais orientées vers le bas, comme une prière, un credo fait aux bas-fonds. Ou peut-être simplement qu’il se tourne les pouces en attendant. Attendant quoi ? JE CHERCHE UN HOMME, pourrait-il dire, mais j’ai perdu ma lanterne et mes yeux n’existent pas. Pourtant ma jambe gauche est plus près de vous que ma jambe droite. Ça veut dire que j’avance… Je vais sortir du cadre à jamais. Je cherche un homme, je vais continuer, je le chercherai dans le noir qui sépare les soleils, c’est pour cela, à cela, que j’avance.

Ludovic Drouet

Ludovic Drouet est étudiant en mise en scène à l’Institut National Supérieur des Arts du Spectacle à Bruxelles. Depuis quelques années, il travaille également à la clinique psychiatrique de La Borde.

 Le site de Quentin Pradalier

© Quentin Pradalier
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