« Fin du monde, fin du mois : même combat ! » scande la jeunesse engagée dans les  mobilisations pour le climat. Ce slogan bien ficelé révèle un malaise théorique, une difficulté philosophique : la compatibilité entre l’amélioration du niveau de vie et la protection de la planète. Alors que la révolte des Gilets Jaunes a mis en lumière le possible antagonisme entre la préservation du climat et l’intérêt des classes populaires, la gauche se questionne : comment concevoir une articulation convaincante entre écologie politique et amélioration des conditions matérielles des classes laborieuses ?

Voici un magazine assez magnifique, très chatoyant aussi et qui porte bien son enseigne à la John Lennon. Il se réclamait du parti Écolo à l’origine puis en garda l’esprit tout en prenant quelque distance envers ce parti. C’est en ce sens que la couverture de ce bimestriel porte fièrement trois surcharges : DEMAIN LE MONDE ; la triade ÉCOLOGIE / SOCIÉTÉ / NORD-SUD ; et la mention quelque peu énigmatique SLOW PRESS (est-ce la formule employée à propos d’un vin à pression lente ou bien est-elle d’un journal à parution peu pressée — mais stressée néanmoins ?).

À l’occasion de la rencontre « Le climat, récits et imaginaires » avec Marie Darrieussecq, Philippe Rahm et Dominic Thomas, modérée par Jean-Max Colard, qui s’est tenue à la Villa Gillet le mercredi 9 mars 2022 à Lyon, le Directeur du Département des Études françaises et francophones, Université de Californie-Los Angeles (UCLA), Dominic Thomas, nous propose ce texte sur les liens entre climat et littérature.

Le vif et puissant Coup d’état climatique de Mark Alizart vient de paraître en poche, réflexion remarquable et tonique sur les questions climatiques, et en particulier celle de l’usage politique du réchauffement climatique, un carbo-fascisme qui consume nos sociétés. À l’occasion de cette sortie en poche chez Alpha, Diacritik republie l’entretien que Mark Alizart avait accordé à Johan Faerber

Le capitalisme est un extractivisme : si ce fait semble aujourd’hui une évidence dès lors qu’il s’agit de matières premières et de ressources naturelles, il est désormais documenté du côté de nos données personnelles et de ce que Shoshana Zuboff nomme L’Âge du capitalisme de surveillance qui paraît en poche chez Zulma. Extraire et analyser des data permet de prévoir (et modifier) nos comportements, notre vie sociale, nos émotions et nos votes. Cette industrie opaque menace nos libertés et nos démocraties, dans une forme d’indifférence radicale. Il s’agit donc ici de décrypter les mécanismes et rouages d’une nouvelle logique capitalistique, d’offrir la « cartographie d’une terra incognita ».

Le livre de Patrice Maniglier, Le Philosophe, la Terre et le Virus. Bruno Latour expliqué par l’actualité, se situe à l’intersection de deux sous-genres : d’une part, la reprise systématique d’une parole qui, quoique théorique, ne rendait pas explicites toutes ses articulations conceptuelles (c’est l’opération platonicienne sur Socrate) ; d’autre part, la confrontation d’une philosophie à un événement d’actualité, comme le firent Derrida et Habermas avec le 11 septembre, Badiou avec l’élection de Sarkozy ou Kant avec la Révolution française.

Dans son livre La conspiration des enfants, essai pour les périodes asphyxiantes et les peuples qui manquent, Camille Louis nous place tout de suite dans un grand écart entre plusieurs lieux toxiques, entre la Grèce, la France, la Grande-Bretagne et l’Amazonie, entre incendies ravageurs, cendres toxiques, autant de migrations forcées et indispensables que d’enfermements réels et imaginaires. Ce n’est pas seulement un déplacement dans l’espace, mais aussi dans le temps, bien plus large que les quelques dates indiquées au fil du récit.

Il faut décidément oublier Houellebecq et se précipiter sur Partout le feu, formidable premier roman de la jeune Hélène Laurain qui paraît ces jours-ci chez Verdier. On est à rebours même de Houellebecq tant Partout le feu est l’antidote idéal au bavardage réactionnaire et la sclérose littéraire. Flamboyant récit au bord de l’apocalypse écologique, Partout le feu brosse le portrait de Laetitia, militante contre les déchets nucléaires au sein d’un groupe d’activistes décidés à mettre fin à la destruction capitaliste de l’écosystème. C’est le portrait d’une « génération Tchernobyl » qui se donne ici avec grâce et violence dans un contre-récit inouï. Autant de raisons pour Diacritik de partir à la rencontre de la romancière le temps d’un grand entretien.

