Éloge de l’anachronisme chez Arléa : Rome

Pascal Bonafoux, Guide anachronique de Rome © éditions Arléa

Une nouvelle collection vient d’être créée aux éditions Arléa par Anne Bourguignon : « Guide anachronique ». Si Rome ouvre la série, les sujets pourront être variés. Une phrase en exergue de Joseph Joubert en indique les directions : « Tout ce qui est beau est indéterminé ».

Les trois mots qui composent le titre sont paradoxaux : guide, anachronique et Rome. Pascal Bonafoux le répète. Il ne s’agit pas d’un guide, et la ville de Rome, plus qu’anachronique, est éternelle, conserve en elle le secret de son éternité. On voyage davantage dans l’épaisseur historique ou les ruines de cette ville. Il est ainsi question pour commencer de l’héritage antique par la papauté, comment les papes instituèrent le christianisme à la suite de la Rome impériale.

L’histoire se déroule comme une intrigue. Avec les auteurs latins ou les pères de l’Église, on voyage également dans les voyages en Italie de Montaigne, Goethe ou Chateaubriand, de Dickens et Gogol, mais aussi de Jean-Jacques Barthélémy, Charles de Brosses ou Alphonse Dupré… Parmi ceux qui auront aimé Rome en déchiffrant dans son nom l’anagramme de l’amour (Roma/Amor), Stendhal est celui que Pascal Bonafoux porte le plus dans son cœur. L’érudition, si elle déborde, n’est jamais ennuyante. Les chapitres, qu’illustrent des photographies noir et blanc, sont pour la plupart brefs. Le style est alerte, allègre… 

Pascal Bonafoux se promène dans Rome « les mains dans les poches », invite à la flânerie, à la rêverie. Sans guide, conseille-t-il ! On a le sentiment qu’il revisite, à partir de son propre présent, le passé, qu’il conjugue au présent ce passé, tous les chemins qui mènent à Rome, qui bifurquent, reviennent, repartent, montent, descendent, à l’image peut-être des escaliers vertigineux de Piranèse. Il n’y a pas une Rome baroque. Le Baroque est l’expression des strates multiples qui caractérisent Rome à travers les siècles et qui renaissent différemment des « saccages » ou des « ressentiments » dont elle a été l’objet. Par moments, Pascal Bonafoux introduit quelques incises plus subjectives, notamment à propos de la célèbre fontaine de Trevi que Fellini a immortalisée dans La Dolce vita. Il rapporte ainsi qu’un ami romain lui expliqua qu’on avait ajouté lors de sa construction une roche à son sommet pour que le commerçant qui n’avait cessé de se plaindre pendant la durée des travaux ne puisse plus voir la fontaine. « Rome, c’est ça, des contes qui sont aussi importants que l’histoire. » De Remus et Romulus à Anita Ekberg. « Rome est déraisonnable, poursuit cet ami romain. Elle se contrefiche de savoir ce que l’on a pu dire d’elle siècle après siècle, parce que ce que l’on a pu dire d’elle à telle ou telle époque ne concerne qu’un temps et que Rome est éternelle… »

Pascal Bonafoux rapporte encore un souvenir d’Alberto Moravia qui lui confia qu’il ne regrettait pas la présence autrefois de troupeaux sur la place Navona, mais qu’en revanche il déplorait celle maintenant de troupeaux de touristes. Quant aux Vespas, si elles peuvent s’avérer bruyantes, le « guide » de Pascal Bonafoux semble traverser les siècles comme la Vespa éternelle d’Audrey Hepburn et Gregory Peck dans Vacances romaines, l’illustration de couverture de ce premier volume d’une collection qui s’annonce prometteuse…

Pascal Bonafoux, Guide anachronique de Rome, Arléa, collection « Guide anachronique », mai 2023, 121 p., 19 €