Sylviane Coyault s’entretient avec Stéphanie Hochet et Akira Mizubayashi dans le cadre du festival Littérature au Centre 2021, cette année en ligne en partenariat avec Diacritik. Une édition centrée sur « Littérature et animal ».
Stéphanie Hochet, vous aimez les chats, mais vous chassez aussi l’aurochs : vos lecteurs s’enfouissent alors dans les labyrinthes des ambiguïtés humaines. Akira Mizubayashi, vous avez vécu une passion – endeuillée/marquée par la mort – pour votre chienne Mélodie, mais vous êtes à l’affût de chaque instant de présent et de présence, quitte à saisir alors dans l’humain son insoutenable légèreté.
Stéphanie Hochet, votre dernier roman, Pacifique (Rivages, 2020), nous mène dans l’intense intimité d’un kamikaze : la subtilité et la tension de votre style décortiquent, en une plongée à-pic et sans retour, la conscience d’une homme qui livre son combat contre lui-même et le monde qui l’a façonné. Mais nous nous intéresserons principalement avec vous ici à deux autres de vos ouvrages : L’éloge voluptueux du chat (Philippe Rey, 2018), abécédaire culturel éclectique où vous traquez les mille visages du chat sous forme de promenade dans la littérature, le cinéma, l’histoire, la musique, etc… ; et à L’animal et son biographe (Rivages, 2017), roman dans lequel une auteure en tournée de rencontres littéraires et promotionnelles dans le Lot se retrouve à faire la biographie d’un animal préhistorique ressuscité par un politicien à la pensée et aux manières fascinantes mais fascisantes.
Akira Mizubayashi, vous êtes japonais, mais vous avez fait le choix existentiel, philosophique et stylistique d’écrire en français car pour vous la langue est le reflet de l’âme (Une langue venue d’ailleurs, Gallimard, 2013). L’âme humaine, vous la dépliez dans des romans sensibles, en un style qui touche à l’évidence : en témoigne votre dernier très beau roman, Âme brisée (Gallimard, 2019). La vérité de l’âme, ce peut être aussi pour vous la communion entre un homme et son animal : dans Mélodie, chronique d’une passion (Gallimard, 2013) qui nous retient ici, vous relatez les moments sensibles et les pensées qui sont nées de votre vie avec votre golden retriever.
Nous vous proposons de croiser cet entretien car bien des approches vous sont communes : une attention sensible à l’animal ; la part légendaire attachée à celui-ci ; la capacité que l’animal a de faire ressurgir les fantômes ; l’influence qu’il peut exercer sur l’acte même d’écrire ; ce que l’animal dit de l’homme philosophiquement et moralement. Tous deux vous portez un regard sensible, narratif, philosophique et de moraliste sur le rapport de l’homme avec l’animal. Mais vos discours, vos styles, vos fins narratives sont singuliers et propres à chacun. Au lecteur de vos livres, et de cet entretien, de découvrir la drôle de chimère qui surgira de la confrontation de vos paroles.
Certains n’aiment pas les animaux, les craignent : en quoi vos livres sont aussi pour eux ? Pensez-vous qu’écrire sur l’animal est une démarche littéraire qui vous place d’une certaine façon à la marge dans le champ culturel ?
S.H. : L’animal est un impensé en littérature mais un impensé qui est devenu sujet de réflexion depuis récemment. Les auteurs ont invité les animaux dans leurs créations depuis longtemps – Genevoix a écrit des pages sublimes dans Tendres bestiaires mais aussi dans Ceux de 14 sur les chevaux par exemple, Colette est l’une des plus grandes et ses œuvres fourmillent de chats, chiens et de toute une communauté non-humaine présente dans son jardin – mais le regard actuel a changé. Nous sommes de plus en plus nombreux à nous interroger sur la place de l’animal dans nos vies, dans la société et ce que cette place implique de décisions morales. J’ai tendance à penser que ce ne sont pas tant les sujets qui attachent les lecteurs à un écrivain mais plutôt son écriture, son souffle, sa voix. Moi qui me promène dans les pays, les époques et les sujets, j’aurais pu perdre mes lecteurs, ce n’est pas ce qu’il s’est passé. Je ne sais pas si j’écris pour tel lecteur ou tel autre (par exemple ceux qui « n’aiment pas les animaux »), je pense que l’animal peut devenir un matériau littéraire fascinant. À l’auteur de prouver que l’animal recèle un univers d’altérités passionnant.
