A l’occasion de la parution de La première année, rencontre avec Jean-Michel Espitallier et entretien où il est question de ce livre-ci mais aussi, de manière plus générale, de son travail d’écrivain, de la musique, de Wittgenstein, de la guerre et de la banalité du mal, de Francis Ponge et de la batterie, de bricolage, du syllogisme, ainsi que d’un livre en cours d’écriture.
Quand tu étais enfant, tu étais déjà lecteur ?
Je crois que j’ai toujours eu un rapport très affectif avec le livre. Il y a quelques années, j’ai retrouvé un poème que j’avais écrit en revenant de vacances en Corse avec mes parents. Je devais avoir 7 ou 8 ans. C’était un poème très scolaire, mais c’est tout de même curieux qu’à cet âge, très jeune, j’aie éprouvé le besoin d’écrire un poème pour raconter mes vacances. Chez moi, il y avait beaucoup de livres. Mes parents n’étaient pas des intellectuels, ils étaient commerçants, de la petite bourgeoisie de province, donc. Mais ils lisaient beaucoup. Mon père lisait beaucoup de polars, des livres d’histoire, des essais. Ma mère lisait beaucoup de romans. Lorsque j’étais en classe de 3ème, elle m’avait acheté la collection complète des Rougon-Macquart de Zola. Un choc, sans doute même un déclencheur. Enfant, j’étais souvent malade, alors je lisais. J’adorais les livres que me ramenait ma mère, les bouquins de la « Bibliothèque verte » et, un peu plus tard, « Bob Morane » – j’en lisais un par jour ou presque ! J’ai toujours beaucoup lu.
Puisque tu avais écrit ce poème, est-ce que tu avais déjà envie d’écrire ?
Quand tu as de l’admiration pour quelqu’un ou quelque chose et que tu vois que l’écriture est un moyen très efficace de raconter le monde, tu as besoin de te mesurer à ça. En tout cas, moi j’ai eu besoin de me mesurer. En classe de 3ème, le prof de français nous lisait Pagnol, ses souvenirs d’enfance, La Gloire de mon père, etc. Je me suis dit : c’est génial, avec l’écriture on peut se souvenir, c’est une machine à aller chercher des souvenirs. Donc, à 13 ou 14 ans, j’ai écrit mes souvenirs d’enfance ! Je crois que j’avais déjà cette idée de la littérature comme une espèce de machine, et dans ce cas une machine à reconstruire du passé.
Tu as fait des études de Lettres, il me semble.
A Aix-en-Provence. Quand je regardais la liste des cours, à la rentrée, pour moi c’était un cadeau de Noël. J’adorais suivre des UV qui concernaient des auteurs qu’autrement je n’aurais sans doute pas lus : la comédie classique, etc.
Ton but, c’était écrire ?
Oui. J’avais écrit des petits poèmes. J’avais commencé à écrivailler, disons. Et déjà tout petit, comme je te le disais. Je me souviens qu’un hiver mon père avait eu une grosse la grippe, et je lui avais écrit des petits polars. J’écrivais des choses comme ça. Ensuite le désir d’écrire a continué, différemment bien sûr. Je suis arrivé à Paris en 1984. J’écrivais déjà des petites proses. J’ai publié mon premier texte dans une anthologie qui s’intitulait L’Être libre. La maison d’édition qui l’avait publiée était dirigée par Serge Livrozet, un ancien taulard, un braqueur intello. Il avait été parrainé, en quelque sorte, par Deleuze, Foucault, Derrida. Je lui avais envoyé un texte, très mauvais d’ailleurs, et il l’avait publié dans cette anthologie. Le texte s’appelait « Confettis ». Ce qui est drôle dans cette histoire, c’est que quelques années après, en lisant « Le Monde des livres », je vois que Serge Livrozet avait été arrêté pour trafic de fausse monnaie : il avait financé sa maison d’édition avec de la fausse monnaie ! Donc, mon premier texte a été publié grâce à de la fausse monnaie. Ensuite il y a mes premiers textes dans la revue Digraphe, la revue de Jean Ristat, à partir de 1986. Et la création de Java en 1989, etc.
Est-ce qu’à l’époque tu t’intéressais à d’autres arts ?
La musique, le rock, et aussi la musique classique. Mais surtout le rock. J’avais commencé à jouer de la batterie. J’ai fait du piano, vers 7 ou 8 ans. Puis je me suis mis à la batterie, vers 12 ans. J’ai fait mon premier concert, avec mon groupe, sous une pluie battante, à 13 ans.
Aujourd’hui tu es toujours batteur – écrivain et batteur. Tu as aussi écrit sur la musique : ton livre autour de Syd Barrett, par exemple. Dans La première année, on trouve de nombreuses références à la musique…
Dans De la célébrité aussi…
Est-ce que ton intérêt pour la musique a joué sur l’écriture, sur la façon dont tu as développé ton écriture ?
