Alors qu’il vient de se voir décerner la Légion d’honneur (au grade de chevalier) en même temps que l’ont reçue les footballeurs de l’équipe de France, alors que son dernier roman porte un titre d’œuvre symboliste du temps de Huysmans, alors qu’il a pris épouse (chinoise) et qu’il soigne sa mise, alors que son Sérotonine déferle sur la France et bientôt sur le monde en occultant la visibilité de bien d’autres romans, alors que sa drôle de tronche (j’emploie un mot à lui) s’étale sur les couvertures des magazines et sur les écrans de télé, qui est vraiment Michel Houellebecq et où le situer au palmarès de la littérature contemporaine ?
Commençons par cerner son profil en plaçant son œuvre au centre d’une petite utopie largement inspirée de l’actualité la plus pressante.
Est donc venu le temps où l’émergence de la macronie et de sa République en marche menace d’extinction tous les partis politiques.
Est venu le temps où le mouvement des Gilets jaunes menace de disparition les organisations syndicales.
Est venu le temps où le néo-libéralisme avale tout dans ses puissantes mâchoires et valorise tout ce qui lui rapporte.
Est venu le temps où une sociabilité de base a déserté bistrots et cafés du coin au profit des ronds-points et des parkings de supermarchés.
Est venu le temps où le premier roman dudit Houellebecq n’a pas cessé de se reproduire pour noter que « l’extension du domaine de la lutte » n’en finit pas de finir et qu’elle redouble les marchés économique, électronique et sexuel.
C’est à cette utopie multi-face que nous accrocherons l’essentiel du récent essai qu’Agathe Novak-Lechevalier a consacré avec bonheur à l’écrivain. Un grand thème parcourt ce travail fortement empathique, celui d’une dialectique romanesque de la désolation et de la consolation. Certes, l’écrivain désole plus qu’il ne console et l’on n’a pas cessé de souligner le climat de dépression qui empreint son œuvre. Et si bien que l’on retrouve chez lui un rapport au monde rappelant des auteurs de jadis de Joris-Karl Huysmans (voir À vau l’eau) à Emmanuel Bove (voir Mes Amis). Ainsi Houellebecq s’inscrit dans la lignée peu glorieuse d’écrivains qui ont dit et redit l’existence de gens ordinaires, toute de solitude et de privation.
Partant de quoi, Novak-Lechevalier a bien vu que la déréliction humaine comme l’entend Houellebecq était à trois étages. Au départ, Il y a cette souffrance qui est au principe de toute existence suivant Schopenhauer — la référence soutenue du romancier. Il y a pour suivre ce que fait subir le capitalisme à tant d‘êtres réduits à la misère ou près d’y tomber. Enfin il y a cette « déliaison » si typique de notre temps et qui est comme une grande neurasthénie collective.
Cette construction passe beaucoup chez Houellebecq par un humour tout de constat cruel et trivial. Agathe Novak-Lechevalier pointe cet humour mais sans voir vraiment que s’y établit la connivence soutenue que l’auteur entretient avec son lecteur. Or, cet humour est lui-même consolateur simplement parce qu’il est comme une mise en commun des tourments vécus et partagés par beaucoup (voir le tourisme de masse souvent décrit par l’écrivain). Cependant notre critique relève telle ou telle scène drôlatique comme celle d’une réception chez Jean-Pierre Pernaud dans La Carte et le Territoire (2010). Drôlatique et atroce avec ce contraste entre gens simples folklorisés selon les régions de Franc et les invités vedettes de la soirée (affaires et spectacle) fonctionnant au champagne. Là comme ailleurs, le romancier excelle à rendre burlesques comme sans effort les situations.
Mais venons-en à la consolation, plus inattendue en contexte. Loin des formes stoïcienne ou chrétienne qui ont précédée, elle apparaît comme espérance et comme possibilité. Ici à nouveau, elle varie les styles et les tons. Il est une part réaliste, voire balzacienne qui aime à inventorier les types sociaux. C’est l’artiste Jed Martins portraiturant les gens de son milieu. Mais il est aussi toute part essayiste, où fleurit facilement le principe ou l’aphorisme. C’est le lieu de la théorie et de son pouvoir structurant. Par ailleurs, le romancier n’a jamais cessé d’écrire des vers, et c’est sur eux que bien souvent notre critique s’appuie, d’ailleurs à bon escient. « Si la littérature console, écrit-elle, c’est qu’elle rétablit des liens qui font défaut dans le monde contemporain. » (p. 222) Et d’ajouter plus loin : « Dans un monde de désolation, l’ultime consolation tient peut-être à cet espoir incertain et fragile : celui que porte en elle la littérature, et en particulier la poésie. » (p. 239). Dont acte.
Agathe Novak-Lechevalier, Houellebecq, l’art de la consolation, éditions Stock, octobre 2018, 306 p., 20 €