Pas de printemps pour les poètes, par Pierre Guéry

La République à l’ombre des épées, oyez oyez c’est le Printemps qui revient !

On ne sait si l’on doit s’esclaffer ou trembler devant cette absurde photo sur laquelle on reconnaît notre Ministre de la Culture, Françoise Nyssen, et le gentil-très-cool-sans-cravate comédien Jean-Marc Barr, propulsé parrain de la 20è édition du Printemps des Poètes, grande opération annuelle pour la promotion et la visibilité des poètes au sein généreux de notre start-up préférée, mesdames-messieurs levez-vous s’il vous plaît : la France !

La France moderne qui va en marche (avant ou arrière, selon les appréciations) sur fond d’arc-en-ciel bleu-blanc-rouge déchirant le ciel, mais qui va aussi (« en même temps », n’est-ce pas) avec son faste traditionnel, ses galons, ses casquettes et ses boutons dorés ; avec sa Garde Républicaine, donc, figurant la défense nationale des Belles Lettres hexagonales – quelle touchante image que ce signe d’un patrimoine poétique enveloppé par les dorures immuables de l’État…

Certes il y a toujours eu un petit nombre de poètes proches du pouvoir, certains même œuvrant directement et plus ou moins secrètement pour lui, en France comme ailleurs. Ici on se souvient de ce film, Quai d’Orsay (réalisé par Bertrand Tavernier en 2013), dans lequel on suit un jeune diplômé de l’ÉNA (de gauche) appelé à travailler au Ministère des Affaires Étrangères (de droite) et devenant « en charge du langage » auprès du fringant ministre génialement interprété par un Thierry Lhermitte sous amphètes. Un jour, le pauvre garçon en chie tellement pour rédiger un discours difficile et délicat que le ministre fait finalement appel à un vieil ami poète pour venir à la rescousse du jeune diplômé empêtré dans les « éléments de langage » de la diplomatie internationale.

  • Allô, ami poète ? Viendrais-tu rédiger ma petite rhétorique diplomatique « ni de droite ni de gauche » ?
  • Mais bien sûr, pourquoi pas ? C’est qu’il faut bien gagner sa vie, et aussi être loyal envers ses vieux amis…

Quel est donc l’élément de langage implicite contenu aujourd’hui dans cette image ? On s’interroge.

Ami-e-s poètes, la foire aux réponses est ouverte ! Sur les réseaux sociaux déchaînés par exemple, où chacun-e y va de sa petite phrase outrée en commentaire, où quelques-un-es prennent vraiment leur plume la plus insurgée pour développer-analyser. Très bien. Et « en même temps », n’est-ce-pas, répond présent-e avec ardeur (sic) aux manifestations labellisées auxquelles il-elle a la chance d’être invité-e. Parce qu’il faut bien gagner sa vie, et aussi être loyal-e envers ces vieux amis qui pensent à vous en ces temps de disette. Moi-même je n’échappe pas au système, ben oui qui refuserait sa petite ration de survie ?

Question : voyons-nous bien le piège ? La récupération et ses conséquences ?

On ne se lancera pas ici (ce n’est pas le propos d’un poète) dans un trop long et vain décryptage des chaises musicales entre l’Opération Printemps, les éditions Gallimarre et le Marchédelapoèterit. La roue de la fortune tourne bien souvent avec les mêmes, c’est connu, pourquoi l’establishment poétique échapperait-il à cette règle ? Le milieu, avec ou sans parrain, n’est pas meilleur qu’un autre, même si certains parrains nous allaient mieux que d’autres. Exemple, mégaphone à la main façon agit-prop :

Jacques Bonnaffé, qui avait donné en 2015 le coup d’envoi de la 17è édition intitulée L’insurrection poétique, était comme de bien entendu invité et présent à l’inauguration du cru 2018. Mais devant tant de rituels monarco-républicains au doux son des trompettes militaires, le comédien-lecteur-passeur-de-poètes se serait écrié, poing levé, « Mais elle est où, elle est où la poésie ? ». (Vous noterez au passage mon usage du conditionnel, celui d’un non-journaliste qui n’était, lui, ni invité ni présent ; qui n’a pas pu vérifier l’information puisqu’il semble que toute vidéo de l’événement a été retirée de la toile, la seule trace résiduelle étant la première photo du présent article ; et qui s’en remet donc au ouï-dire de l’ardente rumeur). À la suite de quoi le gêneur qui avait osé ouvrir sa gueule aurait été prié de quitter les lieux (comprendre : dégagé manu-militari par la Garde comme un vulgaire « anarchiste » – dixit Figaro-ci Figaro-là – qui s’adonne au plaisir du désordre et de la provocation, genre Ni Dieu Ni Maître). À la suite de quoi ce même gêneur aurait déclaré que tout ce barouf relevait d’une « attitude de gendarme indigne de représentants de la poésie ». À la suite de quoi : bronca dans les salons rue de Valois !

