Entretien avec Arno Bertina : Claude Ollier à la maison de la poésie, 22 octobre 2016

Ollier, Rosset, Montel à Rome 1980 archives Christian Rosset

Le 22 octobre prochain la Maison de la poésie consacrera une après-midi à l’œuvre de Claude Ollier. Organisé par l’association Les mondes de Claude Ollier, cet hommage proposera des lectures, des interventions et dialogues autour de cette œuvre importante, à parcourir et découvrir encore. Entretien avec Arno Bertina qui participera à cet hommage.

Tu fais partie de l’association « Les mondes de Claude Ollier ». Pourquoi celle-ci a-t-elle été créée ?

Arno Bertina : Claude Ollier ayant légué l’ensemble de ses manuscrits à la BNF, un vaste chantier de numérisation a débuté en 2015, essentiel et passionnant car certains de ses livres, très composés, ont ensuite été parfois « aplatis » par la publication. L’accessibilité de ses manuscrits sur les sites de la BNF va permettre d’en mesurer mieux l’ambition magnifique. En marge de cela, nous étions une vingtaine de proches ou lecteurs de Claude Ollier à nous désespérer un peu du silence autour de cette œuvre à laquelle les éditions POL se sont montrées pourtant indéfectiblement fidèles. Lors d’une réunion à la BNF nous avons donc décidé de créer cette association qui n’a ni adhérents ni subventions, pour l’heure, mais des compagnons de route : Bernard Noël, Paul-Louis Rossi, Paul Otchakovski-Laurens, Mireille Calle-Gruber, Christian Rosset, Johan Faerber, Alexis Pelletier et bien d’autres.

Notre ambition : faire lire cette œuvre, susciter des vocations universitaires car la richesse du parcours, de livres en livres, se prête magnifiquement à la lecture critique ou universitaire. A terme, il s’agit ni plus ni moins que d’en montrer la vivacité vibrionnante, et de faire que Claude Ollier, décédé en 2014, trouve sa place, non pas dans l’Histoire littéraire – je crois qu’il serait très à l’étroit dans la plupart des champs qui décrivent le paysage littéraire – mais dans les bibliothèques des lecteurs d’aujourd’hui. A contretemps certes, mais enfin. Un petit exemple : si Boussole de Mathias Enard était un fantastique coup de barre à gauche désireux de contrer les perceptions les plus fausses sur le Moyen-Orient, nul doute que nombre de livres de Claude Ollier pourraient être convoqués dans le même but, publiés dans les années 60, 70 et 80.

Cette association organise un hommage à Claude Ollier le 22 octobre à la Maison de la poésie. Que proposera cet hommage ?

Cette après-midi d’hommage sera l’occasion de faire connaitre l’association, d’en lancer les travaux. Il s’agit donc de donner à chacun et chacune d’entre nous l’énergie du groupe entier pour initier qui des lectures, qui des articles ou des mémoires et des thèses. Nous ne l’avons pas conçue comme un colloque au sein duquel se succèderaient des discours scientifiques et pointus car l’état des études concernant l’œuvre d’Ollier ne le permet pas. Nous désirons parler à tout le monde au cours de cette journée, et il m’a semblé que le mieux à faire est encore de dérouler l’ensemble de l’œuvre pour en montrer la richesse, la complexité heureuse – depuis les tous premiers livres, sous le signe des recherches de la fin des années 50 et du Nouveau Roman, jusqu’aux livres nourris par ses voyages – Canada, Irak, Australie –, de son très long séjour au Maroc – une dizaine d’années –, en passant par quelques livres sidérants, d’explorations spatiale et formelle, et d’autres enfin, contemplatifs, tournés vers le monde des rêves ou vers certains paysages français entre Versailles et Mantes-la-Jolie, les garrigues du sud de la France, etc.

Pour parler de ton intérêt personnel pour Claude Ollier : comment as-tu rencontré son œuvre et qu’est-ce qui t’intéresse dans celle-ci ?

Pour la petite histoire : j’étais appelé du contingent, je faisais mon service militaire. Je devais donner des cours de communication à de futurs officiers, élèves de l’école de l’air. Par chance j’avais fait la rencontre du poète Pierre Parlant quelques temps avant de me retrouver « consigné » sur la base de Salon-de-Provence et un week-end il est venu me chercher pour que nous fassions mieux connaissance. Je suis revenu de chez lui avec Feuilleton, le seul 2livre d’Ollier publié chez Julliard par Alain Veinstein, un de ses grands amis. Et Osbcuration, qui s’appelait encore Déconnection. Et malgré ces conditions étranges – il fallait voir les chambrées de 4 ! – j’ai tout de suite été subjugué par ces deux livres. Je lisais François Bon depuis 1996, je découvrais dans ces livres d’Ollier une façon un peu semblable de batailler avec les musiques apprises pour faire sonner la phrase, la conduite du récit et tout le livre d’une façon inouïe.

