J’abandonnerai, dans 38 verbes, j’abandonnerai, nous passons notre vie à abandonner, tous ces visages, ces gestes, ces paroles, abandonnés, ces disparus, qui nous ont abandonné, j’abandonnerai, je vous abandonnerai, et vous m’abandonnerez.
Nous nous accouplons, mâles et femelles, féconds et prolifiques, les montagnes, les mers et les plaines ne le savent pas, le monde l’ignore, peu importe, nous nous accouplons, mâles et femelles, féconds et prolifiques.
Je baverai, ils me ligoteront sur la chaise, après chaque repas ils ligoteront le vieux, pour qu’il ne tombe pas, et la tête penchée, les yeux fermés, assoupi, je baverai.
On circule, on court, on course, par milliards, jour et nuit, dans toutes les directions, haut, bas, droite, gauche, avant, arrière, Sud, Nord, Ouest, Est, en vain.
Nous disons, nous disons tant, nous avons une bouche à mots, une bouche folle à mots, nous discourons, nous déblatérons, les mots sortent à la volée, se pressent, se cognent, se piétinent, s’acharnent, ça n’arrête pas, c’est sans fin. S’entre-tuer, dès que nous sommes deux, des regards aux mots, des mots aux gestes, les gifles, les coups, les étranglements, les objets dits contondants, les couteaux et armes dites à feu, en groupe, groupe contre un, groupe contre groupe, alors là on se donne ! sans limite ! à plusieurs contre un on adore, cela commence enfant, on en prend un, de préférence un faible, dans un coin, et on y va, coups de pied, coups de poing, quel plaisir ! plus tard le lynchage nous ravit, on l’insulte, on lui crache dessus, on le frappe, on le massacre ! et on passe aux guerres, tout est possible, tortures, viols, exécutions, mitraillages, bombardements, gazages, exterminations, toutes les mises à mort imaginables ( et même non-imaginables ), et on peut faire durer, des années et des années, et remettre ça au moindre prétexte, et fêter ça ! défiler ! chanter ! l’entre-tuage absolu ! le summum ! Tu t’évades, chaque nuit, dans ton sommeil, tu t’évades, c’est ton secret. Exister suit exiler, dans le dictionnaire alphabétique, après arrive expier, puis expirer.
Il faut, dès le ventre maternel il faut, il faut sortir, poussé dehors férocement, ensanglanté, poisseux, il faut crier, le cordon doit être tranché, il faut survivre, grandir, grossir, avancer à quatre pattes, avancer debout, se vider en visant le trou, il faut émettre des mots, les assembler, il faut apprendre, imiter, ne pas se tromper, il faut exécuter ce qu’on nous demande d’exécuter, être excellent, bon, moyen, mauvais, nul, il faut écouter, regarder, penser, dire, se taire, il faut rire, pleurer, aimer, haïr, il faut faire, défaire, il faut répéter, durer, résister, il faut s’affaiblir, se détériorer, s’épuiser, il faut finir sous terre, pourrissant, ou cramé, il faut, cette somme, il faut. On le fusille : le peloton, le condamné, debout, à genoux, de face, de dos, yeux ouverts, yeux bandés, imaginer sa dernière seconde, une pensée? aucune? imaginer.
Il gargouille, on l’a garrotté, serré à fond la vis du collier de fer, il violace, il va crever, c’est bon ça ! (série « ils s’entre-tuent de bon cœur »). Gazer, rapide et imparable, du travail impeccable (série « ils s’entre-tuent comme des pros »). Nous grillageons, nous nous grillageons, nous nous entourons de grillages, de haies, de murs, ainsi enfermés, nous nous écrions : « C’est nous ! C’est bien nous ! Nous sommes bien nous ! ». Griller, les griller, de préférence vivants, ça aussi nous apprécions (série « ils s’enflamment lorsqu’ils s’entre-tuent »). Guillotiner, c’était quand même plaisant le bruit du couperet tranchant la tête ! et cette tête dans le panier, une remarquable leçon d’humilité : ecce homo, 20-25 cm (série « les merveilleuses machines pour s’entre-tuer »).
Ils hurlent, ils aiment hurler, ils aiment s’agglutiner et hurler.