Si les faits sont vrais, et il semble qu’ils le sont, il s’agit soit de la meilleure performance de poésie-action jamais réalisée et aux moyens inégalés en République Française, soit d’une piètre cérémonie de carton-pâte façon Guignols, humour et cocasserie en moins.

Nous ne trancherons pas, malgré le nombre d’épées présentes attendant sagement dans leurs fourreaux quelque ordre présidentiel pour faire tomber les mauvaises têtes qui bouderaient cette vibrante célébration.

Faisons plutôt écho à la question légitimement posée par Bonnaffé : elle est où la poésie, elle est où ?

À cette question-là bien des réponses sont disponibles, tant s’en nourrirent de grandes œuvres poétiques dans l’Histoire, tant le poème n’aime rien tant que parler de poésie et des lieux retirés où elle réside secrètement, entre forêt communale et voie lactée.

Parmi les assertions-pirouettes contemporaines, et cela dit sans moquerie bien au contraire car la pirouette bien faite est un des tours rusés que les poètes jouent au langage, en voici deux au (presque) hasard :

  • La poésie n’existe pas, il n’y a que des poètes. (Serge Pey)
  • La poésie n’est pas encore ce qu’elle était qu’elle sera. (Jean-Pierre Bobillot).

Donc quant à dire où elle est, nous voilà bien emmerdé-e-s !

Je répondrais volontiers, paraphrasant Julian Beck, fondateur du Living Theater qui l’écrivait au sujet du théâtre dans les années 70 : « La poésie est dans les rues, et pas toujours dans la poésie ».

Trois livres en rouge et noir pour la survie…

Et c’est un autre Américain qui (me) poursuit :

Poètes, descendez
dans les rues du monde une fois de plus,
Ouvrez votre esprit et vos yeux
à l’ancien délice visuel.
Raclez-vous la gorge et parlez,
la poésie est morte, vive la poésie !

Ce petit livre, paru en 2007 aux USA sous le titre Poetry as Insurgent Art, traduit en français par Marianne Costa et publié par Maelström ReEvolution en 2012, est désormais connu mais on présente quand même vite fait son auteur, Lawrence Ferlinghetti, poète, libraire et éditeur à San Francisco des poètes les plus enragés de l’Amérique des années 50 à nos jours, dont le plus célèbre reste le si doux et hurlant Allen Ginsberg. On revient pourtant souvent à ce livre tant ses saillies et son humour font parfois mouche ; on amalgame à sa guise une multitude de fragments décapants, écrits dans les années 2000 sous l’administration de Bush Junior :

Fils de Whitman et fils de Poe
Fils de Lorca et de Rimbaud
poètes d’un autre souffle
poètes d’une autre vision
Qui parmi vous parle encore de révolution
Qui parmi vous dévisse encore
les serrures des portes
dans cette décennie révisionniste ?

Poète, donne une voix à la rue sans langue !
Résiste beaucoup, obéis moins.
N’écris pas des rediffusions de réalités virtuelles,
sois un loup dans la bergerie du silence.
Remplis le sombre abîme qui bâille derrière
toute face, toute vie, toute nation.

Et :

Il y a trois sortes de poésie :
la poésie couchée accepte le statu quo.
La poésie assise, écrite par les tenants de l’ordre établi,
assure ses arrières.
La poésie debout est poésie de l’engagement,
elle est l’ultime résistance.

Entendez-vous l’écho ?
Percevez-vous l’ardeur ?
100 pages, petit prix, format 13 x 9, couverture souple mais résistante, se glisse fastoche dans la poche.

Cette ardeur on la retrouve aussi dans cette belle et lumineuse introduction que fait le journaliste Marc Kravetz à l’œuvre monumentale et inclassable du poète-dramaturge-cinéaste Armand Gatti, disparu en avril 2017.
Le livre, Puzzle incomplet pour raconter Gatti poète avec les mots du journaliste, publié aux éditions JeanMichelPlace en 2003, offre d’abord, en vingt chapitres brefs, les clés majeures pour approcher la biographie hors-norme et les constellations textuelles du poète résistant. On y perçoit l’amitié qui liait les deux hommes, on y perçoit l’admiration du journaliste pour le poète (rappelant au passage que ce dernier fut aussi journaliste, nourrissant sa poésie par l’expérience de ses grands reportages à travers le monde) ; on y perçoit surtout la profonde mais humble connaissance de Kravetz des écrits de Gatti. Et on est prêt pour l’immersion.

