Septembre 1991, j’ai quinze ans et sort le single Smells Like Teen Spirit que je vais écouter en boucle pendant des mois, ainsi commence ma période Nirvana. Le morceau ne touche d’abord que certaines parties des États-Unis, notamment le nord-ouest du pays, dans lequel Nirvana est déjà connu. La véritable montée en puissance du titre sur la scène nationale et internationale se fera par le biais de la diffusion du clip sur MTV le 14 octobre. À partir de cette date, la chanson voit sa popularité croître de manière exponentielle et se propulse au 6e rang du Billboard 100, ainsi que dans la plupart des Top 10 des classements européens.
Le tournage du clip a lieu le 17 août 1991 dans un studio de Culver City, près de Los Angeles. Des dizaines de scènes sont tournées mais cela prend beaucoup plus de temps que prévu. Les figurants, pour la plupart de jeunes fans de Nirvana profondément rebelles et antisystème, s’impatientent au fur et à mesure que les heures passent. La chaleur est insoutenable et les musiciens, le réalisateur comme public n’ont qu’une idée en tête : rentrer chez eux. Les adolescents, encouragés par Kurt Cobain, décident alors au beau milieu d’une prise de saccager le décor et de se lancer dans un immense pogo. Toute une époque…
Cette tournure des événements complètement spontanée se ressent dans le clip. L’idée originelle du frontman était en fait que les étudiants kidnappent le proviseur du lycée et le brûlent vif dans le gymnase. Du fait de l’improvisation destructrice du public, le réalisateur Samuel Bayer a dû faire avec les images qui lui restaient. Cobain s’impliquera également beaucoup dans le montage de la vidéo en ajoutant y quelques plans.
Juin 2021, je suis en train de réaliser des petits films pour la prochaine campagne Aides, là il s’agit d’un film avec Charlotte Rampling et une voix off d’Isabelle Adjani sur un texte de Paul Maheke, ça s’appelle « L’année où j’ai arrêté de faire de l’art ». J’avais lancé un mois plus tôt un appel sur les réseaux sociaux : « Amis ou inconnus, venez me rejoindre tel jour à telle heure dans les jardins du Palais Royal, je vous filmerai assis sur une chaise devant la grande vasque, vous n’aurez rien à jouer, je cherche seulement à filmer le visage du Monde ». Des amis viennent, et quelques inconnus dont lui, Kessada, deux mètres, chapeau, grand sourire gentil. Nous parlons un peu, amitié at first sight.
Juillet 2021, les petits films Aides sont tournés et diffusés, nous nous donnons rendez-vous avec Kessada, l’idée est de faire plus ample connaissance. J’apprends qu’il est chanteur, il me fait écouter des choses, je suis impressionné par sa voix et ses compositions.
Mars 2022, Kessada vient de faire une reprise de Smells Like Teen Spirit, ma chanson d’adolescence, j’écoute, j’aime beaucoup, nous en parlons et de fil en aiguille on décide que je réaliserai le clip. Je réfléchis, comment filmer Smells Like Teen Spirit en 2022 ? Le grunge n’est plus mais je veux croire que quelque chose de cette rage persiste encore dans l’angoisse et la mélancolie de la société actuelle. Je pense à Versailles. Il se trouve que j’ai travaillé à Versailles pendant quelques mois, et même si je fus touché par la beauté des lieux combien de fois ai-je eu envie de dynamiter, faire exploser cette immuable institution ! Je décide que nous tournerons là-bas, dans un Versailles désert, proustien : « Versailles, grand nom rouillé et doux, royal cimetière de feuillages, de vastes eaux et de marbres, lieu véritablement aristocratique et démoralisant, où ne nous trouble même pas le remords que la vie de tant d’ouvriers n’y ait servi qu’à affiner et qu’à élargir moins les joies d’un autre temps que les mélancolies du nôtre. »
Kessada revient d’une tournée aux États-Unis, une tournée anglaise aura lieu du 9 au 14 juillet 2022, et voici que, le 1er juillet, sort le clip de Smells Like Teen Spirit ici en avant-première :