La revue Panthère Première : « Panthère Première est née de l’envie de faire une revue généraliste et féministe en non-mixité »

En prélude au 27e Salon de la Revue qui se tiendra le 11 et 12 novembre, Diacritik, partenaire de l’événement, est allé à la rencontre de jeunes revues qui y seront présentes et qui, aussi vives que puissantes, renouvellent en profondeur le paysage littéraire. Aujourd’hui, entretien avec le collectif Panthère Première, pour leur épatante revue.

Comment est née votre revue ? Existe-t-il un collectif d’écrivains à l’origine de votre désir de revue ou s’agit-il d’un désir bien plus individuel ? S’agissait-il pour vous de souscrire à un imaginaire littéraire selon lequel être écrivain, comme pour Olivier dans Les Faux-Monnayeurs de Gide, consiste d’abord à écrire dans une revue ?

Panthère Première est née de l’envie de faire une revue généraliste et féministe en non-mixité. Le collectif de la revue est composée par une dizaine de femmes dont une partie a travaillé ou travaille au sein d’autres revues de critique sociale. L’idée d’utiliser le moyen de la non-mixité pour fabriquer cette revue vient d’un constat tristement banal, et tristement structurel : y compris dans les milieux qui se disent sensibles à ces questions, y compris dans les milieux militants, la répartition des tâches reste très genrée – on trouve plus de femmes que d’homme pour exécuter les tâches invisibles (traduction, édition, correction, tâches administratives…) et beaucoup plus d’hommes que de femmes quand il s’agit d’écrire, de partir enquêter, de signer un papier, d’être publié en somme.

Il s’agissait donc de créer un espace où des personnes qui sont, de fait, moins publiées dans les espaces « mixtes » pourraient l’être, notamment parce que les plumes « tournent » (ce ne sont pas toujours les mêmes qui écrivent), et un espace où il serait possible de s’essayer à tous les maillons de la chaîne nécessaires au fonctionnement et au bon aboutissement de l’objet revue. Par ailleurs, nombre d’entre nous se connaissaient déjà et partageaient des préoccupations communes d’ordre politique et un goût très prononcé pour l’édition. Il nous plaisait beaucoup de repartir à zéro pour penser l’objet dans toutes ses dimensions – le nombre de pages, le rubriquage, la maquette, le système de diffusion, le modèle économique… Donc Panthère Première est née de ces deux envies : créer un espace de travail un peu moins conservateur, et créer une nouvelle revue, selon le format que l’on déciderait, car l’édition nous passionne.

Quelle vision de la littérature entendez-vous défendre dans vos différents numéros ? Procédez-vous selon une profession de foi établie en amont du premier numéro ?

Panthère Première est une revue publiant des articles qui interrogent l’existence d’une « sphère privée » et d’une « sphère publique » en partant du principe que les phénomènes politiques sont traversants et qu’ils ne s’arrêtent donc pas aux portes d’une catégorie – même si, en revanche, il est difficile de faire reconnaître le caractère politique – et donc public – d’un objet estampillé « intime » (on le voit avec la violence conjugale ou avec les maladies professionnelles par exemple). Reprenant le slogan féministe des années 1970 « le personnel est politique », les enquêtes et papiers publiés dans Panthère Première se situent donc à l’intersection entre ce qui est renvoyé à l’intime (famille, enfance, habitat, corps, maladie, sexualités…) et les phénomènes qui cherchent à faire système (État, industrie, travail, colonialisme, rapports de genre…).

Si l’on regarde bien dans ces entrecroisements, si l’on regarde dans le détail, beaucoup d’aspects sont entièrement laissés de côté par la critique ou l’analyse ou, comme dit juste avant, sont difficilement regardés comme des objets politiques du fait de leur relégation, bien arrangeante somme toute, dans les tréfonds de l’intime. Par ailleurs, nous avons à cœur de publier des articles qui puissent présenter une forme moins classique que celle de l’article purement journalistique, ou celle de l’article universitaire, sans pour autant perdre de leur intensité. C’est pourquoi nous aimons les récits, la bd, les expérimentations d’écriture, les entretiens fleuves, les images bizarres, les jeux de mots et les poèmes horoscopiques…

Comment décidez-vous de la composition d’un numéro ? Suivez-vous l’actualité littéraire ou s’agit-il au contraire pour vous de défendre une littérature détachée des contingences du marché éditorial ? Pouvez-vous nous présenter un numéro qui vous tient particulièrement à cœur ?

