« C’est un livre et puis c’est tout ». C’est ainsi qu’Alice Zeniter conclut le « préliminaire » de Toute une moitié du monde après avoir annoncé que ce ne serait ni un essai ni une « rêverie », terme qui sans renvoyer à un genre codifié comme l’essai, ne convient pas plus à ce qu’elle nous propose. De même, Sylvia P. d’Ananda Devi n’est ni une biographie, ni un roman, ni un essai sur la poétesse Sylvia Plath mais tout cela à la fois. Bref, ce sont deux livres et puis « c’est tout ». C’est effectivement « tout », tout ce qui concerne la littérature : la lecture et l’écriture, le réel et la fiction. Ces deux lectrices-écrivaines, écrivaines-lectrices nous offrent deux livres hybrides tout aussi passionnants l’un que l’autre.

Je suis une fille sans histoire : le titre du dernier livre d’Alice Zeniter est un slogan, et on lui espère le même destin que le « on ne naît pas femme, on le devient » de Beauvoir. La volonté de changer les cadres est, à quelques décennies d’écart, la même : déconstruire la représentation que nous assignent culture et société (ce devenir tout tracé qui est carcan) et, chez Zeniter, prendre à bras le corps le récit et la langue pour déranger les places (ou l’absence de place) qu’ils imposent à des catégories invisibilisées, dans et par le discours. Je suis une fille sans histoire, donc, exclue des histoires littéraires comme des grands récits, je suis une fille qui a pourtant une histoire, peut et sait l’écrire, et revendique de la faire entendre.

L’Art de perdre d’Alice Zeniter (Flammarion) est un pavé de plus de 500 pages dont on se demande, après les premières pages, comment on va en venir à bout, tant ce qui est raconté nous est familier. Et pourtant on y parvient grâce à une accélération du récit dès la seconde partie du roman et à l’envie de discuter avec la romancière de ses choix et de ses objectifs ; l’envie aussi de ne pas en rester aux phrases toutes faites qui accompagnent les notes de lecture, dans la « bien-pensance » sur la guerre d’Algérie.