Pornologie

Cultures pornographiques, dirigé et préfacé par Florian Vörös, rassemble des textes de théoriciens nord-américains travaillant dans le champ des porn studies, champ encore peu connu et pris en compte en France. Cette anthologie, qui présente la traduction de certains des textes importants de ce domaine d’étude, a donc l’avantage de faire connaître un point de vue sur la production pornographique qui rend possible d’en faire autre chose qu’un simple moyen d’excitation sexuelle ou un objet de dédain, voire de condamnation.

12166367_10207866961532071_888752621_nPour les auteurs rassemblés dans ce livre, il ne s’agit pas seulement de faire de la pornographie un objet d’analyse mais de voir en quoi la production de matériel pornographique – films, photographies, sites, cartes postales, etc. – peut être également révélatrice de dimensions plus larges. Les œuvres pornographiques sont ainsi mises « en rapport avec leurs contextes historiques de production, de diffusion, de consommation et de régulation », sont inscrites à l’intérieur de relations et de domaines auxquels elles se rattachent ou peuvent être rattachées, dont elles sont le catalyseur et le révélateur. Il est d’autant moins question, pour les auteurs, de faire de la pornographie un objet à étudier que cet objet n’existe pas en soi, la production pornographique étant de fait très diverse, autant dans ses supports que dans ses genres, dans ses moyens que dans ses intentions, tout ceci variant de plus selon les époques et les contextes. Si les objets d’étude sont donc divers, ils le sont d’autant plus que les angles d’approche et les présupposés des différents auteurs ne se présentent pas selon une méthode unifiée, développant au contraire des points de vue et partis-pris eux-mêmes différents.

Le but n’est pas de réhabiliter le porno, d’en inscrire les œuvres au panthéon de la culture (idée qui de toute façon n’aurait pas grand sens). Il s’agit d’abord de sortir d’un cadre à la fois moralisateur et élitiste revenant à ne voir dans les objets de consommation populaires, et a fortiori lorsqu’il s’agit de pornographie, qu’un grand vide qui n’aurait aucun intérêt intellectuel. Le présupposé commun des textes qui composent le livre est qu’il n’est pas nécessaire ni suffisant de réduire la production et la consommation de pornographie à un problème social (exploitation, dégradation, misère d’une forme de sexualité, pauvreté artistique, etc.) pour pouvoir en dire quelque chose. Il s’agit de considérer la pornographie comme une forme culturelle plurielle et complexe, qui dit déjà quelque chose non seulement du monde de la pornographie et de ceux qui s’y rattachent (producteurs, acteurs, consommateurs), mais de nous : notre histoire, notre culture, notre société, notre rapport au corps, à la sexualité, notre politique, nos hiérarchies, etc. : « Et il se trouve que la pornographie a beaucoup à dire. Il faut s’y intéresser, parce qu’elle n’a de cesse de parler de nous, des racines de notre culture et des recoins les plus obscurs de notre subjectivité. Il ne s’agit pas que de friction et de corps dénudés : la pornographie a de l’éloquence. Elle a du sens, elle porte des idées ».

Les différents textes proposent ainsi une série de décadrages qui mettent en place une nouvelle épistémologie impliquant non seulement la délimitation de nouveaux champs d’étude mais aussi la définition d’un nouveau sujet connaissant à partir des effets corporels (plaisir, dégoût, etc.), un sujet incarné et charnel, sexué et sexuel. Les porn studies n’ont pas seulement le corps comme objet d’étude : elles impliquent l’incarnation du chercheur, la place active de son corps, de son sexe, de son genre, de ses plaisirs, de sa sexualité dans le processus même de connaissance – incarnation posée comme un prérequis de l’étude mais aussi comme ce sur quoi l’étude conduit à s’interroger.

Si les porn studies apparaissent de manière privilégiée et conflictuelle au sein de la réflexion et action féministes – réflexion et action elles-mêmes plurielles –, elles embrassent également d’autres questions qui peuvent d’ailleurs, à des degrés et selon des modalités différents, croiser les problématiques féministes : hiérarchies et identités sociales et sexuelles, dimensions politiques de la sexualité, « races » et racisme, questions esthétiques, internet, etc. Ce sont ces questions multiples, complexes qui traversent les différents articles rassemblés dans ce livre et qui mettent au jour des idées et pistes de réflexion surprenantes autant que fécondes.

Cultures pornographiques – Anthologie des porn studies, dirigé par Florian Vörös, éditions Amsterdam, 2015, 320 pages, 23 €.
Le livre réunit des contributions de Laura Kipnis, Richard Dyer, Susanna Paasonen, Linda Williams, Kobena Mercer, Heather Butler, Lisa Sigel, Sharif Mowlabocus, Clarissa Smith, Feona Attwood, Martin Baker.

Lire la préface du livre rédigée par Florian Vörös

Le site des éditions Amsterdam