L’homme que j’aime me déteste.
J’ai obtenu l’inverse absolu de ce que je souhaitais plus que tout : l’homme dont je suis amoureuse me déteste, me rejette, refuse tout contact avec moi.
1.
Nous sommes en 2017, j’ai 32 ans.
Je suis déjà vieille et malade. En juillet je rentre en clinique psychiatrique. Diagnostic : troubles paniques très invalidants, dépression aigüe, effondrement nerveux.
Une maladie qui n’est pas considérée comme telle, qui broie le cœur et les neurones, invalide, et offre l’expérience de la mort immédiate qui n’est en fait que celle de la honte.
Paris, des années d’études conduisant au chômage, mon histoire cruelle avec Viktor et tous les autres bourreaux avant lui, l’infantilisation de ma famille, la réalisation d’un film qui a demandé un travail monstre pour mieux me faire mépriser ensuite, les concours que je suis incapable d’avoir, les allers retours dans ces transports en commun, la peur, les attentats, le harcèlement scolaire lointain mais qui me donne encore des cauchemars…
Tout cela a eu ma peau.
Sans que rien ne se soit annoncé, je me suis tout à coup étouffée d’angoisse sur la ligne 12. Je suis parvenue à quatre pattes dans une pharmacie où tous levaient les yeux au ciel en me voyant. Les employés de l’industrie pharmaceutique où le profit a tout pouvoir sur la santé, sont visiblement agacés car je ne suis pas là pour dépenser mon argent en pilules inutiles, mais pour que l’on me rassure, ils me disent que je ne suis pas en train de mourir. Ils me traitent comme un de ces fumeurs de crack hantant Marx Dormoy.
La dépression n’arrive pas soudainement, c’est un monstre silencieux qui attend le pire moment pour frapper. Puis il s’installe et ronronne en nos veines bien que nous le supplions de s’en aller.
Dans mon cas, ma dépression a eu le visage de ce que l’on appelle le trouble panique.
Ce trouble se définit comme la survenue brutale d’une sensation de peur intense, durant de quelques minutes à plusieurs heures. Les symptômes physiques se composent de sueurs froides, de bouffées de chaleur, de frissons, de palpitations ou d’une violente tachycardie, des tremblements, des vertiges avec une sensation d’évanouissement, une impression d’étouffement ou d’étranglement (dit dyspnée), des douleurs à la poitrine, une sensation d’engourdissement, de paralysie des membres (appelés paresthésie). Ces symptômes sont associés à des sensations de perte de contrôle ou de danger soudain sans lien avec la réalité, soit un sentiment de catastrophe imminente – d’accident cardiaque ou cérébral par exemple – d’irréalité ou de dissociation vis-à-vis de soi-même (dit déréalisation ou dépersonnalisation).
Cela peut entraîner des situations en chaîne où une crise succède immédiatement à une autre, suscitant un épuisement nerveux en quelques jours.
C’est littéralement ce que j’ai vécu.
Je suis véritablement convalescente, telle une personne très âgée ou comme quelqu’un en proie à une pathologie sévère. Mais ma maladie, celle de la peur, n’est pas reconnue.
Je reste cloitrée, terrorisée à l’attente de la prochaine crise. Je dors beaucoup.
Rien ne me soulage, si bien que certains soirs, tétanisée de peur à l’idée qu’une crise se déclare, j’avale du mauvais vin rouge et des médocs.
Je passe de psychiatre en psychiatre sans soulagement, une me reçoit à peine 10 minutes pour me balancer à la figure une ordonnance avec des saloperies, dont un antipsychotique
Le cocktail d’alcool et de Lexomil me fait tenir, l’anxiolytique je le filerai plus tard par barrettes à des camés dans le quartier de la Plaine à Marseille.
Je n’ai plus droit à la pleine disposition de moi-même, dépossédée de mes capacités les plus primaires – me déplacer, me laver, rester seule –, mon corps et mes nerfs ne me donnent plus droit à rien, à aucune liberté. Cette indépendance que j’aimais tant, qui me rendait si fière, est aujourd’hui terminée.
Je reste deux semaines à la clinique, sans alcool. La bouffe d’hôpital ne convient pas à mon régime végétalien. Je fume beaucoup, avale du Deroxat, du Xanax, le Prozac n’a donné aucun résultat. On fait la liste des médicaments le soir avec les autres patients : Méthadone, Seroplex, Lisanxia, Brintellix, Effexor, Zoloft et autres neuroleptiques…
Clinique beige et verte où tout n’est que plastique stérile.
