Célia Houdart : Des flingues et des roses (Les Fleurs sauvages)

Célia Houdart © Hélène Bamberger/P.O.L

Ces fleurs sauvages qui donnent son titre au nouveau roman de Célia Houdart, ce sont d’abord celles des Alpes suisses et de la Haute-Provence qui en forment le cadre – un cadre auquel la romancière donne toute son importance, tant ses personnages semblent imprégnés, déterminés presque par cette nature montagneuse. Mais les « fleurs sauvages », ce sont surtout les jeunes gens qui en sont les protagonistes principaux : Milva tout d’abord, lycéenne qui cherche sa voie entre la pratique assidue du dessin et les balades en montagne avec son ami Sam, les allers-retours entre la maison de son père où elle vit en Suisse, et celle de sa mère Irène, qui sillonne les routes de la région de Manosque et de Forcalquier au volant de son taxi. Mais aussi Théo, son demi-frère, versant plus sombre d’une sauvagerie qui se solde dans les affaires toujours plus louches grâce auxquelles il gagne sa vie.

Si l’élan de la jeunesse, sa liberté, sa quête insatiable des possibles de l’existence était déjà au cœur de certains livres de Célia Houdart – Le Scribe, Carrare, Le Patron… –, la singularité des Fleurs sauvages tient notamment à la présence d’une véritable bande-son qui rythme la narration, ponctuée de titres très variés, d’une chanson du groupe de hard rock FM Guns N’Roses (alliance des armes et des roses qui sied parfaitement au contenu du livre) à une pièce du compositeur Olivier Maessien, dont on sait la passion pour les éléments naturels, tout particulièrement les chants d’oiseaux. Cette bande-son éclectique donne au roman une puissance évocatrice singulière et une dimension quasi cinématographique. « Tout devenait image, élément scénarisé », note la narratrice à propos de Milva, qui a l’habitude de se promener avec un casque sur les oreilles : « elle composait une playlist en pensant aux ambiances que lui inspiraient, au gré des saisons et de sa propre humeur, les paysages qu’elle s’apprêtait à traverser. »

Les existences que l’autrice dessine dans Les Fleurs sauvages apparaissent toute prises dans une forme de précarité, qu’il s’agisse des problèmes économiques auxquels font face les parents divorcés de Milva, obligeant sa mère Irène à transformer sa Peugeot 308 en taxi conventionné. Ou, plus profondément, du trouble affectif dans lequel tous et toutes semblent peu ou prou plongé.e.s. Car chacun des personnages est saisi dans un moment d’instabilité, introduit par un élément extérieur (une rencontre amoureuse ou amicale) ou intérieur (telle la révélation d’une vocation pour le dessin chez Milva). Pour Théo, le demi-frère, la bifurcation prend des allures singulièrement dangereuses, car ses combines l’ont amené à prendre des risques démesurés, mettant sa vie en péril. Les termes « État islamique » ou « narcotrafiquant » s’invitent ainsi dans la narration, résonnant étrangement sous la plume toujours si délicate de Célia Houdart – une délicatesse dont elle ne se départit d’ailleurs pas, même lorsqu’il s’agit de parler de trafics et de rixes. À l’exemple des dessins de Milva, esquisses faites de peu de traits, vifs et rapides, la langue de Célia Houdart touche juste et vite, avec une grande économie de mots. Elle s’attache à capter le bruissement du monde et sonder le mystère des êtres, mais sans intrusion aucune, son art de l’esquisse manifestant un rapport délicat et attentif au monde, êtres, animaux aussi bien qu’objets ; sa prose semble comme mue par un désir de réconciliation, quelque chose comme le partage d’une amitié douce et sensible qui allégerait les vicissitudes des existences.

Célia Houdart, Les Fleurs sauvages, éditions P.O.L, janvier 2024, 208 p., 19 € — Lire un extrait