François Hollande ou l’homme de la désincarnation politique

© DK

Jamais un homme politique, sous la Ve République, n’avait peut-être été à ce point désincarné. Jamais peut-être un homme politique, comme François Hollande, n’avait été l’homme de la désincarnation, de l’effondrement en soi du pouvoir, du pouvoir mu en conquête irrésistible d’un soi flasque et fuyant. Hollande a inventé, au sommet de l’État, la formule de l’homme non-politique, de l’homme déclivant – de l’homme qui, par ses retournement successifs, a ouvert à sa suite le champ neuf de toutes les radicalisations, autorise Fillon à tout détruire, Le Pen à tout vomir et Mélenchon à tout gémir.

De fait, il n’y a jamais eu ni d’homme ni de projet Hollande. Il y a eu des trahisons. Il y a eu des déceptions mais il y a eu, en quatre pénibles et terribles années, une large frange de vide hurlant, de violences sans nombre qui ont comme déferlé sur chacun pour venir anéantir ce que la Gauche peut être, à savoir non une incarnation – toujours impossible, toujours différée, toujours non advenue – de l’Idée de la Gauche, de la Gauche comme Idée. La liste est longue des trahisons comme Laurent de Sutter l’a établie avec énergie et force dans Le Livre des trahisons : ennemi de la finance puis son ami, ennemi des patrons puis artisan de la Loi Travail, homme du vote des étrangers puis l’acteur de l’improbable et honteuse déchéance de nationalité, promoteur réticent du Mariage pour Tous et artisan flamboyant de la vindicte fasciste de la Manif pour tous, la liste est longue de ces renoncements par lesquels Hollande ne se définit jamais positivement mais comme un homme moins un homme, une somme négative d’homme. Non pas l’homme sans qualités de Musil qui lui ferait trop honneur, mais l’homme d’inqualités comme formule non d’opportunisme mais d’absence de convictions – ce qui est pire. Comme si Hollande avait inventé l’homme impolitique – celui qui rend toute révolution impossible.

On a souvent moqué physiquement François Hollande, lui l’homme ectoplasmique qu’on affuble du sobriquet du yaourt des cantines, le Flamby, cette forme flasque et tremblante, comme de graisse ou de gélatine tendue. Cette remarque physique, si elle est insultante et vire à l’éristique populiste, recèle cependant une intuition qui donne à lire bien plutôt le mandat de François Hollande comme un mandat plastique, un mandat protéen, un mandat de l’incessant changement : d’une plasticité qui annule en soi toute identité. À force de répéter « Moi président », d’en faire l’anaphore, le rythme ivre de conquête de 2012, l’homme est devenu à chaque énonciation de ce moi président un homme différent. Ce n’est plus un socialisme : c’est un donjuanisme, celui vu, il y a longtemps maintenant, par Rousset, celui qui faisait dire au Bernin sculptant des hommes de pouvoir : « L’homme n’est jamais aussi semblable à lui-même que lorsqu’il est en mouvement. » En une parodie folle de toute modernité.

La plasticité Hollande donne le vertige car elle fait toucher du doigt le vide d’un homme qui mue la notion même de fonctionnaire en son pire piège : il est à chaque l’incarnation de tous les postes qu’il traverse d’une non-vision, d’une non-âme, Bartleby acculé d’idiotie qui préfère cette fois toujours, fait de l’acte l’anéantissement de toute puissance et détruit tout sur son passage. Mais s’en va. Mais s’en va une fois sa mission, portée sans vision, remplie. Une fois sa tâche accomplie – comme une parodie d’énarque, une parodie de fonctionnariat – comme autant d’instant où l’homme n’est jamais décidément autre que Baroque, comme si le Baroque pouvait être une politique inversée du monde, parodie hystérisée de l’esprit florentin. Mais l’homme s’en va, se quitte – il se désapparaît sous nos yeux.

L’homme est arrivé hier soir à son ultime métamorphose, dans cette comme cave, ce comme bunker, sans largeur de champ, comme à la veille d’un bombardement atomique – comme réfugié à l’intérieur de son propre mandat. François Hollande était hier soi non pas tant « moi, président » que « moins président ». Il est un bilan moins son bilan, il a été le désastre en marche moins la flamboyance de la destruction – uniquement la destruction lancée à toute force aveugle contre un peuple qui n’existe même plus, contre les classes moyennes dont parle si bien Nathalie Quintane. Il est ce centre vide de tout pouvoir, le creux sombre où a disparu tout espoir, aussi mobile et improbable que toute classe moyenne – plasticité nulle de l’ectoplasme qui trouve ainsi hier soir, dans un bruissement de papiers, des mots butés, comme acculé à dire ce qu’il ne devrait pas dire, admettre ce qu’il devrait ne pas admettre à soutenir dans une scénographie où son ultime incarnation est celle d’être comme l’otage de lui-même, d’être comme un otage dans son propre quinquennat, jouant la sortie de scène comme un enlèvement. Mais on ne peut être l’oiseau et l’ornithologue – l’otage et son propre ravisseur, la plasticité est même trop forte pour Dom Juan. La Statue du Commandeur Mitterrand, déjà chue, le rappelle à l’ordre. Mais il est déjà trop tard. Les jours raccourcissent terriblement en ce début décembre et l’espérance de vie du Socialisme avec. Le socialisme menti n’est plus une rumeur : il est un homme qui, sans courage, n’en finit pas de flotter à l’horizon d’une nouvelle fonction à briguer.

Peut-être hier soir, n’avons-nous pas saisi ce que nous demandait François Hollande, notre désormais « moins président ». Peut-être François Hollande nous demande-t-il l’asile politique pendant le prochain mandat – faisons comme lui, n’entendons pas sa voix gémissante qui implore à la porte. Finissons pour mieux être ceux du Recommencement.