Il faut à notre entrée se débarrasser de tout objet coupant, tranchant, susceptible de nous blesser ou de blesser l’autre. Les fenêtres ne s’ouvrent pas pour éviter toute envie de s’y balancer.
On nous pique, nous tire du sang, à nous, pauvres âmes fragiles diagnostiquées inaptes à quoi que ce soit, les médicaments veulent tout résoudre pour éviter que nos esprits perdus nous poussent au suicide.
Des anorexiques touchantes, des toxicos pleins de frics, des suicidaires qui me font trembler, constitueront mon entourage clôt durant ces 15 jours.
J’en garde un souvenir ému et doux. Tous ces malheureux, ces filles maigrissimes trainant leurs sondes, ces messieurs aux regards vides, ces jolies dames aux sourires tristes, échoués ici dans l’unique objectif que les professionnels parviennent à soulager notre mal sourd.
C’est un lieu qui prend tellement en charge notre mal-être qu’il finit par devenir comme une maladie qu’on laisse entre des mains expertes afin de se concentrer sur autre chose. La maladie s’extériorise et porte un nom. On a enfin le droit de se plaindre. Ici notre entourage proche, fatigué, démuni ou qui minimise notre angoisse n’existe plus. On devient un véritable patient, entouré de personnes comme nous.
A la sortie, je passe un mois en Corse.
J’écris beaucoup à Viktor qui répond davantage par politesse que par envie de communiquer avec moi. Ce type qui m’a donné le coup de grâce… J’ai fait tellement d’efforts pour qu’il ne se doute de rien, j’ai ravalé ma dépendance face à ce monstre qui se nourrit de la souffrance des femmes qu’il sait si bien séduire.
La colère ne m’a jamais quittée et continue durant ce séjour auquel je repense pourtant avec une nostalgie immense. Le vin en terrasse face aux montagnes bleues, le soleil plein les pupilles, le rire de Colette, cette jolie suédo-sénégalaise installée ici, la visite de Bjorn et sa compagnie calme, ce tout jeune viennois rencontré à l’université. Une période finalement heureuse. C’était quelques semaines avant que la rencontre, et toute la douleur qu’elle allait entrainer, ne s’installent dans ma vie.
On devrait être prévenu par avance de ces évènements offensifs.
Je ne suis pas certaine que ce bonheur si court mérite des mois de tristesse.
Comment ai-je pu provoquer un tel rejet de la part de cet homme pour lequel j’aurais fait n’importe quoi ?
2.
16 septembre 2017
Un vendredi soir, il avait beaucoup plu à Paris cette semaine-là et je ne m’attendais pas à rencontrer ce jeune homme.
La soirée avait mal commencée, un état panique fort s’était déclaré et je m’étais réfugiée chez mes parents.
Il insista pour que l’on se retrouve à une heure tardive.
Nous étions seuls dans cette branche de la rue Beaubourg lorsque sa silhouette immense avançait face à moi, puis on se saluait enfin devant le bar où j’avais proposé le rendez-vous.
Rien n’avait d’égal à la beauté de ce garçon.
Même les rencontres arrangées, fausses et vulgaires, deviennent très belles lorsque l’on tombe sur une personne comme lui.
Il a 26 ans, né en mars en Picardie, a fait ses études aux Arts et Métiers, parle couramment le portugais et l’anglais, aime plus que tout l’escalade et a vécu un an en Australie.
Sa voix est grave mais douce, ses beaux cheveux très sombres, coupés trop court à mon goût.
Le vin me tape à la tête. Ainsi je fais ce que l’on m’a si souvent reproché car jugé peu séduisant, je parle trop et trop fort. Mais il m’encourage à continuer mes récits bruyants et interminables. C’est le masque de mon malaise et de mon admiration à son égard. Ses yeux noirs qui ne quittent pas les miens et son rire après mes paroles, m’assurent qu’il est séduit.
Vendredi soir, c’était comme si des paillettes de joie pleuvaient sur le monde. Pourtant je déteste Paris et ce quartier qui m’a vue grandir. Dans ce café de la rue Beaubourg avec ses lustres en laiton doré, la fête commence, et nous sommes seuls sur la terrasse,
Remémorez-vous une de vos rencontres magiques, celles qui donnent l’impression que des centaines de lumières illuminent ce qui vous entoure, et la personne que l’on connaît à peine est déjà, par magie, le centre de tout et la source absolue de notre bonheur.
