Malheur à celui qui osa diriger vers le peuple la terreur : Jacques Ravenne (La chute. Les derniers jours de Robespierre)

Jacques Ravenne La Chute (détail couverture)

Révolution, pour changer l’ordre des choses et des hommes, pour faire émerger un monde meilleur, plus juste, où Alpha, Béta, Gamma, Delta et Epsilon vivraient en harmonie.

Révolution annoncée, dès novembre 2016 par Emmanuel Macron alors candidat l’élection présidentielle dans un essai avec ce titre comme promesse et dont le contenu mélangeait savamment programme pour la France et ambitions plus personnelles.

« Révolution »  mot prononcé régulièrement par ceux-là chagrinés, rêvant d’un monde passé en oubliant qu’il était lui aussi porteur de maux et d’attentes ou ceux-ci qui déboussolés, désenchantés ou désabusés par une classe dirigeante. Un mot qui devient significatif de désordre, de violence, pour dénoncer, faire tomber symboliquement quelques têtes ou retrouver une parole qui semble confisquée.

En ce début de XXIe siècle où les révolutions économiques, politiques et humaines annoncées déséquilibrent nos vies personnelles, professionnelles et sociales, il devient presque nécessaire de lire ou de relire quelques pages réelles ou imaginées de la Révolution française. Une plongée dans l’histoire pour nous aider à comprendre ce qui se joue actuellement dans l’espace public et dans la sphère privée, pour mettre en lumière ce qui distingue ou confond notre époque actuelle avec ce XVIIIe siècle où le peuple rêvait d’une république plus juste, plus équitable, une et indivisible. Dialogues, réflexions et actions à mener pour peut-être éviter que ces renversements et ces bouleversements désirés ou craints ne provoquent pas trop de chutes, que certains voudraient tout aussi mortelles que celles d’illustres personnages à l’instar de Robespierre ce 10 thermidor de l’an II (28 juillet 1794).

La chute, les derniers jours de Robespierre de Jacques Ravenne n’est pas tout à fait un roman, ni tout à fait un récit. C’est justement cette ambiguïté, ce savant mélange des genres qui attire et qui aspire le lecteur. Un livre qui permet aux uns que les cours d’histoire -parfois trop pointus voire ennuyeux ont fait fuir- de vivre non pas heure par heure mais lieu par lieu les trois derniers jours d’une politique de terreur sanglante et d’arrestations arbitraires qui vont provoquer la condamnation de Maximilien de Robespierre à être guillotiné place de la Révolution. Un ouvrage qui offre aux autres un voyage, littéraire, pour remonter le temps et se retrouver dans les rues de Paris. Une capitale où le peuple vit ou survit, se cherche ou se perd, où le lecteur,  en avançant  dans le roman, devient le témoin privilégié des dernières heures d’un régime à bout de souffle, dans lequel s’affrontent ceux qui conspirent et dénoncent pour sauver leur tête et ceux qui veulent sauver leur République.

Jacques Ravenne en se concentrant sur les trois derniers jours de la vie de l’Incorruptible et des principaux personnages qui l’accompagnent ou le conspuent, impose un rythme de lecture aux 270 pages de son roman. Tempo lent quand Robespierre déplie ses souvenirs, plus rapide voire saccadé quand le destin d’un pays et souvent d’individus se joue dans les sections du Louvre, des Tuileries, des Piques… et autres alcôves.

On éprouve de l’empathie pour le député Augustin Robespierre, surnommé Bonbon par ses amis, qui a toujours peur quand son illustre frère dit « je » dans un discours.

On accompagne l’Archange, Saint-Just qui « ne parle pas pour convaincre mais pour arracher des bribes de lumière à la vérité » et qui accompagnera son maître, son frère d’armes jusqu’à l’échafaud.

On se surprend à prendre plaisir à détester Antoine Quentin Fouquier de Tinville, accusateur public qui jouit de son autorité pour faire couler à flot le sang de toutes celles et de tous ceux qu’il accuse rapidement de trahison et dont les procès ne sont que parodies. Un homme qui assume l’aversion qu’il suscite chez la plupart des députés depuis qu’il a fait tomber la tête de Danton le 16 germinal an II (5 avril 1794) mais qui n’arrivera pas à sauver la sienne le 17 floréal (7 mai 1795) tout persuadé qu’il est de son innocence.

On découvre les manigances de Paul Barras, Tallien, Barère qui tentent de sauver leur peau à coup de trahisons.

On s’interroge sur les aspirations politiques de Jacques-Louis David, grand peintre de l’Histoire plus connu pour ses œuvres Le serment du Jeu de Paume, ou le Couronnement  que pour sa proximité avec Robespierre en tant que chef d’orchestre de la fête de l’Être suprême ou ordonnateur des fêtes révolutionnaires.

On recherche dans toutes les rues de Paris, dans les sections de la Fraternité, des Tuileries, dans les travées de la Montagne et de la Plaine, à l’Hôtel de Ville, à l’Assemblée Législative ou à la Convention, l’ombre de cet autre révolutionnaire, Joseph Fouché. Un Duc d’Otrante dont Stefan Zweig dira dans son essai biographique « Fouché » que c’est l’ombre de Robespierre qui un an et douze jours après sa chute l’a entrainé vers sa propre mise en accusation.

Et on respire, enfin, tout de même, dans l’atmosphère  sanglante de cette République naissante grâce à ces femmes inconnues, invisibles mais dont la présence va peser indéniablement. Elles s’appellent Éléonore et Babeth Duplay, filles du menuisier bailleur de la modeste chambre qu’occupera le « maître de la France » ;  Theresa  Cabarrus, fille d’un banquier contre-révolutionnaire, divorcée d’un aristocrate émigré et maîtresse de Tallien qu’elle protégera en préférant la mort à la trahison de l’amour qu’elle lui porte. Des femmes encore confinées dans un sombre recoin de l’Histoire de France et dont Jacques Ravenne rompt le silence dans lequel elles sont enfermées.

La chute, les derniers jours de Robespierre s’ouvre et se termine le 10 Thermidor. La boucle est bouclée sauf si elle se fait  Möbius pour permettre aux lecteurs d’approcher les ultimes instants d’un personnage singulier aux infinies facettes : Chat-tigre contesté, craint, luttant contre ses propres faiblesses ; Incorruptible respecté et visionnaire ; ou simple mystique.

Il y a six ans, lors du bicentenaire de la mort du marquis Donatien Aldonze François de Sade, J. Ravenne sans son acolyte É. Giacometti et bien loin de l’univers de leur commissaire Marcas, mettait en lumière les ombres de vie de Donatien (Les sept vies du marquis de Sade, éditions Fleuve et Lettres d’une vie, collection 10/18). Aujourd’hui à la lecture de cette autre chute, celle de Maximilien, on peut de nouveau se demander si c’est leur façon de penser qui les a fait sombrer ou celle des autres dressée contre eux par jalousie, orgueil ou tout simplement par peur !

Jacques Ravenne, La chute. Les derniers jours de Robespierre, éditions Perrin Plon, janvier 2020, 270 p., 19 € 90