Menaces est le premier roman qu’Amelia Gray a publié – elle en a écrit d’autres depuis 2013 – et ce livre est tellement excellent qu’il faudrait en parler comme les blurbs américains, ces bandeaux fourmillant de phrases chocs d’auteurs reconnus venant confirmer le talent à l’œuvre.
Mais en France, nous avons préféré la tradition en perte de vitesse du « Prière d’insérer ». A lire Menaces d’Amelia Gray, on aurait plutôt envie de produire des :
MENACE D’INSÉRER
« Un livre qui vous griffe le cerveau et presse un jus clair que le narrateur boit comme du jus de coco dans sa cuisine, en sweat sale, en repensant à ces mots menaçant disséminés – depuis quand ? – derrière les objets les plus ordinaires. Est-ce ça le deuil ? La paranoïa ? L’amour ? La folie ? Depuis quand ? Et pourquoi ? »
MENACE D’INSÉRER
« J’ai un peu peur. C’est un livre qui fait peur ? Non. Il dit ça, mais c’est pas Le Chant de la mutilation de Hrivnak, où les menaces sont mises à exécution à chaque page, où celles qui ne sont pas formulées le sont aussi. Tandis qu’ici, c’est l’Amérique brumeuse. Avec son inspecteur esseulé. La mort et le mystère. Et tout le quotidien bouleversé de ces moments où l’on s’affronte à la mort violente. En buvant un damned bad coffee. Carrément cool. »
MENACE D’INSÉRER
« Si je devais choisir un mot anglais intraduisible pour parler de ce livre c’est lurking. Quelque chose qui te suit, invisible, qui t’attend, se tapit comme la Bête de James. Quelque chose de ténébreux et pourtant… en même temps de si clair dans ce roman. C’est odd, mais si organiquement familier. Le monde est de plus en plus blurred. Les personnages aussi.
– Oh tu fais chier avec ton anglais. »
MENACE D’INSÉRER
« Le type est dentiste. Vraiment. De cette confrérie qui vénère une sainte qui tient une tenaille dans ses mains. Vrai de vrai. Mais le type a perdu son cabinet. Le goût de vivre. Sa femme ensuite. Ses amis. Tout. Sincèrement, j’ai soupçonné l’amicale des dentistes d’avoir financé le livre pour nous rendre les dentistes sympathiques. C’est que ce perdant pas sublime pour un sou, ce type qui a tout perdu, on s’y attache. Avec lui, on voudrait qu’il s’en sorte. On veut savoir ce qui est arrivé à sa femme pour qu’il puisse enfin faire son deuil. »
MENACE D’INSÉRER
« Absence de temps, de lieu précis, déréalisation. Recette ogresque pour lecteur curieux. Mélangez avec les yeux, confondez avec le corps, réinventez avec l’esprit, et la langue produira son effet sur ce texte américain servi par Théophile Sersiron. On s’en délecte, et en plus il fait 319 pages. »
MENACE D’INSÉRER
« La menace est un indice. Peut-être un indice pour résoudre l’énigme de la mort de Franny. Mais, dans le monde de Menaces, tout est signe, peut faire signe, mais ce à quoi devrait renvoyer ce signe, cet indice, est trouble, s’éloigne dans une brume comateuse, entre la tristesse du deuil, l’hallucination quotidienne, le pur mystère. Tout fait signe, mais le signifiant, animal craintif ou prédateur avisé, s’est enfui. « Selon un paradigme cynégétique analysé par la critique contemporaine, de Terence Cave à Carlo Ginzburg », on s’interroge, on suit toutes les pistes et on se perd le nez en l’air. Est-ce que ce personnage rencontré à la laverie automatique doit révéler quelque chose du meurtre de Franny ? Et l’hypnothérapeute installée au milieu des guêpes comme au milieu d’un rêve, quelle clé possède-t-elle de ce monde de symboles creux ? Tous les personnages, les indices, les menaces prennent des dimensions surnaturelles tandis que le tour d’écrou se resserre. »
MENACE D’INSÉRER
« Je vous fais une citation de la page 111. Pour le prix. Une fenêtre est une vie qui présente une vie, disait-il. Une chronologie en elle-même, conçue pour être le témoin d’une chronologie extérieure et intérieure. Avec des pensées comme celles-ci, le père de David pouvait passer une semaine dans son fauteuil. »
MENACE D’INSÉRER
« – Imagine une fiction qui ne soit que le déploiement de menaces, de petits papiers où les mots comme des ombres, de pures taches de Rorschach, te parlent d’un univers post-traumatique où même les pires atrocités sont pour toi un souvenir disparu, une promesse masochiste, et l’espoir d’une explication.
– La vie dans les plis.
– 2 : Là où notre sens du réel défaille. »
Amelia Gray, Menaces, trad. de l’anglais par Théophile Sersiron, éditions de l’Ogre, août 2019, 336 p., 22 € — Lire un extrait
Lire ici l’article de Jean-Philippe Cazier