Luigi Pintor : ‘Servabo’ ou bien ‘Je garderai’

Connaissez-vous Luigi Pintor, qui nous a laissé un étonnant petit livre sur son parcours de vie, ouvrage traduit désormais en plusieurs langues ? Mais qu’entend dire Pintor avec ce « servabo », en la circonstance ? Certes, évoquer le souvenir de sa terre natale, la Sardaigne, tant aimée et trop tôt quittée par crainte de la guerre. Sa foi politique en second lieu dont il s’est trouvé mis à l’écart après avoir milité longtemps au P.C.I. et à L’Unità de Rome avant de se retrouver à la tête du dissident Il Manifesto avec retour par la même occasion en Sardaigne. Sa confiance enfin dans la fraternité des hommes que Carlo Ossola rabat dans une postface sur la figure du Rieux de l’Albert Camus de La Peste. Et Ossola de reprendre par la même occasion cette belle formule ironique autant qu’énigmatique venue de Pintor et disant  : « Si quelqu’un s’engage distraitement dans ce virage (= là où fut la maison de famille sarde), il pense indifféremment à un garibaldien, à une tranche de quartz ou à la guerre civile. » (p. 109). La phrase évoque en fait l’hommage rendu au frère aîné de Luigi, qui était un spécialiste de la poésie allemande : elle est apposée là où se trouvait la maison familiale telle qu’elle fut « engloutie » on ne sait trop comment.

Ce qui charme dans la biographie de Pintor, c’est qu’en elle, par ailleurs découpée en courts chapitres, rien ne pèse ni ne pose. On y est toujours quelque peu dans le régime de l’ellipse ou de l’allusion. Chacun des brefs épisodes de vie est comme allégé de ce qui pourrait freiner la démarche narrative. Chacun d’ailleurs se résume à un seul substantif qui thématise en titre la séquence abordée et rapportée. Il s’ensuit que l’absence de certains détails peut être source d’imprécision. Le journaliste qu’est Pintor, à force de condenser, laisse parfois son lecteur à quia touchant l’enchaînement des faits, et même de faits dramatiques. Ainsi on ne sait trop qui est et comment se nomme la femme de Luigi épousée dans leur prime jeunesse et qui mourra, on le devine, bientôt. De la même façon, la cause communiste à laquelle adhère Pintor au temps de L’Unità comme à celui du Manifesto n’est pas précisément évoquée. Pourtant Luigi Pintor fut à deux reprises député communiste au Parlement italien.

Dans cette « mémoire de la fin du siècle » (Pintor meurt en 2003), l’auteur met d’ailleurs peu l’accent sur ses convictions politiques. Il préfère célébrer l’ardeur au travail du groupe de journalistes dont il fait partie. Au temps du Manifesto et donc du retour en Sardaigne, écoutons-le qui célèbre une certaine forme de pauvreté mais pour autant qu’elle soit partagée : « Je suis de nouveau, trente ans après, dans un journal pauvre, qui ressemble de nouveau à une communauté ou à une école, mais cette fois-ci avec ses propres règles et sans maîtres sévères. Le maître involontaire, cette fois, c’est moi. Je ne peux dire si c’est une seconde jeunesse ou un amour sénile, les deux coïncident souvent. Ce qui est sûr, c’est que c’est une reprise aventureuse, avec les charmes et les désillusions de toute reprise. » (p. 83)

On serait même tenté de dire que l’autobiographie de Luigi Pintor est gouvernée par une manière de pudeur et de réserve. Le dernier chapitre qui s’intitule « La douleur » peut par exemple faire penser à une maladie ou à un séjour dans un hôpital. Mais nous n’en saurons gère plus. Sauf exception, Pintor est toujours sobre dans ses épanchements. Il ne s’autorise qu’un brin d’ironie ici ou là. C’est aussi pourquoi nous l’aimons et nous l’admirons. Avec le désir d’ajouter : ce petit est un grand.

Luigi Pintor, Servabo. Mémoire de la fin du siècle, traduit de l’italien par Fanchita Gonzales-Battle, Postface de Carlo Ossola, éditions Rue d’Ulm, janvier 2022, 12 €