Mastroianni-sur-Seine

Marcelo Mastroianni La Dolce Vita
Marcello Mastroianni
Marcello Mastroianni

Comme tous les matins, lorsque je vais au travail, mon train s’arrête immanquablement devant le restaurant « La dolce vita » : un vaste espace de baies vitrées qui se trouve à côté de cette station RER à vingt minutes de Paris, où je m’apprête à descendre. Comme tous les matins, guettant des yeux la grande et discrète terrasse qui donne sur la Seine, immanquablement, je me dis : pourquoi ? Pourquoi La dolce vita ? Pourquoi on donne à certains lieux des noms de films ? Les films seraient-ils aussi des lieux ? Des lieux publics qu’on fréquente comme on fréquente les restaurants et les bars, des coins où on se rend pour retrouver une atmosphère familière, des amis, faire des rencontres ? Des lieux qu’on fréquente pour retrouver la même vue imprenable sur le paysage humain des acteurs et des actrices à leur tour utilisés comme des vastes espaces de baies vitrées, une pièce ou la terrasse (voici le titre d’un autre film) plus ou moins accueillante ou imprenable, inaccessible ou bien habitable où le spectateur viendrait s’installer plus ou moins tranquillement, plus ou moins à l’aise ? La dolce vita, et si c’était un lieu ? Quel genre de lieu serait-il lié, dans l’imaginaire collectif, à une expression devenue synonyme d’âge d’or de l’élégance et du raffinement italiens entre les années cinquante et soixante, les années du miracle économique, de la Vespa et de la Fiat 500, du beau monde sur les plages de villégiature, d’une vie douce de plaisirs et d’insouciance, nonchalante, excentrique, charmante, qui se répandit dans le langage courant après le film homonyme de 1960 et indissolublement liée à l’image de l’acteur Marcello Mastroianni, mais qui plonge de profondes racines dans la culture italienne et ses attitudes fatalement indolentes, fatalement élégantes ? La dolce vita, et si c’était un restaurant ? Un endroit discret et éloigné de la circulation, avec grande terrasse panoramique et vue imprenable sur une humanité exquisément irresponsable et livrée aux douceurs du farniente. Location de salles felliniesques pour vos soirées d’élégante inaction en nonchalance. Chez Mastroianni.

Marcello MastroianniAu moment du XXe anniversaire de la disparition de Marcello Mastroianni, survenue en décembre 1996 à Paris, l’occasion est sans doute venue de se poser cette question simple : c’était qui, ou, plutôt, c’était quoi, Marcello Mastroianni ? Jean Gili, grand spécialiste du cinéma italien et directeur du Festival du cinéma italien d’Annecy, consacre à l’acteur italien un livre, paru aux éditions de La Martinière, qui revient décennie par décennie sur les étapes de la carrière hors norme d’un comédien qui a gardé intact, des comédies légères aux chefs d’œuvre de la maturité, son pouvoir de séduction. Etc., etc.. Mais quel Mastroianni ? Jacques Perrin dans sa préface se le demande aussi. Lorsqu’on feuillette les pages de ce beau livre à l’iconographie très soignée, on ne pense jamais directement à la personne. On se rend vite compte que l’existence du personnage de Marcello Mastroianni « se confond avec les rôles qu’il a interprétés ».

Dans Marcello Mastroianni de Jean A. Gili, on retrouve par exemple l’acteur « par définition irresponsable, puisqu’il n’existe que par procuration », n’étant « pleinement lui-même que sur le plateau de tournage, débarrassé des contingences de la vie », et surtout quelqu’un qui « n’existerait pas s’il n’avait pas rencontré des cinéastes, des artistes qui ont peu à peu modelé son image, qui en ont fait ce qu’il est devenu ». Visconti, d’abord, qui le fit débuter au théâtre ; puis Fellini, pour le classique des classiques ; et De Sica, Dino Risi, Monicelli, Scola, Ferreri, Antonioni, Germi, Petri, Bellocchio, Liliana Cavani, Tornatore. Et encore : Jules Dassin, Jacques Demy, John Boorman, Louis Malle, Roman Polanski, Nikita Mikhalkov, Theo Angelopoulos, Agnès Varda, Bertrand Blier, Raoul Ruiz, Robert Altman, Manoel de Oliveira… Et ensuite, sur l’écran cette fois, Sofia Loren et Anita Ekberg pour la légende, Anouk Aimée, Claudia Cardinale, Monica Vitti, Catherine Deneuve, Jean-Louis Trintignant, Faye Dunaway, Nastassja Kinski, Jacques Perrin, Massimo Troisi, Jean-Claude Brialy, et même Nico, la future chanteuse du Velvet Underground.

