Des couvertures, de la bande dessinée avec un Grand A, du grand art avec un grand K. Papiers à Bulles, saison 1, épisode 2…
9h27. Le Grand A, en attendant Noyelles-Godault
Sous-titré « il mange 195 jours de votre vie », le livre de Xavier Bétaucourt et Jean-Luc Loyer relate, de 1972 à nos jours, la vie quotidienne d’un bassin d’emploi, d’une ville, d’une région tout entière. Depuis la pose de la première pierre jusqu’aux considérations politiques locales (en passant par des inserts historiques renvoyant aux origines du commerce, à son évolution et son emprise sur nos vies), Le Grand A est est bien plus qu’une fiction régionaliste ou un portrait à charge et à décharge de l’hypermarché Auchan de Noyelles-Godault, véritable institution capitaliste de l’Héninois.
« 22 000 m2 de surface de vente, 15 000 m2 de réserves, 750 salariés, une galerie marchande qui devrait dépasser les 18 000 m2 à la fin 2017 »… Des chiffres qui donnent le tournis dans une région dans laquelle le taux de chômage tutoie les 20% et 72% de la clientèle de l’hypermarché est d’origine ouvrière. Xavier Bétaucourt et Jean-Luc Loyer montrent, sur le mode documentaire tout en maniant l’ironie avec mesure, comment ce «Grand A» a fait bien plus que de s’ancrer dans le paysage économique : il est devenu un centre d’attraction que même les politiques actuels ne combattent plus. En 1970, son implantation a été refusée par le maire d’Hénin-Beaumont (« je ne serai pas celui qui a signé l’arrêt de mort du centre-ville ») et la direction d’Auchan s’est rabattue sur une commune limitrophe : Noyelles-Godault. Plongeant une cité dans l’enclavement et une autre au cœur du consumérisme débridé.

La lutte ancestrale (et vaine) du pot de terre contre le pot de fer est le fil conducteur de ce livre qui fait défiler les destins locaux : les jeunes et les moins jeunes, les salariés et les chômeurs, les directeurs et les édiles, les politiques et le populisme rampant… jusqu’au renoncement : Steeve Briois, élu à la mairie d’Hénin-Beaumont en 2014 : « les Héninois m’ont élu mais il nous faut voir les choses en face… Malgré ce qu’a pu dire Marine, je ne vais pas aller contre le Grand A ».
Passionnant de la première à la dernière page, richement documenté, Le Grand A embrasse l’histoire du mercantilisme et d’une région pour mieux les confronter à la dure réalité d’aujourd’hui.
Xavier Bétaucourt et Jean-Luc Loyer, Le Grand A, Éditions Futuropolis, 136 p., 20 €.
11h11 : Lucky ? Or Not Lucky (Luke) ?
Né le 13 décembre 1946, Lucky Luke fête ses 70 ans en 2016. Annoncée pour avril prochain, une reprise-hommage signée Mathieu Bonhomme (Messire Guillaume, Esteban, Omni-visibilis, Texas Cowboys…) sera en pré-publication dans Le Journal de Spirou, numéro 4061 daté du 10 février… Portant un titre ô combien référentiel, L’homme qui tua Lucky Luke, est un one-shot (sans jeu de mot), indépendant de la série officielle dont le prochain opus (avec Achdé au dessin et Jul au scénario) paraîtra en novembre prochain.
Avec un dessin semi-réaliste loin de la rondeur morrissienne, ce Lucky Luke de 2016 est résolument moderne, crépusculaire et d’emblée surprenant avec la mort du héros qui pourtant tire (tirait ?) plus vite que son ombre. La couverture dont le cadrage évoque immédiatement celle du huitième album de la série paru en 1956, Phil Defer et les premières pages sont porteuses de la promesse d’une belle et sombre réappropriation du personnage créé par Morris et Goscinny.
13h35. Spoiler attack !
Dans la même veine que le tombeau graphique offert à Lucky Luke par Mathieu Bonhomme, on a découvert cette semaine la version de travail de la couverture du neuvième tome de la série Le Spirou de… Signée Benoît Feroumont (Wondertown, Le Royaume…), et annoncée en librairie le 3 juin prochain sous le titre : Fantasio se marie.
Sur son blog, Benoît Féroumont a expliqué le pourquoi du comment de cette présentation anticipée d’un travail en cours : l’image a fuité sur un site de BD flamand et a été « répercutée via les réseaux sociaux dans une version hyper compressée et donc fort abimée ». L’auteur a donc décidé de reprendre la main et il a livré une version de meilleure qualité. Les spirouphiles (dont je fais partie) sont ravis de ce «spoiler» mettant en scène un Spirou dubitatif aux côtés d’une Seccotine toute en œillade qui laisse la porte ouverte à toutes les spéculations.
17h14. Krazy Kat
En octobre dernier, Les Rêveurs mettaient la touche finale à une entreprise un peu folle initiée en 2012 : faire paraître à raison d’un volume par an l’intégralité des Sunday Strips en couleur du Krazy Kat de George Herriman.
Le « tout petit éditeur » français a regroupé les 10 livres publiés chez Fantagraphics et couvrant la période 1925-1944, une gageure et 4 (très) beaux livres qui doivent beaucoup à Marc Voline, traducteur et grand admirateur de l’œuvre du dessinateur né à la Nouvelle Orléans en 1880.
Journaliste (Libération, (À Suivre), Actuel), directeur littéraire (Humanoïdes Associés, Albin Michel), Marc Voine a collaboré avec Yves Chaland, Jean-Louis Floch, Les Nuls (entre autres) à l’écriture de scénarios, et a traduit de l’anglais Scott Adams (Dilbert), Harvey Kurtzman (MAD Magazine). Il est également traducteur de l’italien (Manara, Magnus, Mattotti…). Herriman, disparu en 1944, aura marqué la presse de sa présence, avec plus de trente ans de publications dans les journaux du dimanche. Si Krazy Kat est aujourd’hui indissociable de l’histoire de la bande dessinée (et qu’il a intégré depuis 2000 le Temple de la renommée Will Eisner), George Herriman n’aura connu de son vivant qu’un succès relatif. Avec cette intégrale qui balaie près de 20 ans de travail, Les Rêveurs réhabilitent l’un des pères fondateurs du comics américain. Krazy Kat, Ignatz Mouse et le Sergent Pupp (re)vivent encore et pour toujours. Des aventures oniriques, drôles et tendres à (re)découvrir impérativement.
George Herriman, Krazy Kat (traduction Marc Voline), Vol. 4, Les Planches du Dimanche 1940-1944, Éditions Les Rêveurs, 272 p., 38 €
18h05. Bonus Track : Les aventures de Krazy Kat et Ignatz Mouse à Koko Land
Adapté de la bande dessinée de George Herriman (et toujours traduit par Marc Voline), Les Rêveurs proposent un livre pour enfant à l’histoire plutôt singulière : Krazy Kat et Ignatz Mouse à Koko Land. George Herriman n’a en effet jamais pris part à l’écriture de ce livre, signé d’une main inconnue. Les strips illustrant cette succession d’historiettes sont extraits des bandes quotidiennes produites par Herriman entre août 1933 et mars 1934. Un hommage et une écriture fascinante de l’œuvre, publiée en 1934 aux éditions Saalfield publishing aux États-Unis, et en 2015 par Les Rêveurs pour l’édition française.
George Herriman, Krazy Kat et Ignatz Mouse à Koko Land (traduction Marc Voline), Éditions Les Rêveurs, 160 p., 20 €
…
Rendez-vous au prochain épisode. Soyez à l’heure.