Vient ensuite un choix de textes écrits par celui qui un jour, alors qu’il était soumis à la question et à la torture (un broyage de sa main écrivante) par des bourreaux de la Gestapo afin qu’il dénonce ses compagnons de Résistance et donne des informations sur les activités de son réseau, avait déclamé, des heures durant et en hurlant, des poèmes de Gérard de Nerval. Pour ne pas donner les noms des camarades et l’emplacement des planques. C’est donc grâce à son immense mémoire de lecteur de poésie que le jeune Don Quichotte (nom de guerre de Gatti) poussa à bout ses tortionnaires impatients, qui le relâchèrent pour faire cesser ce déferlement de vers.
Cette anecdote, qui est tout sauf anecdotique, en dit long sur la force du bonhomme et sur sa foi en la poésie.

Être poète selon Gatti ? C’est questionner le monde menacé et archiver les questions.
Questionner le monde ? C’est questionner la question elle-même et faire du point d’interrogation le signe fondateur de notre humanité, fondement même du langage. Tout part de là, le Verbe venant après, via la parole d’abord errante, l’errance créant la parole qui fait exister la question, etc…
Je vous l’accorde il faut suivre mais Kravetz nous y aide, démontrant que lire Gatti c’est avant tout entrer dans la grande aventure des mots, dans des dimensions inconnues de l’espace et du temps ; entrer dans un dialogue aussi, où on ne sait pas où s’arrêtent les questions et où commencent les réponses qui à leur tour posent beaucoup d’autres questions.
C’est également accepter de ne pas tout comprendre dans le foisonnement de références de cette écriture labyrinthique, souvent hermétique, parfois sans issue mais fertile toujours entre l’ésotérique et le familier, l’intime et le politique, l’Histoire de l’Homme et le Big-Bang.
C’est s’approcher d’une utopie qui est qu’avec le langage on peut changer le monde, si toutefois nous acceptons un voyage permanent dans le monde et dans le monde du langage, seule condition pour inventer le langage du monde humain – qu’il soit réel (vécu) ou imaginaire (mais non moins réel), qu’il soit celui des personnages illustres de l’Histoire comme celui des milliards d’anonymes auxquels on a retiré et auxquels on retire encore la parole.

Être poète ? C’est générer et élaborer un multilogue, accueil en soi de voix nombreuses et non-hiérarchisées. C’est faire du multilogue l’outil de la prise de conscience que toutes les réalités individuelles sont complexes et différentes, mais aussi que toutes ces réalités partagent une autre réalité qui les dépasse : l’Univers.

Ainsi, toujours, Gatti a-t-il confronté le déterminisme de la physique moderne au possibilisme de la poésie pour tenter de comprendre les affrontements de ce monde. Toutes les luttes sont avant tout des combats de langage et le travail du poète est avant tout de le dire et de l’acter.

Donner, donc, une voix et une voie à la rue sans langue.
Enseigner aux autres à se défendre, avec les munitions que sont les mots.
Et Dire l’homme éclaté dont chaque éclat demeure mystérieux.
Trente ans avant Gatti, Georges Séféris (poète grec et Prix Nobel) se demandait Comment rassembler les mille infimes débris de chaque homme ?
On voit l’idée du morcellement déchirant de notre Humanité dans l’Histoire. On comprend avec eux que l’histoire du futur peut s’ouvrir si le présent est le temps de la création et des pouvoirs recouvrés.
Encore faut-il créer ce présent, temps du rendez-vous qui ne reporte pas à demain, ni ne rejette sur hier la responsabilité de son devenir.
Faire de ce présent le temps de la réponse aux questions en souffrance, aux possibles en construction.
Faire de ce présent un temps dont il faut répondre.
J’ajoute : au quotidien, toute l’année, et l’année suivante en toutes saisons, dans un patient travail d’éducation populaire, et non seulement le temps risible d’une petite floraison annuelle portant le nom de Printemps.

À noter qu’à Marseille la 4è Biennale des Écritures du Réel, portée par le Théâtre La Cité et de nombreux partenaires du 17 mars au 13 avril, consacrera la dernière semaine de son programme à Armand Gatti. Rétrospective de l’œuvre multiple et hommage, un an après sa disparition, au créateur qui anima dans cette ville, avec des groupes d’amateurs, de nombreux chantiers colossaux tel Adam quoi ?