On y songe à nouveau avec une nostalgie terrible, un souvenir à chérir jusqu’à jamais en finir.
C’était cela ce soir-là : lui et moi.
Plus avenante et surtout plus ivre que lui, c’est moi qui propose de continuer la soirée ensemble. Nous attrapons un taxi, direction la banlieue nord-ouest.
Son appartement est moderne, calme, avec une vue urbaine laissant apparaître ce nouveau Palais de Justice qui ressemble à un grossier voilier sur les toits des HLM. La propriétaire des lieux l’a décoré d’objets sans caractère, meubles Ikéa, télé à écran plat, draps de couleur clair, ce lieu est prêté par une amie, en attendant qu’il retrouve un toit suite à sa rupture. C’est donc chez cette jeune femme que je ne connais pas, que je vais avoir droit à quelques heures de bonheur.
Je branche du Tchaïkovski et je danse maladroitement dans ma robe noire à manches longues et mes collants d’hiver. Il essaie de suivre, d’un air consterné et rieur ; je corrige ses positions. Il ressemble à cet acteur, dans sa jeunesse non lointaine, qui incarna le génie olfactif et meurtrier dans l’adaptation cinématographique de Le Parfum, et aussi au séduisant boiteux de The Lobster : le même sourire éclatant, les lèvres charnues, la mâchoire bien dessinée, le nez long et droit, les yeux noirs au regard soutenu, la même silhouette immense et longiligne.
Je me souviens son air si sérieux juste avant qu’il m’embrasse pour la première fois dans cet appartement de Clichy la Garenne. Nous avions choisi la musique ensemble, puis je lui avais demandé de retirer ses lunettes. Ce délicieux enfant que je n’ai connu qu’un instant…
Il me soulève et m’entraîne jusqu’au grand lit aux draps d’une propreté impeccable.
Des cicatrices claires ornent sa poitrine mince et son bras droit. Je n’ai jamais appris pourquoi il a tenté de se donner la mort à 16 ans en s’ouvrant les veines.
Samedi 17 septembre 2017
Merveilleux samedi matin à Clichy la Garenne, sur ma gauche s’éveille avec moi le mètre 93 de ce si beau garçon.
Je sens être déjà envahie de ces amours intuitifs et immédiats qui nous contaminent comme lors d’une période d’incubation où les symptômes sont invisibles mais le mal est bien installé.
Alors que mes vieux réflexes reviennent, étape par étape – appliquer l’injonction perverse du « S’il t’intéresse, fais mine du contraire ! », soit me lever, me rhabiller et disparaître –, son affection me tend les bras. Je ne parviens pas à croire combien ma présence peut être pour lui source d’un tel plaisir.
Il sort ensuite acheter des pains au chocolat et me prépare des framboises, du melon, des tartines de tahini et un « thé des muses », tout en me laissant le choix de ma tasse. Je vais découvrir dans la semaine qu’il boit du café en immense quantité.
Une semaine à croire qu’il était possible de s’aimer, que toute ma vie de douleur devait se clore sur cette jouissive rencontre.
Une semaine à être sa divine, son héroïne, sa belle Aphrodite à l’âme noire anthracite, sa vie.
Je me force à partir en début d’après-midi pour ne pas lui paraître imposante, mais il m’assure que nous nous reverrons très vite.
Pour diner j’ai préparé des tomates farcies et un mélange de légumes aux épices avec du riz. Mon amie Julie se régale. Elle aime venir diner chez moi et moi j’aime sa compagnie bienveillante pour laquelle j‘improvise des recettes vegan.
Ce même soir il est allé à la dernière séance place de Clichy de 120 battements par minute. J’ai vu ce film des mois plus tard. Ça me rappelait lui et moi, métaphore de celui qui dorlote et abandonne son amant, eux séparés par la maladie, nous par mon amour fou.
Il me rejoint après le film, se montre très aimable avec Julie et passe la nuit avec moi.
J’ai fait n’importe quoi avec cet homme que je choyais comme un bijou précieux, mais que j’ai inconsciemment dégouté pour ensuite m’en mordre les doigts jusqu’au sang. J’étais convaincue que celui que j’aimerais ne m’aimera jamais en retour. Un bonheur que je m’interdit.