Quand j’ai commencé à écrire vraiment, je me suis dit qu’il me fallait trouver un lien entre la musique, et plus précisément la batterie, et l’écriture. Et je ne trouvais pas. Bien sûr il y a le son, la question du son, mais ce n’est pas suffisant. Il me semblait qu’il y avait là deux énergies intéressantes, mais je ne trouvais pas le moyen de les relier. J’ai eu une commande, par Jean-Paul Curnier, d’une pièce sonore, à Marseille, en 2007. C’était pour un collectif, un livre-CD qui s’appelait Vox Hôtel. On avait carte blanche, trois jours en studio. Le studio était en lien avec le conservatoire de musique de Marseille. Je leur ai demandé une batterie. On a bidouillé des choses avec quelques idées, des bouts de textes que j’avais, etc. J’ai joué de la batterie et j’ai trouvé que l’ensemble fonctionnait bien. A ce moment, il m’a semblé avoir trouvé quelque chose.
Indépendamment de la batterie, de ta pratique de la batterie, est-ce que la musique que tu écoutais a apporté quelque chose, a agi sur ton écriture ?
Je suis autant traversé par Francis Ponge ou Duras, et tellement d’autres, que par Massive Attack, les Sex Pistols, les Beatles, la musique électro, Stravinsky, Berg, etc. La musique est pour moi un moteur intérieur très puissant. Quand j’écoute de la musique, je me dis qu’il faudrait que mon écriture, le timbre de mon écriture, provoque le même genre d’effet, de réaction, que la musique. C’est compliqué parce que ce n’est pas le même medium. Un jour, dans le train, j’écoutais un album de King Crimson. C’est une musique presque métal, c’est très froid. J’écoutais la guitare de Robert Fripp, ses boucles, et je me demandais comment je pouvais réaliser la même chose avec mon écriture. Dans mon premier livre, Ponts de frappe, qui est un livre un peu parodique, encore très influencé, j’ai quand même essayé de faire quelque chose qui se rapprochait de ce genre de questionnement. J’étais très marqué par les Beatles et j’ai pensé ce livre comme un album. Les Beatles, ce sont aussi des farceurs : il y a des morceaux de 14 secondes, de l’autocitation, de la parodie, etc. Dans l’Album Blanc, le White Album, il y a deux ou trois morceaux qui doivent faire 14 ou 15 secondes, sans que l’on sache d’où ils arrivent ni où ils vont. Comme des petites vignettes. Je me suis souvenu de tout ça pour ce premier livre que j’ai vraiment essayé de penser comme un album.
Quand tu écris, tu écoutes de la musique ?
Non. Quand j’ai écrit La première année, j’en écoutais, en tout cas au début parce que je n’avais pas l’ambition d’écrire, de faire livre. C’était plutôt un journal. Mais même après, j’avais besoin d’être dans ce bain musical, dans la musique, parce que c’est ça qui charriait les émotions de cette année 2015. C’était une sorte d’archive, une archive d’émotions. Mais sinon, je n’en écoute pas en même temps que j’écris parce que j’écris beaucoup à l’oreille. Quand je suis sur la fin, que je pense le livre dans sa globalité, ses articulations, sa composition, etc., je peux écouter de la musique. Mais avant, quand je suis dans la chair de la phrase, j’ai besoin du silence, d’un certain silence.
Puisque tu t’intéresses beaucoup à la musique, pourquoi as-tu fait ce choix très fort de l’écriture, de t’y consacrer ?
L’écriture, c’est à la disposition de tout le monde. Tout le monde a appris à lire et à écrire, quasiment tout le monde. Tu as simplement besoin d’un stylo et d’un bloc Rhodia. Vers l’âge de 12 ou 13 ans, je m’étais acheté une petite caméra super 8. Je faisais des films, j’adorais ça. Je brûlais la pellicule pour faire des effets, des trucs comme ça. Mais ça n’a rien donné en moi. J’étais moins à l’aise avec l’image. Et encore aujourd’hui, je ne vais pas beaucoup au cinéma, j’aime bien mais je ne suis pas un grand fan de l’écran. J’ai toujours une forme de tristesse quand je vais au cinéma.
Par opposition à ce qui te déçoit dans l’image, qu’est-ce que l’écriture apporte ?
Une forme de liberté. Mais bon, une fois que l’on a dit ça, on n’est pas au début du chemin… Il y a une liberté avec un outil que l’on a déjà en soi. En un sens, il n’y a pas de technique à acquérir, à posséder. Bien sûr, il faut forger son style, mais ça, c’est une autre histoire.
Je relisais des pages de Salle des machines, qui réunit plusieurs de tes livres et des textes isolés. Les textes qui ouvrent ce livre, les premiers textes, insistent sur ce que serait pour toi l’écriture, et insistent, justement, sur l’idée de machine, l’écriture et le texte comme machine, l’écriture comme montage, comme moteur. L’idée importante me semble être celle de bricolage, l’écriture comme bricolage.