Mais il y a une autre de rencontre marquante dans la carrière de Mastroianni, qui est à mon sens la rencontre la plus marquante de toutes : celle avec moi. Oui, avec moi. Je m’explique : je suis un spectateur, et un spectateur, ce qu’il aime par-dessus tout, c’est regarder un film de bout en bout. Regarder ce qu’il y a à regarder et rien d’autre : assembler les détails avec le tout ; considérer certaines visions comme définitives et ne pas mêler un film avec un autre, compte tenu de ce que chacun a de propre. Mais surtout, ce qu’un spectateur aime par-dessus tout, quand un film vient de terminer et les lumières se rallument dans la salle, c’est non seulement de vouloir continuer à vivre avec ses personnages, savoir ce que devient le Commissaire Santamaria (La femme du dimanche, de Luigi Comencini, 1975), ou bien avoir des nouvelles d’Antonio, après l’avoir vu partir à la gare de Milan à la fin des Fleurs du soleil (De Sica, 1970) : sa voix intérieure qui a été disciplinée pendant toute la durée du film à suivre le rythme d’un Giovanni Pontano, l’écrivain de La Nuit d’Antonioni, ou d’un Marcello Rubini dans La dolce vita, voudrait continuer à parler comme eux, poursuivre leurs dialogues impossibles.

On ne saura jamais rien du baron Ferdinand Cefalu et de ce que la dernière séquence de Divorce à l’italienne (Pietro Germi, 1961) dans le bateau au large du mer de Sicile ne fait que suggérer. Et on a beau aller revoir un film cherchant à revivre l’émotion d’une vision précédente, à chaque fois on éprouverait des sensations nouvelles et inattendues. Pour cette raison, la vision d’un film est en même temps une expérience discontinue et fragmentaire. L’attention du spectateur peut en effet arriver à distinguer, dans l’espace étale et débordant d’une image en mouvement, une matière punctiforme et pulvérisée où il discerne des rapprochements, des métaphores, des noyaux syntaxiques, des transitions logiques, des particularités visuelles qui se révèlent porteurs d’un sens extrêmement concentré. Le sentiment joué dans l’effacement ou la pudeur, par exemple, l’intensité dans le non-dit ou la phrase allusive (Quelle heure est-il, Scola, 1989), le coup de fil passé de dos dans Journal intime (Zurlini) et dans Une journée particulière (Scola, 1977). Peu de gestes, le tic nerveux du baron Ferdinand Cefalu dans Divorce à l’italienne, un regard énigmatique apparaissant au-dessus de lunettes noires dans 8 et demi, peuvent renfermer pour lui des univers entiers, qu’il n’arrivera jamais à épuiser, comme si ces corpuscules impalpables contenaient déjà des mythes ou des mystères. Ces fameuses lunettes de soleil Persol que porte Guido Anselmi dans 8 et demi (Fellini, 1963), par exemple, constituent-elles peut-être un élément clé servant de façon ambiguë aussi bien à cacher qu’à montrer ? Peut-on les rapprocher du drap qui se tend au milieu du salon d’Anita Ekberg dans Intervista (Fellini, 1987), où l’ombre de l’actrice est projetée avec celle de Mastorianni-Mandrake, juste avant qu’ils n’assistent l’un à côté de l’autre à la projection – sur le même drap, comme si celui-ci n’était qu’une métaphore du cinéma, et sans doute de la fiction tout court, servant à cacher mais pour mieux montrer – de la célèbre séquence de la fontaine de Trevi, eux qui en avaient été les protagonistes 27 ans auparavant ?