A.M : Mélodie, chronique d’une passion est un livre sur la vie et la mort d’une chienne avec qui j’ai passé douze ans de ma vie. Mais, bien évidemment, il ne s’agissait pas seulement d’écrire la biographie de Mélodie. Il s’agissait d’évoquer les rapports qui s’étaient tissés entre elle et moi, rapports révélateurs, à bien des égards, de la spécificité de ce que nous sommes, nous les humains, pour le meilleur et pour le pire, en tant qu’être parlant et pensant. Mélodie est donc aussi un livre sur l’existence humaine autant que sur ce que j’ai cru percevoir de l’existence animale à travers l’observation des attitudes, des gestes, des expressions, des gémissements, des regards souvent si expressifs de Mélodie. J’ai voulu le signaler dès le début de mon livre : attention, ce n’est pas un livre sur ma chienne comme vous pouvez vous y attendre… Vous risquez d’être déçu… C’est la raison pour laquelle j’ai placé de-ci de-là des extraits d’un journal fictif intitulé « Fragments échappés du portefeuille du compagnon d’une chienne ». Le titre fait référence aux Fragments échappés du portefeuille d’un philosophe (1772) de Diderot, un auteur que j’aime et admire. On en compte sept en tout : ce sont autant de moments où le récit fait place au discours réflexif. Le premier « Fragment » placé au début du livre, tout de suite après le (premier) récit de la mort de Mélodie, évoque seulement la mort de mon père survenue quinze ans auparavant. C’est ainsi que j’ai envoyé au lecteur un signe clair comme quoi le livre qu’il a commencé à lire n’était pas exclusivement destiné aux amateurs de chiens. J’ai eu, en 2013, l’occasion de m’entretenir avec Antoine Perraud au sujet de Mélodie, chronique d’une passion dans son émission de France Culture : « Tire ta langue ». Il m’a fait alors part de son sentiment peu favorable à l’égard de la gent canine et du fait que mon livre avait changé quelque peu son regard sur elle. Mon objectif était atteint… Je dirais donc que Mélodie est un livre sur Mélodie et pour Mélodie, mais pas seulement. Cela dit, écrire sur l’animal est un geste qui ne me fait pas peur surtout en France où la question animale a une portée philosophique considérable depuis surtout la parution du Silence des bêtes d’Élisabeth de Fontenay avec qui, d’ailleurs, j’ai eu le plaisir de m’entretenir au sujet de Mélodie dans son émission de France Inter : « Vivre avec les bêtes ». Certains des auteurs les plus importants abordent la question animale à commencer par Jacques Derrida et Jean-Christophe Bailly. Par ailleurs, Mélodie, chronique d’une passion a eu la chance d’être publié dans la collection « L’un et l’autre » du regretté J.-B. Pontalis, qui, ayant eu lui-même des relations intenses avec des chiens, ne marginalisait pas du tout la question animale. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles Jibé a accueilli Mélodie à bras ouverts. Je me souviens qu’il plaçait, dans son émission de France Inter « Rencontres de J.-B. Pontalis » (2012), sa rencontre avec ses chiens avant sa rencontre autrement décisive avec des philosophes et des psychanalystes comme Lacan et Freud…
Vous décrivez la fascination que l’animal exerce sur les humains par l’exaltation du corps ; il y a une forme de plaisir à contempler à travers l’animal une existence dans sa pureté, et cette contemplation semble trouver son aboutissement dans l’art, musique, peinture, écriture. De quels ordres sont, pour vous, les plaisirs esthétiques liés aux animaux ? Et n’y a-t-il pas la tentation pour l’écrivain du récit fondateur d’un Paradis perdu ?