Que signifie et qu’implique pour toi l’écriture comme bricolage, l’écriture comme machine ? Ceci pourrait renvoyer peut-être à Deleuze, comme à l’idée d’une construction, de l’écriture comme construction, fabrication, pas de manière forcément intellectualisée mais plus…
Dans la matière…
Oui, dans la matière. Donc, que signifient pour toi ces idées appliquées à l’écriture : machine, bricolage, construction ?
Si on part de l’étymologie du mot, « poésie » signifie « faire », « fabriquer ». Je crois que l’écriture, c’est de la mécanique, c’est du mécano. Je me définis comme un bricoleur, un bricolo. Il faut se confronter à une matière, un matériau qui est la langue, comme le sculpteur avec son bloc de marbre. L’écriture, pour moi, c’est beaucoup un jeu de permutations, de raccords, de greffes, de dérivation de tuyaux. Si tu écris : « le soleil ardent et magnifique », il suffit que tu permutes le nom et l’adjectif, par exemple, pour que le sens change légèrement. Ça voudra dire la même chose mais pas tout à fait non plus. Le message ne sera pas exactement le même. Je prends toujours l’exemple du verlan : tu prends un mot, tu le coupes en deux, tu le mets à l’envers, ça n’a plus le même sens. Quand tu dis « chelou », une musique chelou, ce n’est pas tout à fait la même chose qu’une musique louche. Ce mec est relou et ce mec est lourd, ce n’est pas exactement pareil.
L’effet n’est pas le même.
Non, l’effet n’est pas le même. Par ailleurs, ces expressions s’inscrivent dans un champ sociolinguistique qui exprime aussi autre chose. Ce sont des permutations intéressantes. Burroughs a aussi parlé des permutations – et bien sûr du cut up. Dans le cut up, tu colles ensemble des trucs, mais ça ne va pas, alors tu ajoutes des soudures, etc. Ça m’arrive souvent : je veux faire un texte et je me rends compte que quelque chose ne va pas, j’essaie alors de trouver le mot, le point névralgique, et en même temps je n’ai pas envie de l’enlever – donc, je fais quoi ? J’essaie donc de greffer, de souder, de permuter, etc. Ça donne un peu une machine comme celles de Tinguely. Tout cela pour dire qu’il y a dans ce type de démarche un rapport quasiment matériel à la langue.
L’idée de bricolage me fait penser à Claude Lévi-Strauss et à son texte, dans La pensée sauvage, sur le bricolage, sur la différence entre le bricoleur et l’ingénieur. Pour Lévi-Strauss, le bricoleur, à la différence de l’ingénieur, n’agit pas en fonction d’un savoir préétabli, il tâtonne, il essaie des trucs. L’ingénieur possède déjà ses outils, fabriqués en vue d’une action précise, alors que le bricoleur invente ses propres outils, il utilise des outils, des objets, qui ont déjà une finalité pour les utiliser en vue d’une autre finalité.
Est-ce que cette façon de penser le bricolage rejoint quelque chose de ce qu’est écrire pour toi, une forme de liberté, comme tu le disais ?
Complètement. Il y a aussi le fait que le mécanisme que tu construis, que tu mets en place, fait dériver le propos initial – tu fais des découvertes. Tu fuites.
Quand on parle du texte comme montage ou bricolage, on met l’accent sur le processus de fabrication. Le bricoleur invente ses propres processus de fabrication. C’est ce que tu fais : inventer des processus textuels et des processus qui, comme tu le dis, produisent leurs propres résultats. Comment détermines-tu tes processus ?
A un certain moment, toujours, je suis contraint d’inventer mes propres règles, celles qui sont adaptées à ce que j’ai envie de faire. Tout n’est sans doute pas conscient non plus, il y a une part d’intuition. Je peux aussi récupérer d’anciens processus que je réadapte. C’est comme un travail d’exploration, comme la démarche d’un explorateur : tu pars au fin fond de la Sibérie et il se met à faire très froid alors que tu n’avais pas prévu qu’il fasse si froid, il faut bien que tu inventes quelque chose et que tu t’arranges avec ce que tu trouves. L’explorateur se réadapte sans cesse en fonction du terrain, et je crois que je fais la même chose. C’est la forme de liberté qu’on évoquait, ce « trafic dans l’inconnu » dont parle Rimbaud l’Africain.
Tu écris aussi volontiers à partir de matériaux que tu vas chercher et que tu retravailles, que tu réutilises de manière différente, que tu détournes, etc. Je pense par exemple aux catalogues, aux prospectus, aux manuels scolaires, à certains textes d’autres auteurs que tu retravailles. Cette démarche est tout à fait dans l’esprit du bricolage. Comment est-ce que tu cherches et trouves ces matériaux que tu utilises ? Est-ce le hasard ou es-tu plutôt méthodique ?
