Icon of French Cinema & Sambre : même combat

Je serais le cinéma français, je me questionnerais jusqu’au bout de la nuit, voire au bout de l’année. Il a fallu une série qui se donnait à l’origine comme une bluette présentée comme douce-amère et au ton décalé, avec ce titre en franglais un peu absurde pour que Judith Godrèche devienne une porte-parole(s), qu’elle verbalise le drame qu’elle a vécu en tant qu’enfant (parce qu’à 14 ans on est encore une enfant), en tant que femme, en tant qu’actrice.

Il a fallu Icon of French Cinema pour que quelqu’un pose la question : « Dans la série vous évoquez un réalisateur avec qui vous avez eu une relation quand vous aviez 14 ans et lui 40, à quel moment vous vous êtes dit que cette relation n’était pas normale ? » Au-delà du fait que la réponse était dans la question, il faut noter que ce jour-là sur le plateau de Quotidien, Judith Godrèche n’a pas nommé l’homme en question et laissé Yann Barthès dire son nom, la relation de l’actrice et du réalisateur étant de notoriété publique depuis des années. Depuis toujours. Cette révélation qui n’en est pas une a été le déclencheur d’une nouvelle vague (sans jeu de mot) de libération de la parole.

Judith Godrèche, elle, avait libéré sa parole en écrivant et en créant sa série, racontant son histoire, celle d’une actrice de retour en France après des années passées loin du pays de l’exception culturelle. Subtile, drôle, cynique et chargée de sens (et pour cause), Icon of French Cinema a commencé par être perçue (voire promue) comme l’autofiction d’une actrice en re-devenir, une femme de 50 ans à qui on ne propose plus de rôle, que l’on confond avec une autre (une autre Judith ? Juliette ?). On a immédiatement pensé à autre chose, à La meilleure version de moi-même de Blanche Gardin, à Désordres de Florence Foresti. On a ri et souri en découvrant les (més)aventures de l’actrice de retour, contrainte d’accepter un télé-crochet déguisée en hamster… On sourit moins quand l’actrice comprend qu’elle a été évincée d’un casting parce que son ex-mari est l’amant d’un des administrateurs de la société de production, on rit beaucoup moins quand Judith a peur de l’attirance de sa fille pour un homme beaucoup plus âgée qu’elle. On ne rit plus du tout quand Judith (enfant) vivant avec son réalisateur lui demande ce qu’est une branlette espagnole devant un invité un rien gêné. On ne rit plus quand Judith (adulte) se fait frapper par un homme qui l’accuse de vouloir libérer sa compagne de son contrôle. On a envie de partir en courant comme elle quand Judith (enfant) retourne chez son père, quand Judith (adulte) quitte ce restaurant parisien où son producteur lui présente son nouveau réalisateur, celui-là même dont elle s’était libérée et qui est toujours dans le circuit…

Icon of french cinema © Arte

À l’instar de Sambre, série glaçante sur le « violeur de la Sambre », Icon of French Cinema parle des violences faites aux femmes, des injonctions coupables, du sentiment de culpabilité ressenti par les victimes : elle nomme, dit, montre le mal. Œuvre subtile et décalée autant que crue et incisive, Icon parle des affres de la cinquantaine chez une femme actrice qui parle de la violence d’une relation toxique, de l’emprise d’un réalisateur de 40 sur une jeune fille de 14 ans qui n’a jamais consenti à cette relation, du silence d’un milieu qui sait mais ne dit rien, regarde ailleurs et juge davantage la femme-enfant que l’homme artiste.

De la même manière, en se plaçant successivement du point de vue de la victime, d’une juge, d’une maire, d’une scientifique, d’un commandant de police avant de clore la série par le violeur, Sambre dit la terrible réalité et reproduit la sinistre chronologie : pendant trente ans, les victimes se sont succédées sans que l’on ne voie rien, sans que l’on recoupe les témoignages des femmes violées, sans que l’on trouve le coupable. Pendant trois décennies, les faits se sont accumulés et la police a été dépassée, désorganisée (quand elle n’était pas carrément velléitaire). Les victimes avaient beau s’exprimer, porter plainte, au risque de voir leur témoignage questionné voire remis en cause ou moqué ; le violeur a pu sévir faisant au moins 56 victimes entre 1988 et 2018. Les femmes, pendant ces décennies, alertaient, contactaient la presse, déposaient plainte. Elles prenaient la parole,

Série d’utilité publique, adaptée de l’enquête d’Alice Géraud (publiée en 2023, désormais disponible en poche) sur un fait divers qu’elle radioscopie, Sambre est certes une fiction mais elle bénéficie d’une mise en scène au cordeau et d’interprétations d’une justesse hors norme, jusqu’au personnage du violeur (joué par Jonathan Turnbull, tour à tour ordinaire et terrifiant). Quand le livre suit l’enquête et les témoignages, Alice Géraud et Marc Herpoux créateurs de la série ont réduit le livre à six focales principales et comprimé le temps, utilisant des marqueurs générationnels et une bande son minimaliste avec des chansons à succès emblématiques qui accentuent la terrible durée des faits. Austère et glaçante dans son traitement et dans sa forme, avec un refus de toute esthétisation, Sambre peut sembler aux antipodes d’Icon of French Cinema, souvent drôle et toujours décalée.

Mais Sambre et Icon of French Cinema ont en commun de raconter la même histoire, celle d’une société aveugle et sourde, celle d’un combat qui doit être mené de manière inconditionnelle contre les violences faites aux femmes, pour que les victimes soient entendues, écoutées, pour que les coupables soient identifiés et reconnus comme tels. Et que le silence ne soit plus une violence de plus.

Sambre © Copyright What’s Up Films