Devant l’aggravation de la situation climatique, devant la marche forcée de la sixième extinction, devant l’impuissance et la dispersion de l’écologie politique se pose la question pressante d’une « écologie littéraire ».  Débrouiller cette question exige un état des lieux : pendant que le monde brûle, que fait la littérature ? Que font les études littéraires ? Que devient l’écopoétique ? Ces questions sont au centre des revues LHT et Acta qui viennent de paraître sur Fabula.

Stimulant, novateur et indispensable pour qui veut penser l’écologie : autant de qualificatifs qui affirment ici l’enthousiasme de lecture qu’offre L’Ange de l’Histoire : Cosmos et technique de l’Afrofuturisme que Frédéric Neyrat vient de signer aux décidément passionnantes éditions MF. De manière profondément originale, Neyrat jette ici les fondements d’une pensée écologique qui, au-delà de Bruno Latour, se saisit de l’Afrofuturisme, de son imaginaire et de sa puissance politique pour repenser l’écologie. Et si l’écologie était le signe du refus d’une révolution copernicienne ? L’écologie pense-t-elle notre rapport au cosmos ? Accepte-t-elle l’étranger ou reconduit-elle l’anthropocène qui se fonde sur l’esclavage et le meurtre des femmes et des hommes noirs ? L’écologie, pour s’affirmer, doit-elle prendre en charge la question de la race comme l’y invite l’Ange Noir de l’Histoire ? Autant de questions brûlantes que Diacritik est allé poser à Frédéric Neyrat le temps d’un grand entretien.

« J’ai commencé́ à m’intéresser aux cartes quand j’ai compris qu’elles n’entretenaient que des rapports lointains avec le réel », écrit Philippe Vasset dans son Livre blanc, en 2007. Sans doute peut-on partir de ce paradoxe initial pour tenter une approche de la Cartographie radicale dont l’historienne Nepthys Zwer et le géographe Philippe Rekacewicz nous offrent de passionnantes Explorations dans un superbe livre, récemment publié aux éditions Dominique Carré/La Découverte.

Indéniablement, Antoine Wauters signe avec Mahmoud ou la montée des eaux un des très grands romans de cette rentrée littéraire, couronné aujourd’hui par le prix le plus pointu de la saison d’automne, le prix Wepler. Véritable splendeur de langue, bouleversante épopée d’un homme pris dans plus d’un demi-siècle d’histoire de la Syrie, chant nu sur la nature qui tremble devant l’humanité et sa rage de destruction : tels sont les mots qui viennent pour tâcher de retranscrire la force vive d’un récit qui emporte tout sur son passage. Rarement l’histoire au présent aura été convoquée avec une telle puissance et une grâce qui ne s’éprouve que dans un déchirement constant. Diacritik republie l’entretien qu’Antoine Wauters avait accordé à Johan Faerber.

« Les entités vivantes supérieures n’étaient même plus des organismes : c’étaient des coalitions, des associations, des parlements » cette phrase extraite du dernier roman de Richard Powers, Sidérations, pourrait être un commentaire du Fleuve qui voulait écrire, collectif qui vient de paraître. Le livre rassemble les auditions du parlement de Loire dont Camille de Toledo assure la « mise en récit ». Questionnement de nos liens au vivant et de la personnalité juridique des non humains, Le Fleuve qui voulait écrire est une nouvelle syntaxe des lieux et des êtres, la grammaire d’entrelacements qui modifient nos regards et nos représentations.

Dans un grand entretien, et au nom du Parlement de Loire, Camille de Toledo a accepté de répondre aux questions de Diacritik pour nous présenter cette autre Vie nouvelle, à l’échelle des écosystèmes, qu’est Le Fleuve qui voulait écrire. À l’origine du collectif, il a animé les auditions du parlement avant de mettre en récit les voix plurielles déployant une interrogation essentielle portée par Loire : « Et si les entités naturelles, rivières, montagnes, forêts, océans, glaciers et sols… étaient, à force d’exploitation, de prédation, en voie d’inventer leur grammaire, exigeant leur représentation ? »