Un peu des deux. A un moment, par exemple, j’allais beaucoup aux puces. Je suis assez fasciné par les livres techniques du début du 20e siècle, lorsque régnait encore un positivisme confiant en la technique et en l’avenir de l’Homme grâce à la technique. Accompagnant ces techniques, il y a un jargon particulier qui n’est pas le mien, un champ lexical qui produit une sorte de dépaysement. Ça me plaît de lire ces choses-là, des catalogues par exemple, et éventuellement d’en extraire des morceaux pour les dépayser à leur tour, en les important dans mon propre travail. Un univers linguistique spécifique, c’est comme une forêt dans laquelle tu ne reconnais rien, tu ne reconnais aucune plante, et en même temps tu te dis : à quoi peut servir cette plante-là?, je pourrais peut-être l’utiliser pour une infusion, un cataplasme.
Dans cette façon que tu as de travailler, pas toujours mais souvent, avec des matériaux qui ne sont pas « nobles », déjà usagers, déjà utilisés en quelque sorte – dans cette façon de travailler, donc, il y a aussi un rapport avec certaines préoccupations de l’art contemporain. Si on considère, par exemple, l’art du collage, ça me paraît évident. Ou l’importance de la récupération pour certains artistes. Est-ce qu’il s’agit là de démarches artistiques auxquelles tu t’intéresses ?
Oui, ça me donne des idées. Ça rejoint ce que je disais tout à l’heure au sujet de la musique : comment est-ce que je peux importer dans mes propres machines quelque chose qui vient d’ailleurs, un geste qui ne correspond pas au medium qui est le mien, à savoir l’écriture ? On s’inscrit toujours dans une généalogie, plus ou moins consciemment. Dans ma généalogie, il y a des bricoleurs, comme Tinguely ou Marcel Duchamp. Ce sont des gens qui m’intéressent, dont je me sens proche. De façon générale, l’art contemporain m’inspire beaucoup. Ce sont des choses qui me posent question. Je ne sais pas toujours ce que j’en fais mais ça me pose question en tant qu’écrivain, ça me pose des questions littéraires. Je me sens écrivain mais aussi plasticien. Un de mes amis, plasticien, Jean-Pierre Bertrand, me disait : « Toi tu es un plasticien qui travailles avec le livre ».
Certains de tes livres, de manière évidente, relèvent de la performance ou de l’installation. Je pense par exemple à France romans, publié en 2016.
C’est quasiment de l’art conceptuel.
Ta façon d’aborder et de pratiquer l’écriture en inventant tes propres règles, en usant de matériaux qui ne sont pas usuels dans le champ littéraire, en écrivant des textes qui tendent vers certaines démarches des arts plastiques – tout ceci produit nécessairement un type de texte, un type de livre particulier. Comment définirais-tu les livres que tu écris ? Comment définirais-tu ce type particulier de livre ? Quelle définition du texte correspondrait à ta façon d’écrire et de construire tes livres ?
Le matériau, fondamentalement, c’est l’écriture, ces choix constants de placements, de permutations, de montage, de mise en collision, etc. Il y a des mises à feu sonores, plastiques, musicales, philosophiques – mais tout finit sur une page. Donc, ce que je peux dire, c’est : pour moi, un texte, c’est d’abord et avant tout le marqueur, ou l’image, ou la partition d’une langue. Peut-être même que le texte, en ses structures, son image plastique, ses combinaisons, sa construction, ses mouvements – au sens musical –, etc., est une langue.
Il y a beaucoup de théories sur ce qu’est la littérature, ce qu’est un texte. Sans nous lancer là-dedans, il me semble que ta littérature, avec ce qui la caractérise et que l’on vient d’entrevoir, se distingue d’une tradition prégnante, ou d’une idée commune concernant la littérature, qui revient à considérer le livre, l’écriture, comme impliquant un sujet qui exprime son moi, ses idées, ses états d’âme, etc. Le livre est pensé à l’image d’une subjectivité qui se regarde et s’épanche en quelque sorte. Dans tes textes, le statut du Je est paradoxal. Tu n’as pas attendu La première année pour écrire « Je », pour impliquer le Je dans ton écriture. Mais, dans tes livres, la présence du Je n’équivaut pas à celle d’un Je qui s’étale sur le papier, central et souverain même lorsqu’il joue à se perdre plus ou moins. Il me semble évident que ce n’est pas du tout ça qui t’intéresse. Donc, par exemple, ta façon d’aborder ces questions dans ton travail : la question du Je, la question de l’auteur, le rapport entre celui qui écrit et les énoncés textuels qui impliquent un Je qui n’est sans doute pas l’auteur, voire qui le contestent, la question de l’origine des textes que tu peux utiliser et qui viennent d’autres auteurs ou qui sont sans auteur connu, comme un catalogue ou un prospectus, etc. –, tout ceci me paraît impliquer et produire un type de texte qui ne correspond pas à une idée de la littérature comme expression de soi, comme réalisation d’un sujet, d’une conscience, comme expression d’une signification commandée par l’écrivain. Tes textes sortent de ce cadre et mettent l’écriture au centre : c’est l’écriture qui écrit.
