Nobel de littérature 2015 : Svetlana Alexievitch

Son nom vient de tomber, officiel cette fois, en direct sur le site du Nobel. Svetlana Alexievitch succède à Patrick Modiano, lauréat 2014. Le Nobel lui est attribué pour « pour son œuvre polyphonique, mémorial de la souffrance et du courage à notre époque ». Elle est publiée en France chez Actes Sud.

Son dernier livre traduit en date, La Fin de l’homme rouge, avait reçu le prix Médicis étranger 2013 (Lire un n extrait ici). Inlassablement, il s’agit pour Svetlana Alexievitch, qui fut journaliste, de dire « l’histoire des émotions, de l’esprit, de l’expérience humaine » et, à travers des textes souvent polyphoniques, de « sculpter son époque ». De mettre en valeur une parole que les autorités voudraient étouffer. De livrer des récits qui sont des témoignages politiques. En décembre 2013, Svetlana Alexievitch déclarait, sur RFI, pour expliquer cette « encyclopédie du temps » qu’est La Fin de l’homme rouge :

« Je suis protégée par le fait que je sois connue. Malgré tout, je dis ce que je crois nécessaire de dire. Malgré tout, j’écris ces livres. Que ça plaise au pouvoir ou non. Et je sais qu’il y auront toujours des gens qui vont les lire, pour qui ce sera un soutien. Aujourd’hui, il est très important de soutenir les gens. Ils viennent me voir à Minsk et me disent « Cela compte pour nous que vous soyez là, avec nous. Que vous parlez, que vous pouvez parler » ».

Et, à propos de l’interdiction de ses livres en Biélorussie : « Tous mes livres y sont interdits. Aujourd’hui (car Loukachenko flirte de nouveau avec l’Europe), mes livres qui sont sortis en Russie ont été emmenés en Biélorussie, mais… Ma fille qui est professeure dans une école a un salaire de 300 euros. Mon livre coûte 30 euros. Donc, c’est aussi un moyen [de censure, ndlr]… Mais les gens en achètent un à plusieurs, et se le passent ensuite. Mon lectorat principal, les enseignants, les médecins, les représentants de l’intelligentsia sont aujourd’hui la partie la plus pauvre de la société. »

Alors, elle donne la parole aux hommes : « Dostoïevski écrivait dans son journal qu’un mystère le tourmentait : « combien y-a-t-il d’humain dans l’homme ». Pour moi c’est aussi important. Je me suis dit que c’était la mission d’un écrivain : construire l’homme. Construire ce qui renforce son esprit, ce qui lui parle du danger pour cet esprit. C’est ce monde dans lequel on vit et qui change sans cesse. »

On retiendra aussi La Supplication, Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse un livre traduit en dix-sept langues (et toujours) interdit en Biélorussie –, dans lequel des hommes et des femmes racontent leur calvaire après la catastrophe nucléaire. Et tous les livres de Svetlana Alexievitch d’ailleurs. C’est une œuvre exceptionnelle que le Nobel — qui avait cette année « un visage de femme » — vient de couronner.