Comment naît une revue ? Existe-t-il un collectif à l’origine du désir de revue ou s’agit-il d’un désir bien plus individuel ? S’agit-il de souscrire à un imaginaire selon lequel, comme l’affirmait André Gide, il faut avant tout écrire dans une revue ? Aujourd’hui, entretien avec Christian Peri pour la riche revue A Traversa qui interroge la complexité des situations humaines et géopolitiques dans l’espace méditerranéen.
Christian Peri : (comment est née la revue ?) C’est une idée portée depuis de nombreuses années, éditeur un temps (Le Signet 1989-2000), des activités de bibliothécaires notamment marquées par la création de la « journée de la revue » tous les ans à Bastia depuis 2006, m’ont amené à reprendre une activité éditoriale. La revue s’est un peu imposée à moi, comme support d’échanges et de réflexion. Si l’idée est personnelle, la maturation du projet s’est fait avec la complicité de nombreux amis, séduits par l’approche, et une vision de l’actualité insulaire et méditerranéenne à travers l’objet « revue ». Le projet pour réussir doit devenir collectif.
Quelle vision de votre discipline entendez-vous défendre dans vos différents numéros ? Procédez-vous selon une profession de foi établie en amont du premier numéro ?
La revue se veut éclectique, l’approche littéraire est présente, c’est une entrée en matière pour aborder l’histoire et l’actualité. Que peut-on dire depuis la Corse sur le monde méditerranéen ? Chaque numéro s’articule autour de quatre rubriques Insulaire (s) donne la parole à un acteur de la vie littéraire et éditoriale, et à l’actualité des revues.
Le « dossier » cœur du numéro est consacré à un pays, ou un thème… C’est la Grèce qui a été choisie dans la première livraison, actualité aidant, en 2016 la Corse à accueillie cinq auteurs grecs qui ont rencontré un public (restreint mais passionné) et c’est à moment-là que j’ai ressenti la nécessité de faire connaître cet univers, la matière ne manquait pas…
la Turquie est prévue dans le prochain numéro…
Le dossier peut connaître un développement, un élargissement avec la rubrique « Géopolitique ». Il apparaît encore plus évident aujourd’hui, que l’analyse géopolitique est incontournable si l’on veut comprendre les enjeux du monde contemporain.
Le dernier pilier « Etudes » est consacré à une ou plusieurs revues, l’idée est de présenter un aspect original d’une revue. Avec l’article sur le Bulletin de la société des scineces historique et naturelles de la Corse on a une belle analyse historiographique de la doyenne des revues insulaires (1881). Le prochain article propose sur le thème des « isole sorelle », un éclairage sur Mediterranea, revue publiée à Cagliari durant la période fasciste. Cet espace est consacré à l’actualité et à l’histoire des revues méditerranéennes (articles, bibliographie…)
Comment décidez-vous de la composition d’un numéro ? Suivez-vous l’actualité ou s’agit-il au contraire pour vous de défendre une vision de votre pratique détachée des contingences du marché éditorial ? Pouvez-vous nous présenter un numéro qui vous tient particulièrement à cœur ?
Difficile pour moi d’en choisir un ! Puisque nous n’avons à l’heure actuelle qu’un numéro à proposer. Le second paraît en décembre. Le « dossier » fait l’identité de chaque numéro.
La Grèce premier dossier, est le résultat à la fois de l’actualité et d’une rencontre avec des écrivains ou traducteurs grecs (Dimitris Nollas, Richard Tchélébidès…). Au-delà du dossier les autre rubriques sont le fruit d’un travail de rencontres, de sollicitations, mais aussi de propositions.
Chaque numéro demande une approche différente, dans le cas du dossier « Turquie » j’avoue que le choix s’est fait sans avoir de texte. Travail de prospection en perspective qui s’est avéré payant. Première surprise, c’est en Corse même, que le choix du dossier « Turquie » a éveillé un intérêt insoupçonné. J’ai pu faire des rencontres et solliciter des articles qui établissent un lien entre la Corse et la Turquie (!). l’encouragement à poursuivre s’est concrétisé auprès d’auteurs plus proches du terrain turc. Ces derniers ont répondu favorablement à la démarche.
À la création de sa revue Trafic, Serge Daney affirmait que tout revue consiste à faire revenir, à faire revoir ce qu’on n’aurait peut-être pas aperçu sans elle. Que cherchez-vous à faire revenir dans votre revue qui aurait peut-être été mal vu sans elle ?
Deux choses contradictoires mais qui peuvent résumer notre approche sensible à la proximité des populations qui entourent le bassin méditerranéen et à la distance qui les sépare (non pas spatiale mais politique). En filigrane c’est l’enjeu de notre interrogation sur cet espace… Le titre de la revue A Traversa met en lumière ce questionnement.
Est-ce qu’enfin créer et animer une revue aujourd’hui, dans un contexte économique complexe pour la diffusion, n’est-ce pas finalement affirmer un geste politique ? Une manière de résistance ?
Je réponds par l’affirmative à votre question, la revue comme support de réflexion, de rencontre est un espace qui malgré le contexte économique répond à un besoin. La vitalité de ce support est incontestable, soutenu – malgré les difficultés de tous ordres – par des passionnés. J’en veux pour preuve le cas de la Corse. Ces dernières années, à côté des revues savantes près d’une dizaine de revues ont surgi : Litteratura, I Vagabondi, Qui, Robba, Storia…
Elles se positionnent et c’est un constat à souligner toujours en regardant au-delà de l’île.
Pour A Traversa le regard sur notre temps se veut exigeant et loin des approches binaires. Dans cet esprit le dossier du troisième numéro « Migrations » interroge une question douloureuse… Espace de rencontre, la Méditerranée peut devenir également un obstacle, il y a la géographie et ses contraintes, mais au-delà c’est l’homme qui domine ou subit…