Pour réaliser cet article, je me suis appuyée sur ce que j’ai noté et observé lors de mes actions de bénévolat à Montpellier. J’ai également réalisé des entretiens téléphoniques avec une bénévole ayant aidé pour la préparation de colis livrés dans des squats et bidonvilles ainsi qu’avec une salariée du Secours Catholique.
J’écris cet article car mes valeurs s’entrechoquent en ces temps de confinement. Il me faut poser les choses.
Ces valeurs sont à la fois celles qui me poussent à aller aider, être solidaire, ne pas laisser des humains à la marge, sans nourriture, en danger sanitaire. Celles-ci me poussent donc à aller donner de mon temps, gratuitement, pour nourrir, aider comme je peux, là où je le peux. Mais d’autres valeurs me chuchotent à l’oreille que rien de tout cela n’est normal. Aider gratuitement oui, à titre personnel cela ne me dérange pas. Mais je me rends bien compte du problème économique, politique et social que cela engendre, que cela dénonce.
Ce sont bien des travailleurs (bénévoles) qui chaque jour, distribuent des petits déjeuners, portent de lourdes charges, remplissent des sacs de denrées, livrent des repas dans des centres d’hébergement d’urgence, s’exposent à des risques sanitaires. Tout travail mérite salaire qu’ils disaient, non ?
Ce sont 5,5 millions de personnes qui bénéficient de l’aide alimentaire en France. Et ce sont, selon les chiffres de Pôle Emploi qui ne sont pas exhaustifs, « en moyenne au quatrième trimestre 2019, en France métropolitaine, 5 442 900 personnes inscrites à Pôle emploi et tenues de rechercher un travail. »
Du travail gratuit et du chômage de masse ? Quelque chose m’échappe.
Lorsque je peine à utiliser mon transpalette, je pense aux jeunes du quartier du Mas de Mingue à Nîmes que j’ai accompagnés et qui, eux, ont toutes les compétences nécessaires en logistique pour utiliser ce matériel au mieux. Ils peinent pourtant à trouver un emploi. Ah, si seulement ils avaient pu cette fois-ci, à leur tour, m’accompagner dans la compréhension du fonctionnement de cette fichue machine, et si seulement ça avait pu leur apporter un salaire !
Comme le dit la sociologue Maud Simonet, « ce n’est pas le travail gratuit qui pose problème c’est son appropriation, son appropriation par des entreprises mais aussi son appropriation par un État néolibéral, qui peut utiliser les associations pour ça, en partie.»
Ce travail gratuit sur lequel repose en grande partie l’aide alimentaire a bien montré ses limites. Pour cause, à Montpellier, la première semaine du confinement, les bénéficiaires de l’aide alimentaire n’avaient plus rien à se mettre sous la dent si je puis dire. Les bénévoles qui portent cette aide alimentaire sont en majorité retraités, âgés, à risque et donc confinés !
Il a alors fallu repenser tout un fonctionnement. Pas facile quand on a 12 salariés au Secours Populaire pour tout le département.
Le préfet de l’Hérault a fait un appel à volontariat via France Bleu en joignant un numéro de téléphone ainsi qu’une adresse mail de la Direction Départementale de la Cohésion Sociale. J’ai essayé de contacter ce numéro et envoyé un mail à l’adresse, je n’ai eu aucun retour par ce biais-là. Pourtant, dans le même temps, je contactais mon réseau : on avait besoin d’aide en urgence au Secours Populaire pour distribuer des colis. La liste de mails envoyée à la DDCS s’est fait la malle entre cette dernière et les associations ; on m’avait pourtant dit qu’on était confinés, non ?
Le jour venu, mercredi 25 mars 2020, nous étions 6 bénévoles présents à la distribution du Secours Populaire dont 5 nouveaux. Pas simple la coordination quand nous sommes tous nouveaux et en grande majorité pas formés au travail social (un horloger, un maçon, un artiste peintre, un jeune en formation de travail social et moi). Et qui dit mauvaise coordination, dit distances non respectées. Nous n’avons pas de masques et pas de gants. Mais du gel hydro-alcoolique et des centaines de personnes à servir. 1600 personnes en tout ont été servies sur toutes les antennes du Secours Populaire de Montpellier durant la seconde semaine de confinement. Lorsqu’on parle – ici – de distribution alimentaire, on parle de personnes ayant un logement, déjà inscrites comme bénéficiaires de l’association, venant récupérer des colis de denrées sèches (pâtes, riz, couscous, huile, chocolat, farine, lait, etc).