Je joue avec le Je. Ce qui m’intéresse d’abord, j’y reviens, c’est le bricolage, le mécano. En un sens, je suis toujours enfant, j’ai toujours un rapport très fort à l’enfance : je joue avec les mots, pas dans le sens de faire des jeux de mots mais au sens de jouer avec un mécano. Je fais de l’installation. Ceci est pris dans un champ qui est celui de la langue, mais ce que je fais est plastique, physique. Sans compter que le Je est un objet pluriel, changeant, labile, poreux, multiple.

Je relisais tout à l’heure le texte que tu as écrit à partir du poème de Victor Hugo Demain, dès l’aube. C’est un texte de 1996. Ton texte est très marrant mais pas seulement. Il synthétise beaucoup de choses qui se développent dans ta littérature. Il y a l’usage d’un matériau déjà existant, qui est donc le texte d’Hugo, et ce texte tu le fais proliférer : tu prends une langue, un texte déjà là, et tu greffes sur celui-ci un processus qui le fait proliférer, qui fait proliférer sa langue. Tu y introduis des éléments qui le parasitent, qui le font diverger. Et la prolifération que tu opères rend le texte et son langage, au sens littéral, délirants. Le langage d’Hugo déborde, et par ce débordement surgit un monde lui-même proliférant, pluriel et délirant. Par exemple, par le processus que tu imposes au texte d’Hugo, tout le paysage de ce texte – la campagne, la montagne – explose et est envahi par une série d’autres éléments qui le font sortir de son cadre : le bocage, le fjord, la lande, la montagne russe, la bananeraie, etc. L’effet est très drôle mais en même temps, par-delà l’humour, autre chose est en jeu, à savoir l’irruption d’un monde en lui-même débordant, hors-cadre, proliférant, chaotique. C’est une des choses qui m’intéressent dans tes textes, la façon dont ton écriture implique un monde de ce type : pluriel, instable, proliférant, chaotique. Ton écriture est une écriture du chaos, que tu travailles de différentes façons, selon différents procédés : prolifération, juxtaposition, répétition, etc. Ton monde n’est pas ordonné, il est chaotique.
Dans ce texte, il y a aussi de la nostalgie, à travers les mots qui renvoient à l’enfance, à l’école. Par exemple, le mot « pénéplaine », la pénéplaine. Je n’ai jamais vu une pénéplaine de ma vie mais c’est ce que l’on apprenait dans les manuels scolaires. Mais bien sûr, dans mon texte, tout ce langage scolaire, de l’enfance, tout le langage de Victor Hugo, s’enrayent : je cite des noms de restaurants italiens, etc. Il y a de la dérision et de la destruction.
Une autre chose que l’on voit dans ce texte, et que l’on retrouve dans tes autres textes, c’est que le texte s’engendre lui-même.
Il s’emballe et se crée lui-même.
Par le jeu des permutations, des glissements sémantiques, etc., le texte se génère lui-même. Et la création du texte par lui-même s’accompagne de la création d’un monde en continuelle création, sans limites.
Le texte et le monde sont vivants. Ce sont des corps vivants, modelables et innervés.
C’est ce qui me frappe toujours dans ce que tu écris, ce rapport particulier entre le langage et le monde. Fréquemment, on insiste sur le fait que Jean-Michel Espitallier est marrant, rigolo. Moi, je ne trouve pas (rires). Bien sûr, il y a souvent dans tes textes des effets comiques, très drôles. Mais il n’y a pas que ça…
Le rire, c’est la politesse du désespoir…
Il y a aussi un monde chaotique. « Chaotique » dans le sens d’un monde désordonné, violent, ce que montre l’actualité, toutes ces guerres, ces conflits, la violence politique, sociale, humaine. Mais « chaotique » aussi dans un sens – pour employer un mot peut-être trop massif – que l’on pourrait dire ontologique : l’être du monde est désordre, instabilité, mouvement, pluralité, hétérogénéité, incohérence. Le monde qui est impliqué par tes textes est ontologiquement chaos.
C’est quelque chose qui chez moi n’est pas conscient – conscient en tant que programme, si tu veux. Mais lorsque j’écris, c’est présent, effectivement. J’aime beaucoup Valère Novarina pour sa fascination de l’infini du langage. C’est émerveillant. Ça me fait toujours penser à un coffre à jouets avec mille petites choses à l’intérieur. Il y aussi, sans doute, une peur. Cette peur, je la retrouve partout, comme la peur du temps qui passe, qui nous conduit vers une sorte de chaos. Mais, en même temps, il y a un émerveillement. Quand j’étais enfant, j’avais un carnet où je notais des mots que j’allais chercher dans le dictionnaire, tous les jours, des mots que je ne connaissais pas. Et ce rapport à la langue est aussi un rapport au monde, un monde infini, que je ne connais pas, surprenant ou hostile et qu’il faudrait amadouer, en quelque sorte, nommer pour l’identifier. D’où, par exemple, mon intérêt pour les listes. Il y a un texte, que j’ai commencé il y a 26 ou 27 ans, qui s’intitule « Où va-t-on ? ». J’en avais fait une affiche éditée par les éditions Le Bleu du ciel. J’avais pris quelques bouts du texte et on avait fait une affiche au format des affiches des abribus. Le texte total doit faire 500 000 signes, c’est énorme. Il est composé de listes, etc. C’est vraiment un chaos de mots, de tout ce que je peux trouver : listes, propos entendus, souvenirs, extraits de discours variés, slogans publicitaires ou politiques, dépêches d’agences de presse, etc. C’est un work in progress.
