Petit précis littéraire : Poppy Z Brite

© Tara Lennart

Écrivain américain vivante, née Mélissa Ann Brite à La Nouvelle Orléans en 1967. 12 romans, 6 recueils de nouvelles, 2 essais et une flopée de nouvelles.
Si vous ne voulez pas fâcher Poppy, appelez-le Billy Martin et parlez de lui au masculin car la papesse en noir est désormais un gros monsieur qui a pris sa retraite. Homme gay dans un corps de femme, écrivain torturé au style gothiquement décadent, Poppy Z Brite est l’une des plumes dark les plus importantes de la littérature underground contemporaine. Que ceux qui pensent aux gothiques de South Park aillent pourrir en enfer, nous enfants de la nuit pleurerons leur ignorance par des larmes de sang en écoutant Bauhaus.

C’est qui ?

Poppy Z. Brite est une figure de l’underground littéraire qui a accompagné les fantasmagories d’un bon nombre de romantiques désaxés. Née en 1967, Melissa Ann Brite a commencé à écrire très tôt et à envisager l’écriture de façon professionnelle dès l’âge de 12 ans. Après une certaine quantité de lettres de refus et de nouvelles disséminées, elle écrit Âmes Perdues en 1991, livre qui deviendra culte et viendra assoir sa renommée internationale. Peut-être que vouloir lire Sylvia Plath a 5 ans forge le caractère… Dennis Cooper, Neil Gaiman, Dan Simmons ou Peter Straub ont tous salué son talent, couronné en 1994 par le British Fantasy Awards. Donc Poppy étant devenue Billy, nous dirons Billy même si Poppy est un bien joli pseudo.

Il parle de quoi ?

Billy a fait ses preuves et sa renommée dans un style gothique horrifique flirtant avec le splatterpunk (terme pour geek signifiant que des écrivains complètement tarés mettent en scène des gens encore plus tarés, violents, nihilistes et amateurs d’actes de barbarie sans la moindre justification). On croise des vampires rock’n’roll homosexuels, décadents et incontrôlables, des serial killers inventifs et sadiques, des jeunes hommes paumés, des créatures fantastiques diverses, des Beatles homo (oui oui), des chefs cuisiniers en prise avec une Nouvelle Orléans bien glauque et sans foi ni loi… Billy met généralement en scène des messieurs qui aiment les messieurs, sans pour autant écrire une littérature que l’on pourrait qualifier de gay. Pourquoi et comment, ça sera l’objet d’un autre papier, très long, un jour.
Pour résumer : pourquoi mettre une étiquette en fonction de l’orientation sexuelle ou du genre ? Mais, surtout, et avant tout, Billy parle d’amour. Certes il y a la violence, certes il y a l’horreur qui guette, mais les personnages de ses histoires sont capables d’éprouver leur sentiments et de les exprimer, de les transcender et sublimer.

Loin de ne parler « que » de sexe explicite, Billy renoue avec la plus pure tradition horrifique européenne plus encore qu’américaine par sa folie et sa sobriété grandiloquente, même si les maîtres américains King et Lovecraft font partie de son panthéon personnel.

Avec lui, le gothique rejoint le gothique. Le gothique flamboyant élisabéthain revisité à l’ultraviolence contemporaine avance main dans la main avec le southern gothic, genre littéraire américain désignant l’écriture très particulière, froide et souvent cruelle des écrivains du Sud, auxquels Billy s’identifie, comme Flannery O’Connor ou William Faulkner. Les traditions magiques vaudou et occulte de la Louisiane occupent une part importante dans la trame de ses récits, tant et si bien que l’on pourrait presque leur conférer un rôle de personnage récurrent.

Pourquoi c’est bien ?

Parce que Billy écrit, vraiment, et écrit bien, fait assez rare dans le genre horrifique pour être souligné. Il possède une maîtrise de la narration extrêmement perverse, et ce à plusieurs niveaux. Le plus acceptable socialement, d’abord : son sens de la description. Sous sa plume, les paysages prennent vie. On a beau ne jamais avoir mis un orteil à La Nouvelle Orléans, tout devient familier, évident, connu, même ce bled imaginaire de Missing Mile, qu’on découvre dans Âmes Perdues et retrouve souvent dans d’autres textes. On sens les parfum, on voit les rues, on se sent chez soi et presque en terrain sécurisé à chaque description, pourtant très sobre. Le récit prend vie, et ça devient d’autant plus tordu que Billy raconte souvent des atrocités.

Et là, la brutalité se révèle dentelle, la torture, raffinement, la bestialité, figure de style. Il nous plonge au cœur de son histoire sans se soucier de notre sensibilité, il nous embarque pour le meilleur et pour le pire, faisant de nous lecteurs des témoins, des acteurs de son récit, presque. En quelques phrases, le monde extérieur disparait, Billy nous propulse dans une salle de concert où de jeunes éphèbes de noir vêtu dansent et fument des joints jusqu’à ce que coule leur mascara, inconscients de la menace sourde qui plane sur eux. Nous les voyons, les sentons, dansons avec eux et les voyons se débattre avec les redoutables prédateurs qui guettent.