Parallèlement, une autre grosse problématique est apparue aux yeux de tous avec cette crise sanitaire. En effet, 800 personnes vivant en bidonvilles et 1200 personnes vivant dans des squats ont été recensées à Montpellier. Depuis trois ans, l’association 2 choses Lune, qui travaille sur les bidonvilles, réclame à la mairie des points d’eau, de l’électricité, des toilettes et douches de chantier, sans les obtenir, sous prétexte que va avoir lieu un déménagement vers un « village de transition ». Trois ans plus tard… le déménagement n’a toujours pas eu lieu. Il y avait donc uniquement un point d’eau pour deux cents personnes dans ces bidonvilles. Dans le cadre d’une crise sanitaire où l’ordre donné numéro 1 est de se laver les mains, cela pose vraiment question.
Plusieurs associations ont uni leurs forces à Montpellier afin de répondre aux besoins des habitants des squats et bidonvilles, en distribuant des denrées alimentaires et des produits d’hygiène et en demandant, à nouveau, au service de la mairie d’installer des points d’eau. Ces associations sont le Secours Populaire, le Secours Catholique, La Cimade, la Ligue des Droits de l’Homme, Area, Lutopia et 2 choses Lune. Elles fonctionnent en grande partie grâce à des bénévoles. La préfecture a accordé un budget de 13 000 euros et la mairie a prêté un local pour organiser la préparation des colis. Cependant, les associations ont eu besoin de faire tourner une lettre demandant aux citoyens des prêts de camions pour permettre la livraison des colis. En livrant sur site ces populations, nous les protégeons elles-mêmes du Covid- 19, mais nous protégeons aussi tous les citoyens de Montpellier car cela évite que les personnes se déplacent. Ce que j’essaie de montrer là, c’est que tous ces bénévoles se mobilisent pour aider certes, mais que leur travail permet également d’éviter un drame humanitaire.
Ainsi, 2000 personnes ont bénéficié de cette action la deuxième semaine du confinement. La bénévole qui a participé à cette action m’explique que chaque jour ils ont dû réorganiser les choses, la disposition du lieu etc. « C’est des choses bêtes mais on n’y pense pas parce que c’est pas notre domaine la logistique. » explique-t-elle. Les denrées livrées étaient prévues pour deux semaines, il a donc fallu reprendre la préparation des colis la semaine du 6 avril.Vendredi 3 avril, les bénévoles préparant les colis déménageaient vers un autre lieu, plus pratique. L’action a repris le 6 avril, j’y étais le lendemain. Nous étions 22 bénévoles, nous avons préparé 540 colis adultes et plus de 100 colis enfants en moins de 4h. L’idée étant de faire 900 à 1000 colis par jour en une semaine afin de les distribuer à la fois aux personnes vivant dans des squats et bidonvilles mais aussi aux personnes bénéficiant de l’aide alimentaire en temps « normal » et étant inscrites dans les associations caritatives. Ils sont 4 bénévoles de la Ligue des Droits de l’Homme à coordonner toute l’action, l’intégralité de la logistique, gérer le partenariat et tout ce qui peut s’en suivre. L’une de ces personnes, celle avec qui nous sommes (les bénévoles) le plus en contact, révise, en parallèle, ses examens pour devenir avocate.
