Situation 1
Dans un carton on prend un cutter pour découper une rosace sur l’une des faces du carton, pour ainsi échapper à la prison du dedans du carton. C’est un grand carton, le dessin fait apparaître des yeux lourds et inégaux et irréguliers (car les paupières sont faites des bords mal taillés du carton, et ça ressemble à des cils irréguliers)
Situation 2
La rosace-au-cutter se réalise avec du vide et du vent sans aucune verroterie bigote mais avec le vide qui sonne dès que le vent frôle les bords du carton, et fait un bruit de cerf-volant.
Situation 3
Il n’y a pas de vie mutilée dans le bleu du ciel, mais presque partout ailleurs. C’est si visible dès qu’on sort la tête du carton ou dès qu’on ose regarder une tête dans le carton
Situation 4
Poésie ou barbarie est la poésie est Socialisme ou barbarie est un beau titre aussi est de Rosza L. est une organisation révolutionnaire française est créée en 1948 par Cornelius Castoriadis et Claude Lefort sont d’orientation marxiste-anti-staliniste sont proches du communisme de conseils est incarnée dans une revue du même nom à partir de 1949 est restée active jusqu’à son autodissolution en 1967 est né le jour où Paul Celan se heurte à la porte de Heidegger qui n’ouvre pas est une date de mort et de naissance est un beau titre est de Rosza L. est la fée de Zamość
Situation 5
Avant, la poésie sera en avant / Maintenant, elle est maintenant et il y a urgence
Mais on peut faire autrement avec autre chose
Situation 6
Hier soir, des amis apportent des graines de roses trémières du jardin de Monk House. À jeter à la terre. La douzième revient sa tige se noiera ce sera tout à la fois la fougère l’aubépine le temps passera dans ses pistils ses corolles dessinent le cercle
Les pistils et les cendres mélangées ensemble dans le jardin
Situation 7
Je regarde un homme allongé sur la plage/ plié dans une rizière, qui se réveille/se redresse. Il ouvre les yeux. Il fait un geste vague vers son chapeau chu à côté de lui et le fixe pour se préserver du soleil. Ce qui me convainc que mon soleil est aussi à lui et qu’il en a aussi une expérience et un droit à l’expérimenter, qu’il le ressent comme moi doux et familier, c’est ce qui m’interdit d’en concevoir un autre : à savoir (ce serait indécent de s’en passer) que son corps fait partie de mes objets, qu’il figure dans mon monde. Ici, c’est la terrasse, le terrassement, le monde terrassé de la réalité. Alors je prends aussi une tige de riz, je suis aussi le Mékong, le passeur des rizières. Au moment où l’homme s’éveille dans le soleil et tend la main vers son chapeau, entre le soleil qui me brûle et fait cligner des yeux, et le geste qui là-bas de loin porte remède à la fatigue, à la faim, entre ce front consumé là-bas, ce ventre affamé là-bas et le geste qu’il appelle de ma part, un lien est noué sans que j’aie besoin de décider, mais qui exigera la décision : allez voir les visages
Situation 8
Au soleil, les corps courbés sur les autoroutes, les corps manient des pelles, portent des brouettes dans un halo de chaleur de bitume brûlant (juillet, autoroute « du soleil », 14h). De la boue dans la bouche : sur les gencives, dans les fumées de vapeur de la terre humide attaquée par le gel (janvier, route départementale 6h30 du matin, entre Lens et Arras).
Ils ont des pelles : arm(e) aber sexy
Situation 9
Terrasser = faire des terrasses, produire du riz pour nourrir la population, terrasser = mettre à terre, ramener le ciel à la terre et la terre à la terre, creuser des tombes creuser des sillons mouvoir la terre faire des sillons laisser les barrages éclater pour nourrir le riz faire passer l’eau
L’eau gonfle les ventres qui n’ont pas assez de riz
Situation 10
Tu uses les erreurs. Tu sais que cela a au moins ce sens : terrasser être terrassé c’est pourquoi tu appelles le caterpillar c’est pourquoi tu veux la pioche pour la terre de la grande défonce
Situation 11
L’abstraction comporte encore des vestiges de la réalité objective qu’elle met hors circuit : la terre terrasse =
Image blanche sur genre blanc sur écriture
blanche sur page blanche
c’est un trou terrassé
on y tend on y va
la blancheur du riz
Expérimentation 1
regardant longtemps la blancheur apparaît le visage
plus près
Témoignage : Comme elle refusait de se plier à l’interrogatoire on la traîna par les cheveux pour lui faire redescendre l’escalier. Un témoin, probablement une femme de service, déclara qu’elle n’avait jamais vu traiter ainsi une femme
Face principale du carton de déménagement, de laquelle on a raclé les restes de rubans adhésifs (recyclage) et arraché les agrafes. Le carton (matière), c’est épais, et le cutter, ça coupe fort, mais mal, sur les alvéoles qui font dévier la lame. Il reste aussi des traces de mauvaise colle, et un lambeau d’écriture au feutre rouge (une autre maison, maintenant détruite)
Ça n’en a pas l’air, mais c’est quand même l’invention, depuis un nouveau cubisme (un cubisme de carton et de visage) qui s’annonce de différentes manières, dont le nom le plus précis est simultanéisme
Exemple : la convergence des luttes
Tu vois un visage qui s’efface. Dans le paysage écrasé de soleil et de poussière (genre vallée du Jourdan, Cisjordanie, pour donner une idée), dans la nuit des cailloux sur lesquels butte le marcheur. La brique et la tôle, les parpaings non plus et encore moins les systèmes d’adduction des eaux ne l’abritent plus. Il a conservé un carton : plus léger à déplacer lorsque les bulldozers passent.