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Depuis des années ce spectateur pourrait bien avoir regardé des films, fréquenté des ciné-débats, assisté à des festivals, rétrospectives, et pourtant, il n’aurait rien fait d’autre que d’avancer dans la vision du film unique et complexe qui forme la somme de ses visions, et qui raconte en même temps l’histoire de ses visions : celle qui commence au moment où les lumières s’allument dans la salle de cinéma. Car pour le spectateur, somme toute, ne serait que la fin qui compte désormais ; mais la fin véritable, ultime, cachée dans l’obscurité où le film veut le conduire : son regard cherche une brèche, creuse pour chercher ce qui se profile au loin, dans les espaces qui s’étendent au-delà du mot « fin ». Au point que la vision constituerait pour lui une opération sans objet ; ou qui n’a pas d’autre véritable objet qu’elle-même : l’objet en est un support accessoire, ou même un prétexte.

Si je m’attarde sur des détails d’ordre personnel, cela ne doit pas faire croire que je n’obéis qu’à mes intérêts individuels immédiats, quand j’essaie d’agir dans l’intérêt général (et donc aussi dans le mien, mais indirectement) et notamment de l’ensemble de ce lieu qu’est devenu pour moi Marcello Mastroianni : un restaurant au bord de la Seine. Chacun fait l’épreuve de voir les choses finir, avec la sensation de tout perdre et de tout vouloir retrouver ailleurs, dans d’autres visages et d’autres paysages. Même si chacun l’éprouve différemment selon les circonstances. Pour dérisoire que puisse paraître l’événement qu’il représente dans la vie de chacun, la fin d’un film suffit à réveiller en moi un grand sentiment d’abandon, comme si j’avais été privé, pour une raison que j’ignore, de quelqu’un ou de quelque chose qui me comblait autrefois parfaitement, dont je ne me rappelle plus que vaguement la nature et le plaisir que j’en tirais, mais qui continuellement me fait défaut désormais et dont chaque nouvelle défection me rappelle l’absence. C’est pourquoi, en sortant du cinéma, ne fut-ce que pendant quelques minutes, je ne considère plus le monde du même œil. Quelque chose comme de l’incrédulité m’empêche de prendre la réalité au sérieux et tout me paraît précaire, soumis à la loi d’un devenir qui efface semblablement les choses, ne laissant rien en place et en en faisant s’évanouir la réalité comme si elle avait aussi peu de substance que le simple mirage auquel je viens d’assister. Même ma vie m’apparaît comme celle d’un autre qui l’aurait vécue à ma place et avec lequel je n’entretiens que des rapports somme toute assez relatifs : un personnage à l’allure spectrale de mirage, dont les apparences réfléchissent comme un grand vide, un décor désert où j’assiste à une mise en scène fantasque de tout ce que j’avais aimé en lui (ou pas). Quelqu’un dont la vie et le destin furent progressivement débarrassés des contingences personnelles et transformés, grâce au cinéma, en un paysage humain, ou, si l’on préfère, de la mémoire : bref, en nostalgie, non pas du passé, mais du présent. En sortant du cinéma, je découvre en effet que le temps est quelque chose que je devrais fréquenter, qui contient de l’espace et qu’habite somme toute une distance qui reste à franchir, cette distance mentale qui m’habite et dont participe tout aussi bien, en fin de compte, ce restaurant de banlieue que je suis en train de regarder comme tous les matins depuis mon train RER, avec terrasse discrète donnant sur la Seine, à vingt minutes de Paris : La dolce vita. Si je suis désormais conscient, aujourd’hui, que tout en étant un, pendant tout ce temps, un autre a toujours été en moi, appelons-le Mastroianni.

Mastroianni, qui ? L’existence du personnage de Marcello Mastroianni se confond avec les rôles qu’il a interprétés, mais aussi, j’insiste, avec la mienne. Même maintenant, ici, sur le RER C. L’anecdote est connue qui relate comment Fellini l’avait préféré à Paul Newman et Gérard Philipe, parce que pour le rôle du protagoniste de La dolce vita il avait besoin d’un « visage quelconque ».