Outre ces distributions, des petits déjeuners sont distribués chaque jour aux personnes SDF. Le public SDF n’est pas le même que celui des distributions et nous nous assurons bien de là où ils vivent. S’ils habitent dans des squats ou bidonvilles nous ne servons pas afin de ne pas faire doublon. La première semaine du confinement 300 petits déjeuners étaient servis par jour. Les deux semaines qui ont suivi entre 150 et 200 petits déjeuners ont été servis par jour. Les petits déjeuners sont distribués par un Service d’Accueil et d’Orientation. Ce service est géré par une association. Des travailleurs sociaux salariés et des bénévoles travaillent chaque matin pour livrer ces petits déjeuners et encadrer le pôle hygiène (douche, lave linge, vestiaire d’urgence). J’y suis allée deux jours la deuxième semaine de confinement. Le premier jour nous étions une équipe de dix personnes pour le service des petits déjeuners (9 bénévoles / 1 travailleuse sociale salariée). Le deuxième jour, nous n’étions que des bénévoles sur le pôle petits déjeuners. Les associations n’ayant pas accès à des masques, une bénévole a passé ses après-midis, après avoir distribué les petits déjeuners, à coudre des masques en tissus pour que chaque bénévole/salarié puisse avoir au moins deux masques en tissus lavables.
Cet article n’est pas représentatif de toutes les actions qui se déroulent à Montpellier, il y a par exemple des repas chauds distribués le soir par l’Association Humanitaire de Montpellier aux personnes SDF. Le 1er avril, 137 repas ont été distribués (19 femmes, 110 hommes et 8 enfants). Cette association ne fonctionne qu’avec des bénévoles.
Il y a en France 5,5 millions de personnes qui ont recours à l’aide alimentaire, comme je le disais plus haut. Et en plus de ces personnes, 8 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire. L’alimentation est devenue une variable d’ajustement des ménages car c’est une dépense invisible. Personne ne peut savoir si votre ventre est plein, en revanche, on peut vous juger sur votre vêture, par exemple.
Cette crise donne à voir la réalité sociale d’une ville comme Montpellier. Et plus largement la réalité de l’aide alimentaire qui repose sur de bonnes volontés gratuites mais aussi fragiles. Heureusement de nombreuses personnes partout en France se sont mobilisées bénévolement pour remplacer les bonnes volontés âgées et pour faire un énorme travail à risque puisque exposé au Covid-19.
Mais quand Gérald Darmanin écrit « Je lance un grand appel à la solidarité nationale. Une plateforme de dons sera mise en ligne pour permettre à tous ceux qui le peuvent, particuliers ou entreprises, d’apporter leur contribution à l’effort de solidarité de la nation envers les plus touchés » et qu’en parallèle l’université m’envoie des liens de cagnottes pour aider les soignants j’ai soudain envie de tout arrêter, qu’ils arrêtent de se servir de mes valeurs de solidarité à leur guise.
Cette crise, pour le moment, accentue les inégalités. Mais parfois, sur mon vélo, au retour du travail, de l’aide (je ne sais plus comment l’appeler), je me surprends à rêver qu’elle nous permette d’imaginer une autre société plus collaborative, mieux organisée autour de la santé et du social. Et pourquoi pas un retour à l’Etat providence, le vrai ?
Quelques chiffres :
1er Bilan des actions effectuées pendant le confinement par le Secours populaire de l’Hérault datant du 1er avril 2020 :
117 tonnes de denrées alimentaires distribuées dans le département,
65 tonnes de produits divers (dont des kits d’hygiènes),
23 000 personnes ont reçu un colis d’urgence dans nos antennes de l’Hérault,
1 600 personnes sur nos antennes de Montpellier,
2 000 personnes sur la plateforme Humanitaire de Montpellier (squats et bidonvilles),
Près de 20 véhicules mobilisés pour assurer le transport des denrées,
Plus de 200 nouveaux bénévoles dans toutes les antennes du département.
Le reportage de France 3 Occitanie « Coronavirus : les ONG préparent des kits de survie pour les habitants des bidonvilles de Montpellier » peut être visionné en suivant ce lien.
Pour aller plus loin :
• Rapport de l’association ATD QUART MONDE, Se nourrir lorsqu’on est pauvre.
• Conférence de Mathieu Dalmais, ingénieur agronome travaillant sur une sécurité sociale alimentaire.
• Article d’Ingénieurs sans Frontières proposant une réflexion autour d’une sécurité sociale alimentaire.
• Documentaire « La part des autres » réalisé par le Civam.