Ça a l’air passionnant, il faudrait le publier…
C’est un ensemble énorme et réellement chaotique. La question est : est-ce que j’ai essayé d’ordonner ce chaos, parce qu’il y aurait face à ça comme une peur – peur de l’inconnu et peur de la disparition qui se retrouve beaucoup dans mes livres ? Peut-être que je fais ce que fait un collectionneur qui accumule pour conserver, fixer, mettre au jour, et aussi pour dresser un mur entre lui et le monde. Ou s’agit-il au contraire d’une exaltation ?
Ce que l’on retrouve aussi de manière centrale dans ton travail, c’est un intérêt pour la logique…
J’ai beaucoup lu Wittgenstein…
Un intérêt pour la logique, la raison…
Mais qui s’emballe, se déglingue…
Oui, exactement, une raison qui s’emballe et devient délirante. Je pense à ton texte dans En guerre, le texte qui s’intitule « L’axe du bien ». On y trouve toutes les combinaisons logiques possibles qui font varier un petit nombre de propositions.
C’est aussi une critique de ce type de discours. Et une critique de la raison.
Il y a un goût, chez toi, pour le syllogisme, des opérations logiques, des combinatoires…
J’adore le syllogisme, les hypersyllogismes, les paradoxes qui se détruisent eux-mêmes.
Qu’est-ce qui, d’un point de vue littéraire, t’intéresse dans cet usage de la logique ?
J’ai toujours aimé les propositions paradoxales, les syllogismes. Je me suis intéressé à Wittgenstein, ou à Debord, moins d’un point de vue philosophique que pour leur usage de l’aphorisme. Le fait est que lorsque tu pousses la logique au bout, tu repars dans l’irrationnel. Dans les textes hyper logiques, c’est tellement logique qu’à un certain point le sens fuit de partout. C’est ce qui m’a intéressé, par exemple, dans mon livre Cent quarante-huit propositions sur la vie et la mort. Je lisais Qu’appelle-t-on penser ?, d’Heidegger, et j’étais fasciné par ça : tu prends un objet et tu essayes de le presser jusqu’à la moelle. Un peu comme chez Francis Ponge : tu essaies d’en faire le tour, etc. C’est comme ça qu’il y a chez Ponge une approche très puissante de ce que l’objet peut raconter. Pour mon compte, j’aborde les choses de manière plus dure, plus froide, comme chez Wittgenstein. Le fait est que lorsque tu pousses cette approche hyper logique jusqu’au bout, tu te trouves dans quelque chose de totalement irrationnel et incompréhensible. En même temps, si l’on reprend l’exemple de « L’axe du bien », on se trouve face à la vanité du langage, sa porosité, sa faiblesse, son aspect mensonger et trompeur.
Tu prends des formes et propositions logiques, hyper logiques, et tu les pousses jusqu’au point où elles déraillent et basculent dans l’irrationnel, le délire, l’hilarant. Il me semble que tout ceci est fortement présent dans ton travail, une sorte d’exploration des limites de la raison, des limites du discours logique et de la logique du discours. Tu pousses les choses jusqu’au moment où l’irrationnel surgit à l’intérieur de la raison, où le désordre surgit dans l’ordre : un irrationnel et un désordre qui sont produits à partir de la raison et de l’ordre eux-mêmes…
C’est aussi inquiétant. Dans La première année, je raconte un épisode anodin où lors d’un retour de voyage avec Marina, on s’arrête quelque part, on voit un cheval au milieu d’un champ, et c’est tout! Et le discours prend la voie d’une sorte de logique illogique. Ce qui se passait là était tellement illogique que seule la logique pouvait lui rendre, justement, une logique… illogique! Et la phrase que j’écris alors est à la fois compréhensible et se perd. Le texte perd les pédales et s’emballe, peut-être, justement, comme un cheval.
Pour en venir à ce livre, La première année, tu dis que tu n’as pas eu dès le départ l’idée que ça allait être un livre. Il s’agissait d’abord de notes, une espèce de journal. Comment le fait d’écrire a-t-il surgi au milieu de la situation que tu vivais, que vous viviez ?