La poésie ne le quitte jamais, lui conférant ce style si particulier, si redoutable, qui ne tombe jamais dans le cliché ou la caricature. La beauté et l’horreur avancent ensemble, alternant et se confondant comme deux parques interchangeables. L’écriture de Poppy Z. Brite est une sorte de prisme aux facettes multiples et ensorcelantes.

Il faut lire quoi ?

Tout dépend de ce que vous avez mangé à midi.

Si vous avez été raisonnable, foncez sur ses récits les plus violents et macabres, comme Le Corps Exquis qui aurait dû être traduit par « le Cadavre exquis », pardon les éditeurs, et aurait pu inspirer Lucas Magnotta, le tueur de Montréal, ou The Crow : le cœur de Lazare, polar fantastique directement inspiré par le film.

Les nouvelles des Contes de la Fée Verte sont une bonne entrée en matière car l’on retrouve certains personnages, et la plupart des thèmes de ses romans. Si vous ne deviez en lire qu’un, et qu’un seul, ce qui serait dommage, aucune hésitation : Âmes Perdues, ce roman de vampires qui démystifie le vampire en lui créant une nouvelle branche mythologique.

Beaucoup plus soft et loin de l’horreur des autres romans et nouvelles, la trilogie culinaire — Alcool, La Belle Rouge, Soul Kitchen — s’apparente plus à un genre de polar noir teinté d’humour. Elle met en scène un couple de cuisiniers à La Nouvelle Orléans sur fond de cuisine alcoolisée et d’embrouilles sans nom.

Coupable, ce recueil d’interviews et d’articles serait une bonne option pour un first date avec la papesse de l’underground.

Poppy Z Brite est une addiction, que vous ayez dansé au son de musiques inaudibles etc déclamant des vers de Lautréamont ou non. Quelle que soit votre sexualité, quelle que soit votre sensibilité, quels que soient vos goûts culinaires. Comme les magiciens de Louisiane, elle capture, elle dompte, elle enferme dans son monde. Et on n’a pas du tout envie d’en sortir…

Bibliographie

(par souci de compréhension, est présentée ici la biblio en français. Les anglophiles se réjouiront de savoir que certains de ses livres n’ont pas été traduits et peuvent en trouver la piste sur le site officiel de l’auteur)

Âmes Perdues (Lost Souls, Delacorte, 1992), Albin Michel, 1994 ; J’ai Lu, 1998 &1999 ; Gallimard Folio SF, 2006. Traduction Jean-Daniel Brèque

Sang d’Encre (Drawing Blood , Delacorte, 1993), Éditions Albin Michel, 1995 et J’ai Lu, 1999. Traduction Jean-Daniel Brèque

Contes de la Fée Verte (Swamp Foetus, Borderlands, 1993), Éditions Denoël, 1997; Denoël Présence du Futur, 1999 ; Gallimard Folio SF, 2011. Traduction Jean-Daniel Brèque

Le Corps Exquis (Exquisite Corpse, Simon & Schuster 1996), J’ai Lu, 1999 & 2005 ; Au Diable Vauvert, 2015. Traduction Jean-Daniel Brèque

Courtney Love (Courntey Love : The Real Story, Simon & Schuster, 1997), Denoël, 1999 et J’ai Lu, 2001. Traduction Nicolas Richard

The Crow : Le Coeur de Lazare (The Crow : The Lazarus Heart, Harper Prism, 1998), Fleuve Noir, 2000. Traduction Anne-Virginie Tarall

Self Made Man (Are you loathsome tonight, Gauntlet Press, 1998), Au Diable Vauvert, 2001 et J’ai Lu, 2008 (traducteurs différents selon les nouvelles)

Plastic Jesus (Plastic Jesus, Subterranean Press, 2000), Au Diable Vauvert, 2002. Traduction Virginie Despentes

Coupable (Guilty but Insane, Subterranean Press, 2001) Au Diable Vauvert, 2002 et 2014. Traduction Jean-Daniel Brèque

Petite Cuisine du Diable (The Devil You Know, Subterranean Press, 2003), Au Diable Vauvert, 2004 et J’ai Lu, 2015. Traduction Nathalie Mège et Mélanie Fazi

Alcool (Liquor, Three Rivers Press, 2004), Au Diale Vauvert, 2008. Traduction Morgane Saysana

La Belle Rouge (Prime, Three Rivers Press, 2005), Au Diable Vauvert, 2009. Traduction Morgane Saysana

Soul Kitchen (Soul Kitchen, Three Rivers Press, 2006) Au Diable Vauvert, 2013. Traduction Morgane Saysana

© Tara Lennart