Papier à bulles (1) : Angoulême, des lectures et toutes ces sortes de choses

Fred Bernard, La Paresse du Panda © Casterman

Il y avait de quoi voir, lire, dire et écrire la semaine dernière. Revue d’effectifs avec ce Papier à Bulles premier du genre sur Diacritik (et ailleurs) : où l’on parle d’Angoulême, des lectures passées (de Titine à Dennis Lehane en passant par Fred Bernard) et du premier épisode de la saison 10 d’X-Files…

19h02

1507-1Achevé de lire Titine, Tout simplement femme, de Yan Lindingre. Drôle, barré, grossier mais jamais vulgaire, les personnages au nez porcin et à la culture de pilier de comptoir embarquent tous les clichés et Lindingre dessoude la bien-pensance à grandes goulées de rire qui tâche. A consommer sans modération chez Fluide Glacial.

19h16

Fred Bernard. Lily Love Peacock. La Paresse du Panda. Trois raisons de se plonger dans le nouvel épisode des aventures de Jeanne Picquigny, héroïne au long cours de l’auteur bourguignon au génie du titre (mais pas que) de La tendresse des crocodiles, L’ivresse du poulpe et La patience du Tigre (tous chez Casterman). Himalaya, automne 1925, Jeanne Picquigny explore le monde et elle-même tandis qu’elle chemine en compagnie d’Eugène Love Peacock en quête d’un mystérieux trésor. De nos jours, sa petite-fille, Lily Love Peacock savoure une retraite volontaire qui la conduit, de lectures en introspections, en passant par ses échanges avec Rubis et Victoire Goldfrapp, à se réinventer, à retrouver l’inspiration. Marchant dans les pas de son ancêtre, elle recompose l’histoire familiale, y puise une motivation nouvelle, pour aller au bout de la création. Avec La paresse du Panda, Fred Bernard creuse ses thèmes préférés, la création, l’histoire, le monde, l’émancipation féminine, le poids du regard des autres, les failles personnelles. Ponctué de citations littéraires et pétri de références artistiques, La paresse du Panda est un ravissement esthétique, graphique et scriptural.

19h35

De deux choses, l’une : soit le cru 2016 du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême restera comme l’une des pires éditions de son histoire et il en ressortira quelque chose (dont une profonde et sincère remise en question de la part de ses organisateurs), soit la cause est définitivement entendue.

Avancée au samedi à 19h, la cérémonie de remise des Fauves 2016 (programmée à la même heure que la Masterclass LastMan avec Balak, Mickaël Sanlaville, Bastien Vivès) a livré son palmarès, couronnant dix hommes et une femme (de Richard McGuire à Benjamin Renner en passant par Erich Ohser, Marcello Quintanilha, Pozla, Pietro Scarnera, Etienne Davodeau et Benoît Collombat, Adrian Alphona et G. Willow Wilson. Cherchez la femme…). Sans nier la qualité des œuvres et le travail des récipiendaires, le fait est que les polémiques successives sur le sexisme et un canular au goût douteux – la remise de « faux fauves » en direct – ont quelque peu éclipsé l’intérêt d’un palmarès tourné vers l’international et faisant la part belle à l’invention.

On retiendra donc davantage le prix Charlie Schlingo attribué à Pixel Vengeur et MoCDM pour Les 3 Petits Cochons reloaded (Fluide Glacial) et le prix Couilles au cul décerné à Nadia Khiari pour son Willis from Tunis né au lendemain du discours du président Ben Ali le 13 janvier 2011. Le chat tunisien à la langue bien pendue et pleine d’irrévérence a donc été récompensé. L’oeuvre est bien plus qu’un dessin de presse, une création graphique unique et originale. Nadia Khiari a toujours fait de la bande dessinée. SC_WillisFromTunisAvec Willis, réagissant, rebondissant presque heure par heure, elle a été et est encore aujourd’hui un témoin direct de l’actualité tunisienne. Avec humour et ironie, un trait simple et une totale liberté d’expression, Nadia Khiari a montré combien le dessin et la caricature sont des moyens de résistance à part entière.

