Alors que la 24e aventure de James Bond sur grand écran est annoncée pour le 11 novembre prochain, retour sur la toute dernière apparition littéraire du héros de Ian Fleming dans Déclic mortel d’Anthony Horowitz.
James Bond est un univers à lui-seul, décliné aujourd’hui comme une marque, avec ses produits dérivés, ses codes, son iconographie, sa légende. Avant d’être un héros sur pellicule, l’agent 007 a d’abord été un espion de papier par la grâce de son auteur, Ian Lancaster Fleming. Avec douze romans et deux recueils de nouvelles, Ian Fleming a construit la légende du matricule double zéro autorisé à tuer et ce dernier a survécu à la mort de son auteur originel par l’entremise de reprises successives, de romans en novellisations (traduisez « livre tiré du film »). Au total, de 1968 à aujourd’hui, pas moins de 45 ‘suites’…
La plus récente s’appelle Déclic mortel, parue en version originale sous le titre Trigger Mortis (jeu de mot à tiroirs entre la rigor mortis latine et la gâchette (facile) anglo-saxonne). Reprenant des notes de Fleming (un scénario écrit dans les années 50), Anthony Horowitz offre à la franchise Bond un retour dans le passé qui contraste étonnamment avec la modernité des films.
D’un point de vue chronologique, l’action de Déclic mortel se situe en 1957, juste la victoire sur Goldfinger, dans une Amérique lancée à plein régime dans la course à l’espace avec son programme Vanguard aux prises avec un méchant de service réchappé du massacre de No Gun Ri. Tous les ingrédients d’une fiction made in Bond sont présents, à cette différence près que les échecs des fusées Vanguard et la guerre de Corée ont bel et bien eu lieu. Les personnages se retrouvent donc ancrés dans une réalité du passé, faisant de Déclic mortel une sorte d’anti-uchronie.
Ce n’est bien évidemment pas la première fois qu’une aventure de James Bond flirte avec la réalité – c’était même l’un des traits de caractère des livres de Ian Fleming avec son utilisation des lieux de par le monde ou du SMERSH par exemple. A l’inverse, les dictatures ont souvent été imaginaires (le «Zanzarim» de William Boyd dans Solo), et les inventions révolutionnaires (et pour cause), les véhicules et les armes façonnées par Q ou les ennemis de Bond. L’autre force de Déclic Mortel réside dans le style « bondien » à l’extrême affecté par Anthony Horowitz. Chaque ligne, chaque page, chaque nœud de l’intrigue semble sorti d’un autre temps : « James Bond ouvrit les yeux. Il était sept heures précises. Il le savait sans avoir besoin de regarder le réveil posé à côté du lit. Le soleil se faufilait déjà dans la chambre à travers l’entrebâillement des rideaux. Il avait la bouche pâteuse, signe certain d’un excès de whisky la veille au soir. À quelle heure s’était-il couché ? Largement après minuit. Et se coucher ne signifiait pas dormir ».
Le lecteur cinéphile avisé aura en tête la figure de Sean Connery (ou à défaut George Lazenby) évoluant sur les circuits automobiles, dans les nuits américaines, sous les feux croisés des spadassins russes ou des hommes de main du vilain Sin Jai-Seong. Ou dans les bras des James Bond’s girls : Jeopardy Lane et Pussy Galore (dans un caméo remarqué en début de récit). Auteur chevronné, Anthony Horowitz a eu à cœur de retranscrire l’atmosphère de l’Amérique de la fin des années 50, de la misogynie ambiante, de la guerre froide et du spectre (sans jeu de mot) du terrorisme total par son écriture sèche, directe. Déclic mortel se lit d’une traite comme on boirait une Vodka Martini. Au shaker, non à la cuiller. Les puristes apprécieront.
Anthony Horowitz, Déclic Mortel (incluant des notes inédites de Ian Fleming), traduit de l’anglais par Annick Le Goyat, 336 p., Calmann-Lévy, 18 € (12 € 99 en version numérique)