Les 7 de Chicago : quand l’Amérique voulait ériger un barrage contre le pacifisme

© Paramount Pictures - Netflix

Au jeu de l’exorcisme des démons de l’Amérique, le cinéma et la série US ne sont pas les derniers et Aaron Sorkin est devenu, depuis sa pièce de théâtre A Few Good Men jusqu’à ses créations pour la télévision et le cinéma, un des grands ordonnateurs du genre. Deuxième réalisation du scénariste de The West Wing et The NewsroomLe Procès des 7 de Chicago est l’archétype d’un cinéma militant dont l’Amérique a (ou avait) le secret quand il s’agit de questionner son histoire, d’édifier les spectateurs, de libérer les passions. La définition même de la catharsis, à défaut d’un réel mea culpa.

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1968. La Convention Démocrate qui se tient à Chicago pour désigner le futur adversaire du Républicain Richard Nixon est le théâtre d’une intense contestation populaire. En tête des revendications, la fin de la guerre du Viêt Nam et l’arrêt de la conscription mise en place par le président en exercice Lyndon Johnson ; en tête du cortège, des opposants du Youth International Party (les Yippies), du Mobe (National Mobilization Committee to End the War in Vietnam), du SDS (Students for a Democratic Society, fer de lance de la nouvelle gauche) et des figures médiatiques : Abbie Hoffman, Jerry Rubin, David Dellinger, Tom Hayden, Rennie Davis, John Froines, Lee Weiner… Ce qui devait être une manifestation pacifiste et non-violente a tourné à l’affrontement entre les 23 000 membres des forces de police de la ville de Chicago et de la Garde Nationale et les 10 000 participants, spectateurs, journalistes, photographes présents à ce rassemblement. Un affrontement qui sera décrit plus tard, par nombre de témoins et la Commission nationale des États-Unis sur les causes et la prévention de la violence, comme une « émeute policière ».

The police don’t start riots.
(La police ne déclenche pas d’émeutes).
John Mitchell, procureur général des États-Unis. 

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1969. Plus d’un an après les faits, sept leaders contestataires (auxquels il faut ajouter le co-fondateur des Blacks, Panthers Bobby Seale) se retrouvent sur le banc des accusés, inculpés d’incitation à l’émeute, de conspiration, de violation des droits civiques. Ce procès se tient parce que John Mitchell, le Procureur général de la nouvelle administration Nixon, veut une condamnation alors que son prédécesseur, reconnaissant l’implication voire la responsabilité de la police, avait retardé la procédure avant de devoir céder sa place. Ce procès a lieu parce qu’il est éminemment politique sous couvert de punir des agitateurs pour avoir enfreint des lois fédérales, ces « sales gosses » doivent servir d’exemple. Et tant pis si la loi sur laquelle se fonde le procureur général pour entamer les poursuites a été « promulguée par des blancs du Sud pour limiter la liberté d’expression des noirs ».

Pendant une décennie, on a laissé ces rebelles oisifs, qui ne se sont jamais frottés à l’ennemi, nous expliquer comment faire la guerre. Les grandes personnes reprennent la main et j’estime que ces sales petites tapettes menacent la sécurité nationale.
John Mitchell, procureur général des États-Unis.

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Film de prétoire, film militant, Les 7 de Chicago s’inscrit dans la lignée de 12 hommes en colère, du Verdict et emprunte à JFK, Detroit ou Dark Waters pour la mise en miroir du réel et de la fiction. Méticuleux, avec ce sens suraigu de la reconstitution et des dialogues, Aaron Sorkin déplie son récit de la genèse du procès des 7 dans le bureau du Procureur général aux rues de Chicago, dans les allées du tribunal, jusqu’au verdict, dans les échanges entre les accusés, scrutant les détails de l’histoire. Ponctuée d’incises d’images d’archives (les événements ont été filmés et retransmis en direct), la mise en scène des émeutes est le point d’orgue d’un film qui vaut autant pour son interprétation impeccable que pour les nombreux sous-textes présents derrière les faits historiques : le procès du passé se transforme en critique du présent.

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Efficace dans son traitement de la chronologie et de l’action coupable du gouvernement d’alors, Les 7 de Chicago met à mal l’indépendance de la justice, personnifiée par le Juge Hoffman, explique les combats pacifistes en les replaçant dans leur contexte, apporte une distance nécessaire pour comprendre les tenants des uns et les partis pris des autres, pour montrer l’iniquité des jugements pré-établis et soumis à une volonté politique. Quand bien même la responsabilité des forces de l’ordre avait été établie, malgré les images qui attestaient des violences et des débordements policiers, la condamnation était non seulement souhaitée mais surtout inéluctable. Le film montre aussi avec force et peut-être un peu trop d’emphase et de romantisme, la candeur des militants et la profondeur de leur engagement à une époque où le présentateur Walter Cronkite l’assurait dans son journal télévisé sur CBS : « le congrès du parti démocrate va s’ouvrir dans un état policier. Il n’y a hélas pas d’autre façon de le dire ».

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Avec un premier script écrit en 2007, tourné douze ans plus tard, le film d’Aaron Sorkin devait sortir en salles début octobre 2020. Le réel ne manquant jamais de se rappeler au bon souvenir de la fiction, la puissance d’évocation des 7 de Chicago est d’autant plus forte qu’entre les premiers jets d’écriture et la sortie en ligne sur Netflix pour cause de pandémie, l’actualité a été traversée de nombreuses tragédies, de faits divers, de violences policières, comme d’attaques contre la presse ou contre les victimes elles-mêmes. Malgré les images, malgré les preuves, malgré ce que nous enseigne l’histoire, les violences politiques, policières ou étatiques sont toujours là ; les tentatives pour museler les opposants, les lois pour restreindre les libertés sont toujours là, comme de nouvelles sont en gestation.

Les 7 de Chicago remplit donc parfaitement son rôle cathartique – une des fonctions de la tragédie selon Aristote –, pour dépassionner et éclairer, pour pointer et expliquer le réel au travers de la fiction. Les faits bien réels présentés dans ce procès des 7, comme les images que récuse le pouvoir, sont autant de témoignages en faveur des libertés et un travail sur la mémoire des combats passés. Parce que de nos jours encore et plus que jamais, « le monde entier nous regarde« , il faut se souvenir, continuer de se battre pour la justice et contre les hommes qui entendent réécrire la vérité ou les faits, décider de ce qui est une vraie information ou ne l’est pas, qui veulent justifier l’indéfendable par la culpabilisation des victimes.

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Les 7 de Chicago (The Trial of the Chicago 7), écrit et réalisé par Aaron Sorkin. Avec dans les rôles principaux : Eddie Redmayne, Alex Sharp, Sacha Baron Cohen, Jeremy Strong, John Carroll Lynch, Yahya Abdul-Mateen II, Mark Rylance, Joseph Gordon-Levitt, Frank Langella, Michael Keaton. Produit par Paramount Pictures, diffusé sur Netflix depuis octobre 2020.

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