Dimanche 18 septembre 2017
J’ai le sentiment faux que le destin l’a placé sur mon chemin comme un cadeau, comme une consolation à la difficile dépression que je traverse depuis des mois.
Il a en effet balayé en quelques secondes les restes des tous les hommes qui me hantaient.
Mais quand on aime aussi fort et si soudainement, on devient stupide.
J’ai minimisé cet amour, j’ai voulu m’en protéger alors que je n’avais pas la moindre défense face à lui et au pouvoir terrible qu’il opérait sur moi.
Lundi 19 septembre 2017
Pendant que je me dépêche pour mon rendez-vous chez le psychiatre, il m’écrit en premier, m’envoie sans commentaire des chansons sur des amours charnels. Je ris de bonheur, le temps est magnifique.
Il veut me voir l’après-midi, je lui propose donc de le retrouver chez lui pour toute la nuit. A cette occasion, amante du sucre, je lui achète une tarte aux figues et un roulé à la praline.
On se fait couler un bain et il m’offre un diner japonais, de la salade d’algue et des edamame.
Puis il me fait danser dans ses bras sur The Moody Blues, Night in White Satin. J’avais découvert cette triste chanson aux prémices d’un de mes lourds épisodes dépressifs, je pense alors qu’elle va se clore… Ce sont des minutes bien mièvres et j’ai pourtant l’estomac qui se noue.
Mardi 20 septembre 2017
Il aimait se pencher à la fenêtre de mon sixième étage et m’attraper à ses côtés comme pour nous afficher à la rue. Quartier de Château Rouge au nord de Paris, on aperçoit très vaguement Montmartre par cette fenêtre où j’ai eu si souvent envie de hurler d’angoisse.
On se jetait l’un sur l’autre, lui affamé et moi si heureuse. 30 centimètres nous séparaient : « Tu es trop grand pour que je t’embrasse ! – Attends, ca va mieux ainsi ? – Mais tu vas te faire mal à te plier en deux, je vais essayer de monter plus haut sur la pointe des pieds. »
Cela se terminait dans mon lit en étreintes hystériques.
Il a passé cette semaine à faire ça, moi je hurlais de bonheur, il m’attrapait dans les moments les plus banals, au détour de ma cuisine, quand que je mettais la table, il me faisait comprendre par ses gestes et par ses mots la force de son désir.
Ce midi-là j’attendais Marie pour déjeuner, houmous maison et pâtes à la tomate au menu. Alors que je lui fais comprendre l’importance de ce moment en compagnie de mon amie, il s’impose. Je devrais être embarrassée mais, au contraire, cela m’enchante.
Le soir, on ne dormira pas ensemble, il ne cesse de me contacter, et je crève d’envie de le revoir.
Mercredi 21 septembre 2017
Il revient des courses lorsque nous nous retrouvons en fin de journée. Comme si, à ma grande joie, nous vivions déjà tous les deux ensemble et qu’il anticipe les repas à venir. Il a acheté du basilique frais, des fruits secs, des graines germées, cette boisson amère appelée konbucha, et autant de choses qu’il laissera pourrir dans mon frigo, ainsi que de l’encens au jasmin et du raisin.
Jeudi 22 septembre 2017
C’est le jour où j’ai commis l’irréparable, où je l’ai fait fuir. J’avais si peur, j’étais morte de peur. J’ai tout fait pour qu’il s’en aille.
Le bon sens n’était plus possible face à cet attachement bien trop fort et trop soudain, rien n’était plus maîtrisable. Il fallait donc tout foutre en l’air, tuer notre histoire afin d’anticiper le pire. Partir avant qu’il ne soit trop tard me semblait la seule issue possible.
Ne faites jamais ça, ça ne marche pas. J’ai souffert, mais sans lui, au lieu de souffrir à ses côtés. Combien de fois ai-je cru que j’allais mourir sans l’aimé, puis l’avoir oublié dans les jours suivants, jusqu’à ne plus se souvenir de son nom ? Mais l’inverse est possible, croire d’être capable de me détacher d’un amour tout juste naissant, puis en souffrir jusqu’à me haïr encore des mois plus tard.