Chaque numéro de Panthère Première est composé d’un dossier central, qui traite d’une thématique précise, et de contributions libres, hors thèmes. Nous faisons partie de ces revues « inactuelles », c’est-à-dire qui ne prennent pas l’actualité « chaude » pour point de départ – on ne se situe pas non plus complètement à côté des sujets politiques du moment (l’article qui s’intitule Le dilemme de Cologne s’ancre particulièrement dans le présent) mais on prend le temps d’aller ailleurs, de repartir dans le passé, d’éprouver ses résonances avec le présent, de s’arrêter sur des phénomènes structurels, de s’immerger dans des lieux qui justement ne feront jamais l’actualité, de regarder quelques images avec attention et pas une multitude en un clin d’œil…

Pour ce premier numéro, notre dossier s’intéresse à la potentialité subversive des actes de langage et s’intitule QUIPROCLASH ! Avec quatre articles principaux, il montre comment, dans quatre lieux et selon des contextes différents, le langage peut faire l’objet de suspicion et d’enjeux de contrôle pour contraindre un individu, le délégitimer, l’ignorer, imposer une norme. Nous nous penchons notamment sur le rôle des institutions médicales, éducatives ou judiciaires. Nous publions deux enquêtes qui se situent dans la période contemporaine, et deux articles qui s’appuient sur des matériaux d’archives.

À la création de sa revue Trafic, Serge Daney affirmait que toute revue consiste à faire revenir, à faire revoir ce qu’on n’aurait peut-être pas aperçu sans elle. Que cherchez-vous à faire revenir dans votre revue qui aurait peut-être été mal vu sans elle ?

Hum… Que cherchons-nous à faire revenir ? On cherche peut-être à faire revenir le lecteur sur ce qu’il a déjà vu sans voir (les mauvaises herbes au bord d’un chemin), déjà entendu sans entendre (une vieille femme démente parlant de son passé en des termes pas très heureux), déjà rencontré sans rencontrer (un enfant trisomique qui souhaite partager des choses), déjà vécu en souffrant et en normalisant cette souffrance (l’épisiotomie), déjà vécu en culpabilisant (casser les assiettes lors d’une crise de couple)…

Le déni est servi, photographie imaginée et réalisée par Amélie Laval September 1980-August 1988, dessin extrait de la série réalisée par Saba Niknam

Est-ce qu’enfin créer et animer une revue aujourd’hui, dans un contexte économique complexe pour la diffusion, n’est-ce pas finalement affirmer un geste politique ? Une manière de résistance ? 

Créer une revue de manière indépendante, sans actionnaire, sans publicité, oui c’est effectivement penser qu’une revue imprimée peut constituer un canal de diffusion d’idées politiques, poétiques, esthétiques. C’est chérir la matérialité du livre, c’est ne pas s’inscrire dans le flux (du net), c’est estimer qu’il existe un lieu de causalité entre la manière d’accéder à la pensée, le temps qu’il faut pour s’en imprégner, et les actes qui s’en suivront. Car on le dit dans notre édito, pour nous, le papier n’est pas une tour d’ivoire.

Et puis créer une revue, c’est aussi s’offrir un espace de création où, en collectif, on peut tenter une échappée en dehors d’un monde un peu trop uniforme et étriqué à notre goût, s’offrir un espace où l’on se renforce, où l’on se confronte, où l’on rencontre. Cela dit, on sait aussi bien dans quoi on s’engage : il nous importe de rétribuer les contributions, de sortir du système de bénévolat, qui prime dans les revues indépendantes, afin d’encourager le plus de personnes possibles à écrire, afin d’assurer des pérennités qui ne reposent pas que sur les privilèges, or on sait que ce n’est pas gagné…

La revue Panthère Première sera présente au Salon