Mon voyage était long et compliqué, Laurent Deglicourt (Le voyage minuscule 3/22)

© Laurent Deglicourt

Mon voyage était long et compliqué. Marseille – Amiens, puis location de voiture pour aller chercher mon fils à l’école le vendredi soir (il était scolarisé à la campagne, dans un petit village). Nous dormions chez ma mère, à Amiens. Cela environ une fois par mois. Les vacances, nous descendions à Marseille. J’avais l’impression de ne voir sans arrêt que les mêmes bords du monde. Bords de voies ferrées, bords de routes – je devenais parfois vaguement borderline… Gabriel donnait le change. Je n’ai jamais su exactement comment il vivait mon éloignement. Il a toujours eu cette pudeur de ne pas me montrer sa peine, si peine il y avait. Une fois seulement, il m’a dit au téléphone qu’il trouvait le temps long, que c’était dur (j’avais été souffrant, six semaines s’étaient écoulées depuis nos dernières retrouvailles). Je sais, maintenant qu’il est adulte, qu’en plus de cette pudeur, il y avait, derrière cette attitude toujours en apparence positive et optimiste de mon fils, une volonté de me préserver – il est comme ça –, bref : une élégance. Le soir, il m’envoyait un sms de bonne nuit souvent orthographié « bonuit » qui me tirait parfois des larmes. C’était devenu un rituel et je me faisais du souci si je ne le recevais pas. Quand j’avais acheté son premier portable, j’avais mal choisi l’opérateur et il captait très mal dans la maison de sa mère. Il devait souvent sortir dans le jardin pour que le réseau soit opérationnel et je l’imaginais, l’hiver, grelottant, quand je l’appelais. J’avais vu cette remorque sur le bas-côté, comme abandonnée, portant cette énorme caisse en bois et j’avais toute de suite arrêté la voiture. J’étais à quelques kilomètres du domicile de la mère de mon fils et cette installation impromptue résumait bien ce qu’était notre vie d’alors : une sorte d’errance avec armes et bagages.

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