Marina est partie à l’hôpital un 17 janvier. Je savais que c’était la fin. Je suis rentré chez moi et j’ai écrit le petit texte qui est quasiment au début du livre : « comme ça tu vas mourir, tu vas mourir toi aussi, toi aussi tu vas donc mourir, etc. ». J’ai écrit ça, une improvisation, et bien sûr sans aucune idée de commencer un livre. Ceci est ensuite devenu une sorte de journal de deuil. Je n’ai pas voulu gommer les redites, les répétitions. Ça fait partie du truc, de la névrose, du traumatisme, de la sidération, les choses se ralentissent et le texte se ralentit également, piétine, peine à avancer.

Comment es-tu passé de la prise de notes sans but littéraire à la conscience, à la volonté de faire un livre ?
Je suis arrivé à une grande quantité de notes, de textes, à des articulations qui ont commencé à s’opérer toutes seules. D’un point de vue psychologique, j’ai eu aussi envie de partager ça, d’en parler. Je voulais que ça se sache. Après la mort de Marina, j’avais besoin de raconter à tout le monde. L’autre jour, lors d’une signature, un homme est arrivé et a commencé à me dire qu’il venait de perdre sa femme, à tout me raconter. Je me voyais vraiment à sa place. J’ai eu besoin de raconter aux autres, ce qui est aussi une façon de se délester.
Comment as-tu trouvé le « Tu », l’emploi récurrent et central du « Tu » ?
Je pense que j’avais encore envie de lui parler. Ça me rappelle la mort d’un personnage dans 14 juillet, d’Éric Vuillard. C’est un passage très beau. Un des insurgés, durant le 14 juillet 1789, est gravement blessé et va mourir. Et il pense : « il faut que je dise quelque chose à ma femme, qu’est-ce que je devais lui dire, déjà ?, il me semble que j’avais encore quelque chose à lui dire », et il meurt. Il s’agit de ça, tu vois ? La disparition, c’est le silence, la rupture du dialogue. Mais j’avais encore besoin de lui parler. Donc, le « tu » est venu naturellement.
Quelles questions littéraires ce livre t’a-t-il posées ? Je lis dans la presse que ce livre marque une rupture dans ton œuvre, qu’il n’a pas vraiment de rapport avec ce que tu as écrit avant. Je ne le pense pas. Il y a beaucoup de choses qui s’y trouvent qui étaient déjà présentes – des thèmes, des pratiques d’écriture, des procédés –, beaucoup de choses parmi ce que tu faisais qui ici sont reprises et prolongées. La mort, le temps, c’est loin d’être nouveau dans ton travail. La différence est que La première année se situe à l’intérieur de la forme du récit.
Effectivement, il n’y a pas de rupture. Pour moi, c’est de la poésie, ou alors le reste de ce que j’ai fait n’est pas de la poésie. Si l’on prend mon essai sur la poésie contemporaine, Caisse à outils, ou mon essai sur Syd Barrett, il y avait déjà une forme qui se rattache au récit. Dans La première année, la contrainte était qu’il y ait une sorte de liant, qu’il y ait un début et une fin. Il y a des ruptures et des aspects formels mais qui doivent faire avec cette exigence du récit, de la cursivité. C’est ce que je travaille moins dans les livres de poésie. Dans La première année, on va du point A au point B mais il faut qu’existe une sorte de liant entre les deux. Ce qui n’empêche pas les ruptures, les retours en arrière, le ralentissement des réflexions, etc.
Le « Tu » est central dans ce livre, mais aussi le « Je ». Ce Je n’est pas lyrique ni souverain. Il s’agit d’un Je qui est traversé, fragmenté, dispersé par tout ce qui arrive. Il s’ouvre et est envahi par tout ce que le Je habituellement exclut, tout ce dont l’exclusion est la condition du Je : l’irrationnel, la sidération, l’hétérogénéité interne.
C’est un Je multiple, modelé par le contexte. Ce Je, à travers le texte, n’est pas toujours le même. Par exemple, dans le livre, j’évoque ce Je qui regarde une photo et le Je de la photo : ce n’est pas le même, c’est un Je abîmé, en tout cas modifié par le temps où il s’exprime.
Ce qui m’a frappé en lisant ton texte, c’est que tes procédés récurrents d’écriture deviennent, dans La première année, des processus existentiels. C’est peut-être indélicat de ma part de dire ça, je ne sais pas. Mais il est flagrant que ce qui constitue dans tes textes antérieurs des processus littéraires devient aussi ici, de manière claire, des processus qui régulent ce qui arrive. Tu décris par exemple comment tu es pris dans une mécanique de répétition : repasser par les mêmes lieux, refaire les mêmes trajets, repasser devant l’hôpital, repasser par certains souvenirs, etc. Il y a aussi une fragmentation des choses et des êtres, des moments que tu essaies de remettre en rapport, d’agencer : faire revenir, lier, relier, dans une sorte de montage. Ce qui arrive, donc, arrive à l’intérieur de processus que l’on peut identifier, quand on connait ton travail, comme des processus littéraires que tu privilégies. Le réel et la littérature se confondent…
C’est vrai que la répétition, ça fait partie du deuil, de la névrose qui accompagne le deuil, une sorte d’arrêt sur image. C’est un peu comme lorsque je faisais mes petits films en super 8 : parfois la pellicule se bloque, l’image est là, arrêtée, mais elle se met à trembler. Ou bien les images s’accélèrent, sautent de la première à la quatrième. C’est un rapport au temps très différent, particulier. La question de la répétition, de la boucle, m’intéresse depuis très longtemps. La répétition, c’est la vieille affaire de l’homme, depuis la nuit des temps ça nous aide à supporter, justement, le chaos. On voit ça dans les prières, les mantras, les moulins à prière, la récitation, la fameuse ritournelle. Les enfants, on les rassure en leur répétant les choses. Il y a aussi les battements du cœur. Freud dit que la répétition, c’est la névrose et le moyen de sortir de la névrose.