Marcelo Mastroianni La Dolce Vita
Marcelo Mastroianni La Dolce Vita

Incarnation italienne du cinéma moderne, Mastroianni est devenu l’emblème d’une époque ; il aura prêté son visage à l’allure propre de son temps, dont il renvoie l’écho, écrit J. Gili dans son introduction : « sans le déformer puisque tout le traverse sans jamais le changer ». En d’autres mots, il aura incarné une certaine mode. Non seulement celle des manifestations les plus futiles du goût mais aussi celle des convictions philosophiques, idéologiques, religieuses et la métaphysique implicite à l’aide de laquelle les contemporains considèrent semblablement les grandes questions un peu oiseuses qui touchent à la vie. Les traits qui rendent sa personnalité suffisamment particularisée pour qu’il reste assez crédible, alors même qu’ils passent pour tels aux yeux de ceux qui les éprouvent, ils sont le moins personnels qui soient rendant les êtres identiques les uns aux autres en raison même de ce qu’ils considèrent comme relevant de la part la plus singulière de leur sensibilité. C’est pourquoi d’ailleurs, je le répète, l’expérience dont je témoigne ne me concerne qu’accessoirement et ne dépend en rien des contingences propres à mon existence, dont je me limite à établir les circonstances afin d’en souligner la portée générale. Je dirai même « universelle », puisqu’il s’agit du mot employé par Pietro Germi à propos de Mastroianni lorsqu’en 1965 on lui demande d’essayer de donner une explication au succès planétaire de Mastroianni. Il est « assez typique » dit-il : il y a en lui des caractéristiques italiennes qui intéressent aussi à l’étranger, mais contenues, presque stylisées ; il est certainement – ajoute-t-il – un excellent acteur, mais il n’est sans doute pas meilleur que d’autres tout aussi talentueux que lui mais plus caractéristiques, et donc peut-être plus distants, moins accessibles. Le génie de Mastroianni, ce qu’il y a en lui d’extraordinaire, consisterait sans doute, pour paradoxal que ce propos puisse paraître, en la capacité à apparaître ordinaire, à ne rien avoir d’exceptionnel : on le sent proche, « vraiment comme un italien moyen » – note Elio Petri invité à l’Université de Nice en 1974.

Les contingences de la vie personnelle sont désormais superflues et même nocives à l’ensemble du lieu que représente pour moi Mastroianni : un vaste espace de baies vitrées avec vue imprenable sur la Seine, à côté d’une petite gare de banlieue. Tout est tellement compliqué, embrouillé et surchargé dans la vie, que pour y voir un peu clair, je dois tailler, tailler. Au point que désormais, en lisant le Mastroianni de Jean Gili, je ne souligne que les mots qui servent à décrire son jeu (ce vaste espace de baies vitrées) d’acteur, et notamment ceux qui caractérisent son « habituelle discrétion », même lorsqu’il interprète la tragédie privée de Ça n’arrive qu’aux autres (Nadine Marquand, 1971) ; un « acteur de l’ombre » comme le protagoniste de Salut l’artiste (Yves Robert, 1975). Jouant « sur des tonalités intermédiaires, tournées vers l’intérieur […] Mastroianni n’est jamais aussi grand que lorsqu’il doit exprimer l’ambivalence d’une situation, d’un sentiment, d’un geste » (Allonsanfan, frères Taviani, 1974), ou bien une personnalité « dans ce qu’elle a d’impénétrable » (Todo Modo, Elio Petri, 1976). Mastroianni, je souligne, a souvent l’air de ne rien faire, « avec un peu d’ennui, de lassitude dans le corps » (Quelle heure est-il, Scola, 1989), lorsqu’il tire son épingle du jeu en transportant l’air « fatigué, déçu, conscient d’être destiné à disparaître » d’un personnage (Rêve de singe, Ferreri, 1978 ; L’apiculteur, Angelopoulos, 1986). Dans Il Tempo du 22 mai 1984, le doyen des critiques de cinéma italien Gian Luigi Rondi, décrit ainsi son jeu dans Henry IV, le roi fou, de Bellocchio (1984) : « tout en silences et en nuances […] privilégiant le modeste, le soumis, le recueilli, avec un total désespoir, mais sans sons, avec un déchirement tout en hurlement, mais silencieux. » Les exemples se multiplient, Gili parle de « force retenue » et d’une « mélancolie subtile » à propos de Le pas suspendu de la cigogne d’Angelopouos (1993), et d’une « douceur qui promet de déborder » dans Pereira prétend de Roberto Faenza (1995). Dans l’une de ses créations les plus accomplies – je souligne encore dans le texte de Gili – le personnage de Luigi dans La terrasse (Scola, 1980), Mastroianni incarne « la distance qui s’est installée entre son apparence d’homme pleinement accompli et les souffrances intérieures qui le rongent. »

