Bonne nuit Punpun, par Basile Gantelet

© Kana

Avec les treize tomes de la série Bonne nuit Punpun, Inio Asano propose une histoire qui prend son temps. Le tour de force de la narration réside ici dans le fait que la quasi-totalité de l’expression orale du personnage principal nous est soustraite. Et il est difficile de s’être préparé mentalement à la descente aux enfers que traverse Punpun, si inconscient et si vif d’esprit.

Accompagné d’images éblouissantes, de détails d’une grande poésie, ce manga offre une expérience particulière et rafraîchissante. Chacun des tomes de la série nous plonge un peu plus dans le Japon automatisé par le travail et dans la psychose qui s’installe dans la tête encore fraîche du héros enfantin. Punpun évolue dans un monde qu’il ne comprend pas, bercé dans le chaos social. Sa mère oscille entre l’indifférence et la haine à son égard tandis que son père, loser alcoolique, aimant et maladroit, est emprisonné pour violence conjugale. Malgré les tensions qui en découlent, le petit personnage au design loufoque – un canard caricaturé dont la tête change de forme à mesure que sa mentalité évolue – cherche des réponses à ses questions, sombrant dans un pessimisme auquel le personnage de l’Oncle, écrivain déchu, fait directement écho.

Bonne nuit Punpun construit un équilibre entre réactions exacerbées auxquelles le pays du soleil levant nous a habitués – des têtes qui pourraient sortir tout droit du manga et dessin animé GTO, des visages larmoyants à la vue desquels il est difficile de ne pas exploser de rire –, et une sensibilité débordante de réalisme, cette réunion étant, de fait, assez déstabilisante. Il est jubilatoire que parmi les géants du manga « shônenesque » aux fictions démentes (One Punch Man, One Piece, Bleach, Jojo’s bizarre adventures, etc.), il existe aussi un univers bien ancré dans le réel, tout aussi prenant que le Shonen, et que dans cette catégorie qu’est le seinen, il existe aussi des œuvres remarquables par leur inventivité. Bonne Nuit Punpun rappelle que le manga mérite sa place dans le domaine de l’art.

Bonne nuit Punpun
© Kana

Ici, tous les personnages sont vivants, touchants par leur sincérité amère, comme si en chacun d’eux persistait ce sentiment que le quotidien japonais est morne et terne – et que chacun consent à accompagner la solitude des autres. Avec des personnages ballottés d’un événement à l’autre, s’impose le sentiment que ces personnages sont là sans vraiment avoir de prise sur ce qui leur arrive, jusqu’à devenir indifférents et extérieurs à ce qui les entoure, ce qui les situe surtout en spectateurs de leur propre monde. Les relations amoureuses, sujet central de l’œuvre, sont traitées de manière subtile, évitant les stéréotypes du genre pour laisser place à de vraies relations humaines qui cherchent à apprendre de l’autre avant de retirer le bonheur immédiat de l’amour.

Bonne nuit Punpun installe ce postulat que l’amour n’a rien de sacré mais qu’il n’est pas pour autant un sentiment à condamner, au contraire, Inio Asano jonglant avec subtilité sur les émotions sans sombrer une seule fois dans le manichéen et l’attendu. Bonne nuit Punpun emporte le lecteur à travers des directions atypiques qui, au premier abord, pourraient sans doute rebuter. Mais le rythme tantôt contemplatif, tantôt houleux, poussant à l’empathie autant qu’à la rêverie, fait émerger au fur et à mesure la marginalité grandissante de ce petit canard dont le lecteur accompagne la dérive jusqu’à une fin aux conclusions incertaines et, par là, d’autant plus impressionnante.

Inio Asano, Bonne nuit Punpun, éditions Kana, 13 tomes publiés entre 2012 et 2014.

Bonne nuit Punpun