Post scripum : à noter (voire à surligner), le prix du public remis à Etienne Davodeau et Benoît Collombat pour leur livre Cher pays de notre enfance (chez Futuropolis) que l’on saurait que trop conseiller pour son acuité, son sérieux et son exigence journalistique.

22h14

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Quelle épreuve ! Mais quelle épreuve ! Alors que le fan de la première heure se réjouissait de ce retour dans le passé, d’écouter à nouveau ce générique mythique signé Mark Snow qui a plus fait pour le développement des ventes de Bontempi que les imprécations du ministère de la Santé pour lutter contre l’obésité tout en favorisant la filière maraîchère en souffrance… alors que fébrilement, le critique télé s’effaçait derrière le sérivore à l’objectivité suspecte, le verdict est imparable : le premier épisode de la saison 10 d’X-Files est un ratage sans nom. Longue, trop longue scène d’exposition – histoire de rattraper le temps perdu et de tenter d’expliquer façon que sont-ils devenus ?, comment et pourquoi Fox Mulder et Dana Scully sont de retour –, ce s10e01 (en série-phile dans le texte) est d’une intense médiocrité qui ferait presque regretter d’avoir arrêté Scandal et Alias en chemin. Lourd (très lourd) de sous-entendus auto-référentiels et abscons comme la lune (ou du moins comme la thèse qui voudrait que Neil Armstrong a surtout marché sur de la poussière bien de chez lui dans un studio du Nevada), l’ouverture tant attendue s’est transformée en torture (cela dit, ça rime) vers la 29ème minute (l’équivalent de la page 99 dans le test du même nom pour les livres qui feront de mémorables bloque-portes à prix unique).

Le début de cette IXie saison surfe d’emblée sur un propos (forcément très actuel) qui mélange un tiers de théorie du complot, un quart d’ufologie datée, un trait d’Edward Snowden, une larme de Scully (sans jeu de mot), sept-dixièmes de dialogues écrits sous la dictée par un algorithme de Google et deux doigts de David Duchovny à l’air aussi éteint que lorsque son personnage dans Californication vient de subir les assauts sexués de la fille tout juste post-pubère d’une de ses amies ou de la mère de la jeune teenager sus-citée. Ou les deux à la fois). Et ce ne sont pas les caméos et retours en grâce de Mitch Pilegi et William B. Davis (dont la canule encore fumante devrait recevoir le Emmy Award de l’intertexte-hommage à Dead Again) qui sauvent la mise en (dé)route de cette nouvelle-saison-mais-pas-tant-que-ça-vu-qu’on-prend-les-mêmes-et-qu’on-recommence.

23h22

9782246857433-001-X_0A X-Files starring David, on préférera Oh la vache ! du même Duchovny. Pourquoi ? Parce que son petit livre de 202 pages (Holy Cow, drôlement bien traduit par le non moins drôle et exigeant Claro) paru chez Grasset est un régal et fera le bonheur des (é)tables de nuit des lecteurs exigeants. Fable, conte, bluette écrite au cordeau, étrange mix de Madagascar et de La Ferme des animaux, Oh La vache ! se donne à lire comme une «Ulyssiade» (croisement improbable et bovino-porcin entre L’Odyssée et L’Iliade) et distille en filigrane des interpellations futées et bien senties sur le racisme, la mondialisation, la condition animale, le véganisme et la tolérance. Un conte pour grands enfants.

7h13

ce monde disparu-der.inddAi remis la main sur Ce Monde disparu de Dennis Lehane (Rivages Thrillers). Pour le ranger en bonne place dans ma bibliothèque des polars qui comptent. Un livre dans lequel l’auteur de Mystic River et de Un dernier verre avant la guerre prend le parti de la lenteur, se coulant dans le rythme moite et étouffant de la Floride des années 40. Une ambiance à la Ellroy, des personnages extrêmement écrits, avec une alternance de scènes intimistes et de moments d’action pure. Et une acmé, scène sauvage, angoissante quand Joe Coughlin vient chercher la vérité dans un bayou sombre auprès d’un inquiétant chef de guerre vaudouisant… Ce Monde disparu, la quête d’un homme qui vit la fin de son monde à la fois comme une résignation et une évidence. Un grand livre.

Rendez-vous au prochain épisode. Soyez à l’heure.