A.M : L’exaltation du corps me ramène immédiatement aux pages que j’ai consacrées à la première sortie de Mélodie. Le spectacle de la course et de la danse qu’elle m’a offert avec son frère Octave est un des plus beaux souvenirs de ce que peut être un corps en liberté. D’une manière plus générale, ce fut pour moi un plaisir inégalable de contempler, d’observer les gestes et les mouvements de Mélodie qui étaient l’expression fidèle de son émotion de chaque instant, émotion qui n’était pas contaminée, si j’ose dire, par la réflexion qui est le sort des humains pour le meilleur et pour le pire… Je ne sais pas s’il s’agit d’un paradis perdu. Je ne le pense pas. En tout cas, je n’y avais jamais songé. Ce que Mélodie me rappelait sans cesse, c’était l’idée kudérienne de la faillite fondamentale de l’homme que j’ai évoquée dans le chapitre intitulé « Mélodie et son compagnon ».
S.H. : Il y a deux choses : le corps et l’esthétique. Elles sont différentes. Le corps est ce que nous avons clairement en commun avec l’animal. Il a été dénigré depuis 2000 ans et nul doute que nos malheurs se sont multipliés en le méprisant. Le corps possède son intelligence, c’est un merveilleux outil pour sentir, comprendre le monde. Le rapport à l’animal passe presque toujours par un contact avec son corps – avec la caresse dans le meilleur des cas. C’est ce qui fait le lien entre l’amoureux et l’animal. Il faut toujours rappeler que nous sommes des animaux. Personnellement, j’en suis parfaitement consciente et fière.
Une des merveilles de l’humanité, c’est sa capacité à rendre hommage à la beauté. La beauté des animaux est exaltée dans la grotte de Lascaux (j’en parle dans L’Animal et son biographe), elle fut l’inspiration des premiers artistes de génie. Dans l’histoire, l’homme a observé son environnement et l’animal a été à la source d’un sentiment esthétique. Cela dure mais cette admiration a connu des hauts et des bas. Aujourd’hui, des écrivains, des artistes redécouvrent cette fascination. Est-ce parce que nous sommes au début d’une nouvelle grande disparition des espèces ? C’est possible.
Dans vos œuvres, l’animal a partie liée avec la mort, les fantômes, « l’histoire fabuleuse d’une civilisation ignorée » (Akira Mizubayashi, Mélodie, p. 71), les légendes : comment l’animal peut-il révéler cette sorte de part manquante, cachée, ténébreuse ?
S.H. : La racine du mot animal est la même que celle de l’âme : « anima ». Les civilisations sont nées en fantasmant leurs origines et souvent l’animal prenait une grande part dans ce récit collectif. Romulus et Remus élevés par la louve, les dieux égyptiens à tête d’animal et au corps d’homme etc. L’animal a une présence ancienne et presque inconsciente en nous. Il n’y a pas si longtemps, nous vivions dans une plus grande proximité avec eux. Aujourd’hui, il n’y a presque plus que les animaux domestiques qui entrent dans nos univers mentaux, mais n’a-t-on pas la nostalgie d’une époque où nous côtoyions d’autres êtres sensibles ? Pour moi, l’écriture est une façon de renouer avec ce charme ancien.
L’animal que je crois connaître un peu à travers Mélodie me fait prendre conscience de ce que l’homme a perdu à jamais, ce qui est mort en l’homme, ce qui était vivant avant la socialisation de son être en tant qu’être parlant. C’est peut-être ce que vous appelez la part manquante. Une des fonctions de l’art — la littérature, la musique, la peinture, le cinéma — consiste peut-être à faire percevoir cette part manquante de l’homme. Dans Mélodie, chronique d’une passion et, en particulier, dans le septième des Fragments, j’ai présenté une réflexion personnelle en la centrant autour de la conception éliasienne de la civilisation. Je dis à propos de l’art de la tromperie inhérente à l’habitus de l’homme civilisé : « La littérature apparaît alors comme une machine à déjouer la dissimulation et le mensonge ». Et sont convoquées quelques œuvres classiques dont l’œuvre de Rousseau. Mais le cinéma n’est pas oublié : dans le chapitre intitulé « Mélodie et son compagnon » qui précède le septième Fragment, des films inoubliables défilent : Chaplin, Kurosawa, Lang. Quant à la peinture et à la musique, je dirais tout simplement que l’ensemble des pages de Mélodie est placé sous le signe de Goya (Le chien) et de Mahler (Neuvième symphonie) comme vous pouvez le constater sur la couverture de l’édition « L’un et l’autre ». Dans ma vie, le rôle pleinement joué par Mélodie pendant douze ans l’est aujourd’hui par l’ART parce que, justement, je crois y voir/entendre la fonction révélatrice de la part manquante.