États de transition d’un carton en Palestine : les conditions météorologiques, avec peu de précipitations, font que généralement un carton en plein air dure plus longtemps. Un grand carton (de déménagement par exemple) a déjà des ouvertures qui peuvent servir de porte et de fenêtre et de poignée pour le déplacer. Suivant sa profondeur et la longueur du corps qui s’y introduit pour dormir, le corps peu plus ou moins y tenir. Dans le cas contraire, le visage est protégé, et jusqu’à mi-corps l’homme – nom générique abstrait – trouve un lieu où vivre. Au réveil, le carton peut se plier jusqu’à ne faire qu’un grand carré, qui servira de bouclier. Mais un carton a le désavantage de ne servir à rien contre les gaz lacrymogènes
Le visage a un corps. Et devant lui il y un autre corps de Tel-Aviv qui a un corps et qui désire son corps : l’un a lu Levinas et l’autre non mais Levinas est terrassé lorsqu’ils se prennent et se terrassent. La communauté des amants qui errent sans cesse produit des visages partant sous toutes les latitudes. L’évidence est devenue visible. Le visible a évidé tout ce qui n’est pas évidant. C’est du palpable. Ils se sont touchés safe ils se sont vus safe ils se sont baisés safe ils ont bu la brûlure dans les bouches sur les cous sur les épaules ils ont vu des visages d’amants et ce soir le carton s’efface à mesure que le visage reprend forme et couleur. Voilà comment ils sont devenus humains safe.
Au lourd carton parfois on préfère – s’il s’agit de préférence dans les lieux minuscules où certains accèdent au seul espace où leur vie est tolérée – le carton à chaussure duquel ont été préalablement enlevées les chaussures (avec un peu de chance, on les porte aux pieds). On peut le ranger dans un sac à dos. On y range les dernières photos qu’on a pu conserver, du fil et une aiguille, il y a des miettes de pain aussi, des adresses griffonnées, des numéros de téléphone, toute une vie réduite à l’état d’intensité maximale qui est la plus proche de rien. Il y a un passeport qui ne permet d’aller nulle part mais qui assigne à l’aire du carton. Il y a un tube d’aspirine. Mais conservons l’idée : tout corps plongé dans un carton sans liquide meurt de soif à un moment
La vie debout même allongés. Le carton déplié sert de serviette à la plage. Les corps dorment au soleil. Tu entends l’eau, la brise qui frôle tes côtes, les bruits étouffés au loin tu as le sel dans la bouche dans les cheveux sur ta peau qui se tend. À l’instant, tu n’abandonnes pas. Et tu attends qu’on lise ton visage sur ton visage pâle. Et que la lecture ne remonte à rien d’autre qu’à la pression, simultanément, de la paume de ta main (car sans elle ton visage n’est pas encore concret)
Situation 12
apporter une bouteille d’eau à qui a soif
Situation 13
l’homme et la femme et les autres ils sont nombreux habite le monde dans un carton il n’habite pas ailleurs : ça se saurait n’habite pas en quoi que ce soit il faudrait ajouter qu’il fait aussi partie de la morale de combat de ne pas habiter chez soi il n’habite pas il s’abrite il se roule et se blottit la boite peut être de différentes grandeurs mais le carton laisse passer le froid toujours c’est une loi immuable les bruits du dehors et les cris du dedans les boites de cartons ne sont pas hermétiques et on peut les transporter çà et là jusqu’à ce qu’elles crèvent
Un corps plongé dans l’eau quand ce n’est pas la Lorelei de Heine ni d’Apollinaire se fripe et perd ses couleurs après un certain temps (on donnera des exemples on sera précis on est aussi terrassé dans l’eau)
Les raisons d’écrire tiennent en partie à la nécessité de modifier les rapports qui existent entre les hommes. Dans les conditions actuelles, même les biens matériels deviennent des éléments du malheur dit le livre
Viens
Ce simultanéisme : tu es morte (avec des coups de crosses sur le crâne et la nuque, le corps balancé dans la Spree) et tu es vivante (avec tout le reste) avec tout le reste passe auréolée de fatigue la femme de ménage qui repart dans le bus qui la mènera au train de banlieue elle en a pour plus de 2 heures pour rentrer chez elle
Situation 14
tu ne verras bien le visage que si tu sens aussi la paume de la main et les doigts
Je ne sais pas si le calme des hommes est tellement sympathique dit Delphine Seyrig
Elle dit : on verra mes yeux le jour où l’eau des rizières de misère se sera tarie
Dire quelque chose (comme le bleu du ciel)
Je ne sais pas si le calme des hommes
Je ne sais pas si la haine des hommes
Peut-être pas la guerre l’insurrection :