Imagine que tu ne sois qu’une apparence, sois réaliste. Incarcéré, incarcéré en nous-même, nous y sommes condamné, à perpétuité, c’est notre malédiction. On n’invente rien, on inventorie, tout au plus.
Nous jacassons, incessants jacasseurs, nous jacassons sur nos amours, notre caca, Dieu, ce qui a eu lieu, ce qui a lieu, ce qui aura lieu, ce qui ne fut pas, ce qui n’est pas, ce qui ne sera pas, nous jacassons sur nos jacasseries, réelles, imaginaires, jusqu’au dernier râle nous jacasserons, farouches jacasseurs. Jardiner tient du miracle : les plantes se taisent.
Kidnapper, kilométrer, klaxonner, pour k seulement trois verbes, alors je klaxonne pour attirer ton attention, te kidnappe et kilomètre, mais qui suis-je ? qui es-tu ? pourquoi t’enleve r? que vais-je faire ? que vas-tu faire ? que vont-ils faire ? le roman K est lancé.
Lâcher les chiens, en criant « bouffe-le ! bouffe-le ! », alors là c’est l’orgasme ! Vous la lapidez, cette salope à fente le mérite, vous le lapidez, cette pourriture le mérite, vous les enterrez debout, leurs têtes dépassent du sol, vous prenez des pierres, elles sont lourdes dans vos mains, et calmement, avec force, vous explosez leurs gueules (vous savourez, s’entre-tuer, dans sa sobriété, vient d’atteindre sa perfection).
Nous mutilons, avec le couteau, la machette, la scie, on se régale, un coup sec, bien sec, et le morceau tombe, les oreilles tombent, les nez tombent, les doigts tombent, les mains tombent, les bras tombent, les seins tombent, les queues tombent, les jambes tombent, et ils ont l’air vraiment cons, avec leurs trucs en moins ! (série…).
Narrer, il paraît que cela nous différencie des animaux, je me contente de noter.
Je m’obstine, je m’obstine, mais rien, 0 verbe intéressant pour le o, à oublier. Elle nous pardonne, chaque nuit la nuit nous pardonne. On pend, on pratique la pendaison, il est agréable de les voir se balancer dans le vide, ramenés à leur insignifiance.
Je quitte ces pages dans 09 verbes.
Rabâcher est le premier verbe en R. On rabougrit, on se tasse, la fin du temps octroyé se rapprochant, on tente de rejoindre son nombril.
Nous avons supplicié avec une telle ardeur que cela mérite une liste : passer à tabac, casser les reins, enfoncer les côtes, cravacher, fouetter, rompre les os, tenailler, amputer, émasculer, crever les yeux, écorcher, éventrer, écarteler, empaler, lapider, crucifier, jeter aux bêtes, brûler vif, noyer, étrangler, garrotter, pendre, trancher la tête, fusiller, gazer, électrocuter (pardon pour les oublis),
— et quelle jouissance avec le Baquet, le baquet rempli d’eau, on l’attache au fond, son visage dépasse, recouvert de lait et de miel, les mouches et les insectes se nourrissent, on le laisse pendant des jours, immergé dans l’eau et ses excréments, il pourrit vivant, dévoré par les vers et les asticots
— quelle jouissance avec la Scie, suspendu la tête en bas, on le scie jusqu’à ce qu’il soit coupé en deux,
— quelle jouissance avec le Taureau, le taureau métallique avec une porte sur le côté, on le met à l’intérieur, on ferme la porte, on allume un feu sous le taureau, le métal rougit, il rôtit,
— quelle jouissance avec le Bambou, on l’attache au-dessus, il pousse à travers son corps,
— quelle jouissance avec le Plomb, le plomb en fusion, versé dans sa bouche et ses yeux !
(ces quelques exemples du passé, en attente du futur).
Tuer, on ne va rien ajouter à ces quatre lettres.
Usés d’usurper.
Vivre, on ne va rien enlever à ces cinq lettres, déjà qu’il y a une répétition. Nous ne volons pas, infirmes — là-bas, oui, l’oiseau s’envole vers la pleine campagne !
Warranter est l’unique verbe en w, il n’y a rien de plus à en dire (on voit que le z n’est pas loin, ça s’épuise).
Pas de verbe en x !
Aucun verbe en y !
Zézayons, zozotons (enrayons la machine à mots, pour en finir).