Chez tous deux, il semble y avoir un moment de renversement : c’est l’humain qui devient le compagnon de l’animal. Ce dernier semble alors appeler l’écriture à la première personne. En quoi l’animalité peut être une porte sur l’écriture de l’intimité ?
S.H. : Rien de plus animal que l’intimité, rien de plus intime que l’animalité. Le mérite de l’animal est de nous emmener loin de nos singeries sociales, on oublie les artifices de la vie humaine pour retrouver une part enfantine en soi. Dans Pacifique, c’est ce qu’expérimente le jeune Isao chez sa grand-mère quand il joue avec son lapin. Un moment de grâce dans la vie de ce futur kamikaze.
A.M : Oui, j’ai ce sentiment-là. Je fus le compagnon de Mélodie. Mélodie fut mon maître et moi son élève. Mélodie fut une sorte de miroir tendu vers moi dans lequel je pouvais me faire une idée de la part manquante. La seule manière de me représenter celle-ci était d’aller à son école, de devenir son élève, son compagnon. Mélodie est pour une large part un récit à la troisième personne. Mais depuis que j’ai achevé ce livre, un désir un peu fou est né : celui de raconter l’histoire d’un animal à la première personne comme si j’occupais la place d’un animal, comme si je parlais depuis un lieu particulier qui est celui de la part manquante. Le chien shiba que Rei Mizusawa, le personnage principal d’Âme brisée, rencontre par hasard après le drame initial est peut-être une manifestation de ce désir secret, comme on peut le voir dans le rapprochement que j’opère entre l’apparition de Momo et le célèbre conte populaire japonais sur la grue transformée en une jeune femme. Le désir de devenir animal est, comme dans Je suis un chat de Soseki d’une certaine manière, est le désir de dénaturaliser le monde des humains.
Vous explorez tous deux les sources culturelles et philosophiques qui fondent nos représentations de l’animal : les religions, les fables, Descartes et l’animal-machine, Rousseau, le cinéma, etc… En quoi de nouvelles représentations de l’animal sont à inventer pour aujourd’hui ?
A.M : Face à la crise profonde — peut-être insurmontable, car il semble que rien ne puisse arrêter la marche de l’humanité vers sa perte — à laquelle l’humanité est confrontée dans les multiples effets de la marchandisation du monde et des êtres (destruction des conditions d’existence de la vie, altération de l’être humain en tant qu’être à la fois biologique et moral sous l’effet inédit des technologies nouvelles immaîtrisables, inégalités aggravées qui entraînent l’effondrement de la possibilité même du vivre-ensemble, etc.), il faut inventer une manière de vivre radicalement différente de celle à laquelle nous sommes habitués, une manière nouvelle de concevoir le monde et notre rapport au monde et à autrui, une manière qui se soucie du commun, des biens communs. L’animal en tant qu’être doué de vie a une place importante dans cette nouvelle vision, me semble-t-il.
S.H. : En Occident, le problème a longtemps été l’obsession des penseurs à prouver que nous ne sommes pas des animaux – le paroxysme arrivant avec Descartes et sa théorie idiote de « l’animal machine ». Aujourd’hui, une conscience est née : celle d’une fraternité avec les espèces vivantes. Elle doit être encouragée. Les écrivains s’interrogent autrement aujourd’hui sur cette question. Michel Pastoureau a écrit des livres passionnants sur notre perception des animaux et le sens que ceux-ci ont eu dans notre histoire, et puis des romanciers se veulent de véritables défenseurs de la cause animale, je pense par exemple à Jean-Baptiste Del Amo et Camille Brunel, tous deux créateurs dans cette volonté de considérer l’animal non comme un objet mais un sujet.
