Le critique a beau être sériephile voire sérievore tendance binge watcher, il possède ses tropismes, ses rejets de principe, sa zone de confort, ses visionnages honteux, qui le poussent à établir régulièrement un top 10 (forcément mouvant) de ses TV shows préférés. Alors, quand une série qu’il était sûr de détester par avance fait son entrée en bonne place dans un classement qui n’avait pas évolué depuis l’épisode 12 de la saison 6 de Friends (le critique est conservateur), la surprise est de taille… Une sensation intitulée This is Us, qui combine le meilleur du drame et de la comédie pour notre plus grand bonheur.
This is Us avait tout pour déplaire : une accroche sirupeuse à souhait (« This is real. This is love. This is life »), des acteurs presque inconnus ou ayant eu leur moment de gloire dans des séries oubliées ou dispensables, une communication efficace sur les réseaux sociaux (surfant sur le ou la mode des six degrés de séparation). Et surtout un pitch à faire pâlir de jalousie les scénaristes des soaps estivaux et régionalistes des chaînes du service public hexagonal : « Il y a en moyenne 18 millions d’êtres humains qui partagent le même jour d’anniversaire à travers le monde. Mais il existe une famille, répartie entre New York et Los Angeles, dont quatre des membres sont nés le même jour ! Voici leur histoire drôle et émouvante… »

Suivre la destinée de personnages depuis leur naissance… du déjà-vu ? Déjà lu ? On pourrait remonter à All In The Family ou à Au fil des jours dans les années 70 et 80. On pourrait s’aventurer du côté des acceptables Gilmore Girls, des Frères Scott ou plus récemment de l’affreux Life in Pieces et on irait aussi lorgner vers les Chroniques de San Francisco (les livres d’Amistead Maupin et non la très mauvaise adaptation télé) pour le côté short cuts et l’ancrage générationnel. Tout en se rendant à l’évidence : This Is Us ne ressemble à rien de connu. La qualité et l’originalité de la série tiennent à sa narration éclatée, avec une temporalité sans cesse rebattue (voir et revoir le somptueux final du premier épisode) qui brouille et éclaire à la fois le destin des personnages.
Entre comédie et drame, This is Us se garde bien de choisir, alternant les moments d’émotion et de tendresse pure et les scènes de comédies aux dialogues enlevés, piquants et extraordinairement bien écrits et sur lesquels souffle un esprit proche de la sitcom vacharde (les rires enregistrés en moins). A tel point que l’on rêve d’appartenir à cette famille américaine de (bonne) composition, avec ce père aimant aux failles certaines mais dévoué corps et âme à son épouse et ses enfants, cette mère aux rêves inassouvis de chanteuse de sports bar ; ces enfants, Kate, Kevin et Kyle-Randall triplés (de fait) aux caractères aussi dissemblables mais intimement liés par la connexion indicible de leur naissance et qui, arrivés à l’âge adulte, doivent composer entre héritage familial, aspirations, désillusions et quête identitaire.

En filigrane – on relèvera au passage la polyphonie et polysémie du mot « US » à la fois « nous » et « les États-Unis » –, This is Us se permet (et c’est une des nombreuses qualités du show) de croquer l’american way of life avec juste ce qu’il faut de clichés (Thanksgiving, Noël, le « fanatisme » sportif municipal), mais aussi beaucoup de distance et d’acuité quand il s’agit de parler d’homosexualité, de dictature de l’apparence, d’obésité, d’adoption et / ou de la condition noire… Avec un casting impeccable, issu de la télévision et des voix de dessins animés, de Milo Ventimiglia (Heroes) à Mandy Moore (Raiponce) ou Sterling K. Browne (The People vs O.J. Simpson) en passant par le routier Gerald McRaney (Simon & Simon, Major Dad ou House of Cards), Chris Sullivan (hilarant, à mille lieux de son rôle d’ambulancier vénal dans The Knick), les shows runners (venus du cinéma de divertissement et de l’animation) ont porté une attention particulière au traitement des histoires individuelles, des destinées personnelles au cœur de ce grand tout que constitue le récit familial. Plus encore, l’effet réussi de boucle (a)temporelle procure au spectateur (critique, rappelons-le) un sentiment fort d’identification et d’attachement aux personnages. Pour paraphraser la baseline supra : « This Is Us, c’est eux, c’est nous ».
Á mi saison, après la traditionnelle trêve des scénaristes et le non moins rituel épisode de Noël qui s’est achevé sur un cliffhanger cruel, on a hâte de retrouver Jack, Rebecca, Randall, Kate et Kevin Pearson, Tobie, William, Annie, Tess… la diffusion de This is Us reprend le 10 janvier prochain aux États-Unis et au Canada, et sur Canal Plus Séries en US + 24 le vendredi 13 janvier à 23h25.