Le genre dans tous ses états : Encyclopédie critique du genre, sous la direction de Juliette Rennes

La notion de « genre » telle qu’elle est travaillée par les études de genre a mauvaise presse en France. Si celles-ci demeurent marginales dans l’université française, elles souffrent de plus d’une opposition acharnée et bête de la part de groupes politiques ou de « personnalités » médiatiques qui, de manière évidente, en ignorent à peu près tout. Dans le champ du savoir institutionnalisé comme dans celui du discours médiatique et public, la notion de genre est donc pour une grande part l’objet d’une ignorance, d’un mépris, d’un rejet, d’une caricature. Par ailleurs, les discours et pratiques qui en France se réclament des études de genre n’en conservent trop souvent qu’une dimension simplifiée – celle qui ne dérange pas un féminisme compatible avec un ordre social très consensuel –, ou bien peuvent parfois les utiliser non comme un champ à interroger, à l’intérieur duquel travailler, mais comme un bréviaire que l’on se contente de réciter ou de singer.

L’intérêt évident de l’Encyclopédie critique du genre, dirigée par Juliette Rennes, est de rappeler que la notion de genre est d’abord un objet complexe, irréductible aux caricatures médiatiques, bien plus large que ses versions simplistes acceptables. Cette notion est un objet de réflexion impliquant un travail de la pensée, un travail critique et d’élaborations conceptuelles, autant qu’un travail pratique d’enquêtes et recherches sociologiques, historiques, anthropologiques, etc. Cette Encyclopédie présente soixante-six entrées rédigées par plus de quatre-vingt chercheurs, chacune de ces entrées étant accompagnée d’une large bibliographie – l’ensemble couvrant des thématiques et mobilisant des champs divers tels que le droit, la psychanalyse, le sport, la pornographie, la médecine, internet, le handicap, le politique, la philosophie, etc. Si les études de genre concernent de manière centrale l’étude du rapport hommes-femmes compris comme un rapport social, elles impliquent également tout un ensemble d’autres relations qu’elles mettent au jour, qu’elles problématisent et étudient : le rapport au corps, le rapport hétéros-homos, le rapport au travail, à la culture, aux médias, le rapport à la santé, à la médecine, aux normes, le rapport à soi et aux autres, le rapport au droit, etc. Si les études de genre ont pour objet le genre, celui-ci n’est que le premier d’une série d’autres objets qui lui sont liés et que leur approche à partir du genre permet de mettre au jour, d’éclairer selon des points de vue neufs, de comprendre selon d’autres rapports et d’autres significations, autant qu’elle rend possible la représentation et l’invention de nouveaux moyens de subversion et d’émancipation. Inversement, l’étude de ces objets permet en retour de problématiser et d’interroger des dimensions inaperçues du genre, d’aborder d’un point de vue critique ce qui les conditionne, leurs conséquences, les moyens d’inventer d’autres types de rapports à soi et aux autres.

« Le genre » n’est pas un objet clos sur lui-même, en lui-même l’objet d’une discipline ou d’une théorie : il est le foyer d’une variété de relations très diverses, le révélateur de rapports et d’objets inaperçus, le levier dont il est possible de se servir pour questionner un ordre social, politique, culturel, économique, subjectif très problématique. Son étude n’est donc possible que par la mobilisation de disciplines et de champs divers, selon des approches et pratiques (universitaires, militantes, etc.) elles-mêmes diverses, en fonction d’un travail collectif et parfois divergent. C’est cette « ouverture » et pluralité du genre, c’est l’ensemble des discours et pratiques par lesquels il est créé, dit et étudié, l’ensemble des champs et disciplines par lesquels l’aborder que s’efforce de présenter l’Encyclopédie critique du genre. Cette présentation aboutit à ne pas seulement exposer un champ de recherche mais, comme le souligne l’introduction, à faire apparaître le monde à partir du point de vue du genre : « le genre » n’est pas uniquement un objet d’étude, il est une lunette qui fait percevoir et penser le monde de manière nouvelle – qui permet d’agir et de vivre dans le monde de manière nouvelle, selon des modalités plurielles.

Juliette Rennes (dir.), Encyclopédie critique du genre, éditions La Découverte, 2016, 752 p., 35 € — Lire un extrait