Akira Mizubayashi, vous dites que « le réel est inatteignable » dans votre tentative d’écriture d’une scène fondatrice de rencontre avec un chien quand vous étiez enfant ; cette scène revient dans Âme brisée, avec un enfant qui vient de perdre tout repère : l’animal ancre dans la réalité et il échappe. Stéphanie Hochet, la taxidermie insuffle du fantastique dans votre récit, et votre personnage perd également tout contact avec sa vie normale. Pourtant, vous êtes aussi des romanciers du réel. L’animal vous semble-t-il être une porte d’entrée sur le réel ou au contraire une échappée vers l’imaginaire, plus ou moins libérateur d’ailleurs ?
S. H : L’animal a ce double rôle. Il peut devenir un fantasme, avoir un rôle dans le chamanisme (y compris celui du romancier) et il peut révéler nos obsessions – la taxidermie n’est-elle pas notre désir absurde de contrôler la nature ? Mais le contact avec l’animal est aussi, comme je le disais, la porte la plus directe à notre connexion avec le réel, avec le reste du monde vivant
A. M : Le réel est inatteignable, en effet. Mais l’ART tend vers le réel tout en sachant qu’il n’est pas atteignable. L’approche du réel, tel est l’objectif que je m’assigne quand j’écris. Sinon, pourquoi écrire ? Dans Mélodie, les chiens errants de mon enfance sont des images que j’ai gardées de ma rencontre avec l’animal nommé chien. Ils ont réellement existé, j’en suis sûr. Mais personne ne saurait dire le réel de ma rencontre avec eux, même moi qui suis pourtant à la fois le sujet et le témoin de cette rencontre. C’est là qu’intervient l’imaginaire, l’acte créateur, si j’ose dire.
Akira Mizubayashi, vous faites référence à Nietzsche qui s’effondre devant le cheval battu, et à Kundera pour qui le vrai test moral est envers les animaux puisqu’ils sont à notre merci. Stéphanie Hochet, vous montrez que votre pacifique et policée narratrice découvre en elle le plaisir sauvage de la chasse et la pulsion de tuer. Le chat révèle les mêmes ambiguïtés. Écrire sur l’animal, c’est faire œuvre de moraliste plus que de moralisateur ?
S.H. : Je n’aime pas le mot morale qui a une connotation religieuse. Je pense que notre égard envers l’animal révèle plutôt à quel degré d’humanité nous sommes arrivés. Nous sommes face à nous-mêmes dans la prise de conscience. Nous sommes des êtres de langage mais il existe d’autres langues non verbalisées, celles des animaux en font partie. L’animal ouvre notre monde, nous donne à voir l’immensité, la richesse de l’univers autour de nous. A chacun de saisir cette chance.
A. M : Je ne pense pas, je ne voudrais pas être moralisateur. En revanche, je ne refuse pas le qualificatif « moraliste » si l’on accorde à ce mot le sens de celui qui porte un regard critique sur les mœurs de son temps. Le travail de la littérature consiste à dénaturaliser ce qui paraît naturel, à rendre perceptible ce qui ne l’est pas au premier abord. L’animal peut nous conduire à adhérer à une telle conception de la littérature. C’est ce que j’ai profondément senti en écrivant Mélodie. À la fin de ce livre, aidé par Céline et Claudel mais surtout par Goya, je me tourne inopinément vers les animaux abandonnés ou sacrifiés de Fukushima. Cette irruption de Fukushima n’était absolument pas prévue dans mon plan initial. C’est le regard du Chien de Goya qui est entré en résonance avec celui de Mélodie. Et celui-ci, finalement, m’a emporté vers la zone dévastée de Fukushima pour m’obliger à prendre toute la mesure du MENSONGE de la politique actuelle. Et ça va très loin. Car je crois entendre les cris de douleur de ces animaux mais aussi des populations abandonnées de Fukushima derrière le faste des JO de Tokyo et les belles paroles débitées par les uns et les autres autour de cet événement mondial…