Films, performances, plateaux radiophoniques, conférences, dont celle d’ouverture le 10 avril en présence de Marc Kravetz, Michel Séonnet, Olivier Neveux et Mathieu Aubert. De quoi se mettre du costaud sous la dent !

… Parce qu’il y a des choses que non

Il y a des choses que non, de Claude Ber, poète qui sait ce que éducation veut dire puisqu’elle fut enseignante et inspectrice d’académie dans l’Éducation Nationale (ce qui lui permit, avec des enseignant-e-s engagé-e-s, de développer de solides projets d’initiation à la création poétique), est disponible depuis 2017 aux Éditions Bruno Doucey.
La quatrième de couverture de cet opus salvateur en donne le ton immédiatement :

Un jour l’enfant que j’étais, ne sachant guère de quoi elle parlait, demande à sa grand-mère pourquoi elle avait fait de la Résistance.
– Ma fille, répond-elle, il y a des choses que non. Tu ne sauras peut-être pas toujours à quoi dire oui, mais sache à quoi dire non.
Je ne sais pas si j’ai su, mais j’ai essayé.

Nous trouvons là sept textes travaillés à la limite de la prose et du vers, épars ou inédits jusqu’à ce que ce livre les rassemble, tous habités par une même nécessité de dire non à l’inacceptable :

Non, à toutes les formes d’asservissement, c’est non. De tous les côtés à la fois et en même temps, non. De n’importe quel côté, non. Là et là et là encore là, non. La domination non. L’humiliation non. La misère non. Les femmes lapidées non. La mondialisation marchande non. Les nationalismes non. Les fanatismes religieux non. Les utopies meurtrières non. Les realpolitiks non.
Je ne sais que dire non. Sans arrêt non. Avec si peu de oui à glisser dans l’interstice…
Finalement c’est non jusque dans la langue. Le poème contre le dogme. L’insurrection dans la langue contre la soumission de la parole.
(…)
Après tant de temps, dans l’impuissance qui fait chavirer nos mots et nos actes, ce qui demeure, à la fois vain et têtu, c’est non. Recommencer, continuer à dire non. Stupidement, lucidement, obstinément. Ficelés à la noria de l’Histoire.

Il n’y a pas d’illusion chez Claude Ber. Pas de rêve non plus, parce que la poésie est le contraire du doux rêve dans l’arc-en-ciel, il faut que cesse cette représentation qui maintient poètes et poésie du côté de l’inoffensivité et du supplément d’âme. Ce qu’il y a c’est le réel de l’Histoire, et l’Homme dans l’Histoire avec sa mémoire de l’Histoire (Je ne sais l’Algérie que d’oreille), qui doit savoir avec courage et ne pas feindre de ne pas savoir.

Que son espèce est une espèce qui détruit sa propre espèce ; qu’elle est le meilleur auxiliaire de la mort et des souffrances de son espèce ; qu’elle tue et traite les autres espèces comme sa propre espèce ; qu’elle est plus sanguinaire et malfaisante que toute espèce…

Ce texte-là, ironiquement intitulé Célébration de l’espèce, avec son ressassement verbal qui figure le piétinement de l’Histoire, est un refus catégorique de toute barbarie. Ses boucles d’affirmations percuphonantes sont un pendant puissant du martèlement des langues de propagandes politiques et économiques, dont l’objectif est l’endormissement et l’enfumage des consciences dans une culture inutile à consommer sans jardiner. Pas de pirouette et d’évitement possible ici, le poème se faisant implacable, irréfutable, opposant sa conscience acérée à l’entropie morbide d’un monde capitaliste globalisé qui se fout du déluge annoncé de l’apocalypse néo-libérale.

Mon espèce ravage mon espèce au nom de l’humanité comme de l’inhumanité de mon espèce. Mon espèce pollue ce qu’elle invente de plus sacré dans le fumier de mon espèce.
(…)
Qui sauvera mon espèce de mon espèce ?