Au fil des années j’ai continué à le lire, et je suis allé le rencontrer cinq fois à Maule, sous Mantes-la-Jolie. Certains livres sont un peu arides parfois – Une histoire illisible, par exemple –, mais même quand ils le sont, la vision qui les aura portés me passionne au plus haut point. Il y a, dans Une histoire illisible, du fait d’une sorte de « catastrophe narrative », d’un pli où tombe un des personnages, quelque chose de pré-lynchien qui est tout à fait stupéfiant. Dans d’autres livres, plus tardifs, Ollier s’est aventuré sur un territoire où ne vont aucun des écrivains européens, qui s’avèrent incapables d’envisager le monde hors des structures mythologiques qui ont fait l’Europe : la mythologie grecque, romaine, l’Ancien Testament, etc. Lui s’est pris de passion, au cours des années 2000, pour des figures perses, égyptiennes, donnant par exemple le livre Qatastrophe, si passionnant d’être à ce point intempestif en apparence.

Mais les livres qui me retiennent le plus, auxquels je reviens avec plaisir, sont encore d’un autre ordre. Ce sont les plus simples, les plus « efficaces » : L’Échec de Nolan, Outback, Obscuration que je trouve magnifique, Fuzzy Sets – tellement fou –, Cahier des fleurs et des fracas, et son si stimulant livre d’entretiens avec Alexis Pelletier, Cité de mémoire.

Claude Ollier a été rattaché au Nouveau roman mais s’en est également éloigné. Une fois dit que les auteurs du Nouveau roman ont produit des œuvres très différentes les unes des autres et très singulières, qu’est-ce qui selon toi pourrait faire de Claude Ollier un auteur du Nouveau roman et en même temps qu’est-ce qui l’en distinguerait ?

Le dialogue entre Mireille Calle-Gruber et Benoit Peeters, animé par Johan Faerber, le 22 octobre, portera précisément sur cet aspect. Pour le dire très vite, La mise en scène – le premier roman d’Ollier, parrainé par Robbe-Grillet au sein des éditions de Minuit – a paru en 1958 et a d’emblée été reçu comme 4une œuvre clé du Nouveau Roman qui s’inventait alors. Dans ce livre, Ollier brouille les cartes en jouant avec les codes du roman d’aventures et du roman policier – et ce sera à nouveau le cas avec Truquage en amont, beaucoup plus tardif. Par là – ce jeu ou cette subversion des codes littéraires hérités, la description des représentations faisant écran, que l’écriture va devoir déchirer, percer –, on voit bien comment il est de ce courant et comment il peut faire figure d’ancêtres pour Jean Echenoz ou Tanguy Viel, qui ne l’ont peut-être pas lu. Mais dès cet instant là aussi – la description de l’Atlas, ou du pays berbère – on voit qu’il échappe à une forme de nihilisme : un ailleurs existe bien, aux portes de l’Europe. L’Occident qui voudrait se croire l’alpha et l’oméga de la vie sur terre, qui postule la fin du voyage, l’inexistence de l’ailleurs, ou l’impossibilité de sortir de soi, est une vaste tartufferie, le voyage est une possibilité et la littérature en sortira toujours gagnante. Sans être sûr de rien, mais pour en avoir un peu parlé avec Ollier en 2003, je crois que la direction prise par son œuvre a aussitôt favorisé des brouilles et des incompréhensions avec Jérôme Lindon. Des livres d’exploration spatiale comme Enigma ou Fuzzy Sets faisaient vivre un pan de la littérature qui cadrait mal avec ce qui, en France, relève des sujets littéraires.

Dans ton propre travail d’écrivain, est-ce que tu retiens ou reprends des éléments que tu trouves chez Claude Ollier ?

Peut-être pourrais-je dire que cette attention à l’ailleurs, au regard de l’autre, aux traditions culturelles de l’autre, sont des carottes qui se balancent devant mes yeux et nourrissent mon désir d’avancer. Je pourrais ajouter que la façon qu’a eu Ollier de travailler la phrase, de la faire sonner, m’a beaucoup surpris d’abord, mais d’emblée enthousiasmé. Je me retrouvais dans la position de quelqu’un qui, connaissant plus ou moins tous les instruments composant l’orchestre européen, j’y décelais soudainement le timbre discret mais très insistant d’un instrument que je ne connaissais pas, capable à lui seul de faire dérailler toute la partition, et de faire entendre de nouvelles couleurs, nombre de synesthésies.

Hommage à Claude Ollier, Maison de la poésie, le 22 octobre 2016, 14h30. Avec : Olivier Wagner, Mireille Calle-Gruber, Benoit Peeters, Johan Faerber, Paul-Louis Rossi, Christophe Manon, Jean Narboni, Christian Rosset, Pierre Parlant, Marianne Alphant, Arno Bertina.

Programme :

14h30 : accueil, présentation de l’association et courte présentation du travail de numérisation des manuscrits de Claude Ollier par la BNF et Olivier Wagner, le conservateur en charge de ce fonds. Archive sonore : Claude Ollier.

15h00 : Claude Ollier et le Nouveau Roman, avec Mireille Calle-Gruber, Benoit Peeters. (Animée par Johan Faerber) Archive sonore : Bernard Noel lisant Claude Ollier.

16h00 : Claude Ollier, le fantastique et la traversée des genres, avec Paul-Louis Rossi, Christophe Manon et Jean Narboni. (Animée par Christian Rosset) Archive sonore : Dominique Fourcade lisant Claude Ollier.

17h00 : Claude Ollier et l’ailleurs, avec Pierre Parlant et Marianne Alphant. (Animée par Arno Bertina) Archive sonore : Abdelwahab Meddeb lisant Claude Ollier.

La page de la Maison de la poésie (adresse, achat des billets)

Claude Ollier sur le site de POL