Billet proustien (21) : Surgis scandaleuse, Swann érotomane

Marcel Proust (Wikimedia Commons)

Réception chez la Princesse (suite et fin). La carrière mondaine de la marquise de Surgis est vivement rappelée. En montagne russe : « Un démon de perversité l’avait poussée, dédaignant la situation toute faite, à s’enfuir de la maison conjugale, à vivre de la façon la plus scandaleuse. Puis, le monde dédaigné par elle à vingt ans, quand il était à ses pieds, lui avait cruellement manqué à trente, quand, depuis dix ans, personne, sauf de rares amies fidèles, ne la saluait plus, et elle avait entrepris de reconquérir laborieusement, pièce par pièce, ce qu’elle possédait en naissant. »

Elle qui a renié ses parents, a été reniée par eux, puis est revenue dans la famille, évoquant ses débuts dans la vie non sans snobisme. « Basin, c’est toute ma jeunesse ! » disait-elle le jour où il lui était revenu : « Mais elle avait mal calculé en le choisissant comme amant. Car toutes les amies de la duchesse de Guermantes allaient prendre parti pour elle, et ainsi Mme de Surgis redescendrait pour la deuxième fois cette pente qu’elle avait eu tant de peine à remonter. »

La voici qui chemine auprès de Charlus dans les salons. Palamède la couvre de compliments et s’inquiète de ce qu’elle ne possède plus le portrait que fit d’elle Jacquet, peintre mondain. Comble : ce tableau est désormais chez la Saint-Euverte. Et Charlus, qui avec la mère de ses fils en fait des tonnes : « Je ne croirai jamais qu’un chef-d’œuvre ait si mauvais goût. »

Tous deux passent alors auprès de Swann qui, se trouvant assis, se soulève pour saluer la belle marquise : « dès que Swann eut, en serrant la main de la marquise, vu sa gorge de tout près et de haut, il plongea un regard attentif, sérieux, absorbé, presque soucieux, dans les profondeurs du corsage, et ses narines, que le parfum de la femme grisait, palpitèrent comme un papillon prêt à aller se poser sur la fleur entrevue. Brusquement il s’arracha au vertige qui l’avait saisi, et Mme de Surgis elle-même, quoique gênée, étouffa une respiration profonde, tant le désir est parfois contagieux. »

Sodome et Gomorrhe II, chap.premier, Folio, pp. 104-106.