Ce soir-là j’étais invitée à retrouver un groupe d’anciens collègues dans un restau-bar où j’ai usé et abusé du vin rouge et d’autres alcools.
Olivier était présent, ce grand type au caractère très timide qui m’avait toujours plu et avec qui je partagerai, quelques mois plus tard, des étreintes dans le couloir de l’appartement de mon amie Psylvia. Suite à cela je lui enverrai un mail et une carte postale auxquels il ne donnera aucune réponse.
Il nous est répété qu’il faut se contenir, faire semblant, masquer ses sentiments,
Je pense à ce personnage, Teresa Raffo, dans l’Innocent de Visconti qui confie à son amant Tullio Hermil : « Poco meno di un anno fa, tu passavi la notte sotto li mie finestre, pazzo di desiderio, di gelosia. E io, commettevo tutta una sorta di sciocchezze per soffocare il mio amore per te. » [Il n’y a pas un an, tu passais les nuits sous mes fenêtres, fou de désir et de jalousie. Et moi, j’accumulais les bêtises pour étouffer mon amour pour toi.].
Je trouvais cela si brillant et si perspicace, cette capacité stratégique de ravaler notre fureur amoureuse afin de nous rendre indispensable au cœur de l’autre, que j’essayais, sans résultat, de l’imiter.
Chez moi à la première saoulerie, ça explose, ou alors, comme c’était le cas dans mon histoire avec Viktor, j’en tombe malade.
Et ici j’étais, en jeune femme complexée et ridicule, si fière que ce nouvel amour accepte de me rejoindre, d’exposer sa beauté aux yeux de tous ! Je le regardais, si beau et si délicat, me retrouver dans une longue étreinte, puis converser avec Olivier, à travers mon regard flouté d’alcool pendant que je dansais en titubant sur mes talons hauts. Je réalisais alors que, suite au poids énorme de mes précédents échecs sentimentaux et de la honte et la douleur qui avaient suivis, je ne possédais plus la moindre ressource pour faire face avec dignité et sans désastre, à l’amour fou que cet homme provoquait en moi.
Mon ivresse se transformait en crise, je trouvais judicieux de le faire fuir au plus vite avant que notre engagement ne se réalise et qu’il me quitte comme tant d’autres l’avaient fait avant lui. Larmes, déclarations, prières de me laisser tomber. C’était ainsi pendant tout le trajet de retour jusqu’à l’arrivée dans mon appartement.
Avant de m’enfouir dans l’expérience de l’oubli et de la mort qu’est le sommeil, je me souviens de sa voix grave, désolée, alors que je lui demandais de me mentir comme dans un dernier souvenir, de me dire : « Mon amour, tu es ma vie ».
Le lendemain matin, je trouvais sur la table du salon un mot griffonné sur un ticket de train. Son écriture penchée et délicate au stylo plume bleu : « Goodbye my Love. See you in another life. », signé de son nom.
Ce mot je ne m’en suis jamais séparé.
Vendredi 23 septembre 2017
Je me roulais dans la honte, le regret et les résidus d’alcool. Lui, il continuait de m’envoyer des chansons, me proposait de revenir me voir et de parler : « Tu as été flippante hier. Je viens de me séparer, j’ai encore des choses à régler. Mais je veux être avec toi. » Je croyais que c’était reparti, j’étais infiniment soulagée.
Ce fût notre dernière nuit.
Samedi 24 septembre 2017
Dernier petit déjeuner ensemble, une orgie de délices vegan étalées sur la table ronde de mon salon. Ce tableau ressemblait à mes rêves les plus fous. Alors que dehors le soleil piquait les yeux, il mangeait avec une droiture étonnante, tenant dans sa grande main la mienne si petite au vernis sombre. Je portais un de mes kimonos noirs, lui était déjà habillé.
Quelle beauté ce jeune homme !
« Tu as un visage très beau, tu as des beaux pieds. » me disait-il. « Ton sourire est si joyeux. J’aime faire l’amour avec toi, quand tu me regardes dans les yeux, quand tu accompagnes de tes mains mes mouvements. ».
J’étais encore incapable de croire à un cadeau comme lui. Il a donc dû gérer une de mes énièmes crises de panique. Puis nous nous sommes séparé l’après midi avec l’accord de nous retrouver chez moi le soir même.
La nuit tombée, je l’ai attendu jusqu’à 3 heures du matin.
Il disparu dans le silence.