C’est un moyen de produire du nouveau, comme chez Deleuze : la répétition qui implique la différence.
On le voit dans la musique répétitive : ça se répète et en même temps ça ne se répète pas, il y a toujours des décalages, des variations même minimes. J’aime beaucoup Different Trains, de Steve Reich : si tu écoutes attentivement, il y a toujours quelque chose qui ripe.
Tu disais tout à l’heure que tu es en train de finir un livre. De quoi s’agit-il ?
C’est un texte intitulé Tueurs, qui concerne les crimes de guerre. C’est un livre sur la violence de la guerre. Il y a des descriptions d’images de crimes de guerre, des descriptions froides, plates. On n’est plus dans le temps de l’image mais dans celui de l’écriture. L’écriture zoome autrement que l’image. J’ai effacé toute identification historique et géographique, ce qui produit une sorte de mise à plat du crime de guerre. Il y a aussi des citations de grands criminels de guerre, si l’on peut dire. Avec tout ça, j’opère des montages. Il n’y a pas longtemps, j’ai vu sur Arte le Macbeth, de Verdi. J’ai peu lu Shakespeare, je n’avais jamais lu Macbeth. En voyant cet opéra, je me suis dit que je devais lire Macbeth qui traite vraiment de la question : comment être le plus méchant, le plus mauvais possible ? Et être le plus mauvais possible pour des raisons politiques. Donc, dans le livre, il y aura des extraits de Macbeth. Pour le moment, c’est le point où j’en suis dans l’écriture de ce livre. Il y a aussi cette phrase de Claude Lanzmann : « quand je vois des hommes, je vois des tueurs », d’où le titre du livre.
Tu as déjà écrit sur et autour de la guerre. Pourquoi écrire ce livre sur la guerre et tous ces massacres aujourd’hui ?
Parce que ça nous entoure, nous sommes contemporains de tout ça. J’ai été très marqué et très révolté un soir, en écoutant la radio où l’on commentait en direct l’arrivée de Mladić à Srebrenica, en juillet 1995. Tout le monde savait que ça allait être un massacre. Srebrenica, c’est à deux heures de Paris. J’étais dans mon lit et j’écoutais ça. J’ai ressenti une sorte d’hyper paralysie, avec l’idée : « je ne peux rien faire ». Un massacre a lieu quasiment ici et je ne peux rien faire. Nous sommes contemporains de ça : Srebrenica, le Rwanda, etc. Avant, bien sûr, il y a eu la Shoah, les massacres commis durant la décolonisation, le Vietnam. Ça n’arrête pas. Je me suis posé la question d’un point de vue anthropologique : est-ce que je pourrais être un criminel de guerre ? Mon père a été résistant. Et moi, qu’est-ce que j’aurais été ?
Dans Les exécuteurs, Harald Welzer étudie la structure anthropologique du criminel de guerre. C’est la banalité du mal dont parle Hannah Arendt. Je ne sais plus quel historien a fait une étude socio-historique de cette question, mais je me souviens de ça : parmi ceux qui commettent les pires crimes de guerre, les pires atrocités, tu trouves un psychopathe sur deux cents types qui ne le sont pas du tout. J’ai fait une émission pour France culture, intitulée « Un citoyen très ordinaire », sur un criminel de guerre croate qui travaillait pour les serbes pendant la guerre en ex-Yougoslavie. Existe une vidéo d’un de ses crimes. Après 1995, le mec s’est réfugié en France, il s’est marié avec une française, il a pris un nom français. Il vivait à côté de Lyon. Un soir, un groupe de bosniaques roulait en voiture dans le coin et ils l’ont reconnu. C’est comme ça qu’il s’est fait arrêter. Je me suis intéressé à la normalité de ce type. J’ai interrogé ses voisins, les gens qu’il fréquentait dans le village, et tous disent la même chose : « il était sympa, c’était un type super, il rendait service, etc. ». J’ai voulu montrer cette normalité du mal.
Dernier livre publié : Jean-Michel Espitallier, La première année, éditions Inculte, août 2018, 157 p., 17 € 90