La terrasse, cette fois c’est le film qui porte le nom d’un lieu, où Mastroianni, une fois de plus, se sert de son jeu pour incarner une distance. C’est pourquoi, aux représentations convenues du grand acteur – alter ego de Fellini, grand séducteur, monstre sacré de la comédie à l’italienne, etc. – je préfère le portrait qu’en fait l’écrivain espagnol Enrique Vila-Matas dans son roman Desde la ciudad nerviosa (paru en français dans la traduction de Pierre Olivier Sanchez, avec le titre Mastroianni-sur-mer, Éditions Passage du Nord/Ouest, 2005), parce qu’il correspond davantage à mon expérience de spectateur.

41z9qbgb85l-_sx195_Spectateur d’exception, Vila-Matas dans son livre se souvient notamment d’une phrase amère dite par Mastroianni dans La nuit de Antonioni, le chef d’œuvre de l’incommunicabilité. Dans la séquence du night-club, Mastroianni, s’adressant à sa femme, qui n’était autre que Jeanne Moreau, lui dit : « Avant j’avais des idées. Aujourd’hui, je n’ai que des souvenirs. » Des phrases comme celle-ci, furent de celles qui le poussèrent – dit-il – à vouloir devenir quelqu’un comme Mastroianni dans La Nuit : c’est-à-dire, être un écrivain, porter des chemises au col toujours parfaitement repassé, posséder une voiture, et avoir une femme, si possible aussi séduisante que Jeanne Moreau. Maintenant que Vila-Matas n’ignore plus complètement que, pour être écrivain, il ne faut pas seulement écrire, mais encore savoir bien écrire et savoir se transformer en quelqu’un d’autre, en un étranger, il parle de Marcello Mastroianni comme s’il s’agissait d’une espèce de lieu mental, un « scénario vivant », dit-il, et même d’un lieu physique, réellement existant : un vaste espace de baies vitrées donnant sur la mer, prenant place à l’intérieur d’un bâtiment rose avec un grand jardin plein de palmier à côté du phare de Cascais ; un phare d’une extraordinaire beauté, peint en blanc et bleu et couronné de rouge sur le front de l’Océan Atlantique, à 30 kilomètres à l’ouest de Lisbonne. (Il s’agit de la clinique où se rend Pereira après avoir mangé des escargots dans Pereira prétend, de Roberto Faenza, 1994). Dans le livre de Vila-Matas, Marcello Mastroianni n’est plus qu’une rumeur de fond, il est quelqu’un dont la vie et le destin furent transformés progressivement non seulement en titre de roman, mais aussi en « scénario vivant » (Vila-Matas cite Pessoa) et en paysage : un paysage de la mémoire, et un paysage au bord de l’Atlantique. On dirait un lieu à la Marguerite Duras.

À travers mes lunettes Persol d’imitation, je vois les contingences rapetisser et disparaître derrière le léger drap de brume qui recouvre la Seine à cette heure du matin. Je pense à Intervista, et au drap tendu dans le salon d’Anita Ekberg. Mastroianni, n’est plus maintenant que ce restaurant de banlieue à vingt minutes de Paris, « La dolce vita », que j’observe depuis cette station RER où je m’apprête à descendre. Un restaurant, mais aussi un état d’esprit qui consiste à se sentir habité d’un vaste espace de baies vitrées avec grande et discrète terrasse panoramique et vue imprenable sur un paysage humain tout en demi-tons, d’une douceur subtile et une force retenue, mais dont le charme abandonné séduit. À Mastroianni-sur-Seine.