Il existe un tropisme fréquent, hélas jusque chez les poètes eux-mêmes, consistant à dire que la poésie engagée est mauvaise et has been. Cela a pu être vrai lorsqu’Éluard et Aragon par exemple répondaient à des commandes poétiques passées par le Parti Communiste – parce qu’il s’agissait d’un dogme, justement. Mais dire que le poème engagé est nécessairement mauvais et inintéressant, c’est pure mauvaise foi et lâcheté devant la tâche consistant à en écrire un bon. Claude Ber le prouve ici avec maestria (à la suite de quelques autres poètes antérieurs, tel Armand Robin par exemple, dans un tout autre style), tout au long de ce recueil roboratif dont on ne peut que conseiller la lecture et la relecture car il console de toutes ces poésies conceptuelles et désincarnées, précisément désengagées par leurs dispositifs mêmes, qui émanent aujourd’hui d’auteurs produits par des écoles d’art, rompus aux discours explicatifs censés faire contrepoint à la pauvreté monocorde, narcissique, glacée et glaçante d’une œuvre hors du monde, que celle-ci soit ou non performative.

Si un poème doit être expliqué, c’est que la communication est coupée.
(Lawrence Ferlinghetti)

Poésie égale

Alors il ne s’agit pas de dire ici, en guise de conclusion, qu’un événement comme le Printemps des Poètes, ou le Marché de la Poésie, ou le Salon du Livre, n’ont pas lieu d’exister. Nous avons la chance d’avoir (encore) en ce pays quelques institutions bienveillantes qui financent (encore) quelques embryons d’art et de poésie, ce qui n’est pas le cas chez certains de nos voisins européens (où soit dit en passant la poésie n’est pas forcément plus moribonde que chez nous, prenons-en de la graine).
Il s’agit plutôt de dire que c’est très insuffisant et que les poètes ne peuvent pas exister avec pour seul horizon deux événements par an, car cet horizon-là est la pire des frontières qui nous enferment.
Il s’agit de dire qu’il faut rémunérer les poètes, et non seulement des comédiens plus ou moins chevronnés et célèbres pour les lire en public. Il s’agit donc de dire que les poètes eux-mêmes doivent porter eux-mêmes leur poésie et faire entendre leurs voix (j’insiste encore sur le pluriel).
Il s’agit de dire qu’on ne peut pas se payer que de célébrations, aussi dorées soient-elles avec banquets à la fin.
Il s’agit de dire qu’il n’est pas normal que les auteurs soient les plus pauvres de toute la chaîne du livre, comme il n’est pas normal que les agriculteurs honnêtes crèvent tout au bout de la chaîne agro-alimentaire. La malbouffe pour personne !
Il s’agit de dire que nous ne voulons pas d’une forteresse de la poésie ; que nous voulons sauter et faire sauter les murs fantoches ; que nous avons le désir et le besoin d’être, de vivre et de travailler dans la Cité, près des autres ; que nous n’avons que faire des statuts de maudits et de marginaux qui auraient besoin d’en chier pour créer en souffrant, c’est faux ; que nous voulons une place pour chacun ; qu’il y a suffisamment d’espace pour tous, les « poètes vroum-vroum » et les plus littéraires – certains étant les deux ; que nous voulons un vrai statut.
Mais qu’« en même temps », n’est-ce pas ami-e-s poètes et ami-e-s des poètes, c’est à nous de ne pas tout attendre de la République, c’est à nous de vigiler pour ne pas nous faire confisquer nos vies par des grands prix distribués dans les salons des Belles Lettres, pour ne pas nous faire confisquer nos voix par le son des trompettes militaires qui voudrait nous faire croire que ça y est, enfin, la République nous a reconnus.
Ne soyons ni haineux ni naïfs, combattons la division partout à l’œuvre, descendons dans les rues, occupons l’espace même lorsqu’il ne nous est pas officiellement octroyé.
Raclons-nous la gorge et râlons, mais surtout agissons car ce n’est pas le moment de mollir !

Poésie égale maximum de sens sur minimum de surface. Ration de survie en temps de disette mentale.
(Claude Ber)

Je dis : Printemps des Poètes égale minimum de poésie sur maximum de surface en un minimum de temps. Impact proche de zéro, disette vitale en vue.

Levons nos culs et agrandissons nos mâchoires pour qu’il en soit autrement !
Soyons et réclamons d’être des poètes 4 x 4 : un quart de travail solitaire, un quart de rencontres et collaborations artistiques, un quart de travail dans la Cité et de vie sociale ordinaire, et un quart de rien du tout pour faire l’amour à tout, sans quoi les autres quarts ne pourraient exister.
Syndiquons-nous pour cela, et que les soleils brillent car nous voulons l’été ! Avec ardeur, oui. Et finalement ce mot là est et sera vraiment nôtre, même si comme le scande Serge Pey : La poésie n’est pas une solution ; aucune solution n’est une poésie.