December 4, 2014 (Fifty-Three Days, journaux américains, 47)

© Franck Gérard. Avec le soutien de l'Institut Français et de la ville de Nantes

LOS ANGELES /Twenty-first day

J’arrive à l’instant de North Figueroa Street via Roy Street. Sympa de descendre mais plus difficile de remonter la côte avec les courses que je suis allé faire à El Uno, Supermercado mexicain du coin ; le plus proche lorsque tu n’as que tes pieds. Une très belle lumière aujourd’hui. Je ferme les yeux, hier, pluie abondante. Je les ouvre, soleil à travers les persiennes ; décidément, cette ville est faite pour moi. Direction « Citadel outlets » ! Sur le chemin, je me laisse aller à faire quelques images de reflets de flaques ; je ne peux résister… Un latino et son camion bleu se gare derrière un supermarché. Il vient pour récupérer les cartons qui envahissent la plateforme arrière de son véhicule. Il accepte une photographie… Malheureusement, uniquement de son camion. Je prends tout de même l’image puisque je lui ai demandé ; sans lui et son chapeau étincelant ; je n’y vois plus d’âme ! Dans le métro, un téléphone sonne. Une énorme femme fouille dans son soutien-gorge et en sort son portable. On le met où on peut ! Je vais vers le terminus de la « Gold line », Atlantic. En passant à « Union Station », je vois un tournage. Je fais demi-tour à « Little Tokyo ». Impossible d’avoir accès au tournage, bien sûr, mais la beauté de cette gare me ravit toujours. Le « Catering » est en plein dans la gare. Ils mangent dans leurs costumes de figurants des années cinquante. Devant la gare, des voitures de la même époque attendent. Non loin, les Sheriffs de Los Angeles ont l’œil. Je revois le cireur de chaussures de la gare. Il me touche ; il faudrait que j’aille vers lui. Et les fauteuils, dans lesquels il patine patiemment les chaussures, sont du même ordre que l’architecture environnante. Dommage, mes chaussures sont en daim. Je reprends « la Gold » ; obligé de payer à nouveau avec mon « Tap » sur la borne car « the transfer » n’est valable que si tu prends une correspondance ; j’ai bien fait car les sheriffs me contrôlent. Atlantic Station puis Atlantic Blvd où les marchands de voitures, les Fast-food, les échoppes en tous genres sont collés les uns aux autres. C’est autre chose que « Our lady of Lourdes » aperçu, tout à l’heure, sur le trajet.

Mais j’avale les miles pour arriver sur Telegraph Road parallèle à la Highway five. La Citadelle est devant moi ! Avec son ruban rouge géant, sa boule de noël énorme, son architecture de péplum. C’est tout de même étonnant ce lien à la religion ici lorsque tu penses à l’histoire des marchands du temple. Ne soyons pas naïf, on sait comment le monde marche. Et d’ailleurs, j’y participe ; tu m’étonnes : cinq Jeans Levis à 120 € ; je ne vais pas me gêner vu les prix pratiqués en France. Sinon cela n’a aucun intérêt ! A part, peut-être, si vous voulez voir le plus grand sapin de Noël du monde. En tous cas, jamais je n’en ai vu un aussi grand ; 40 mètres, 50, je ne sais pas. C’est écœurant. Je prends le bus, le 62. C’est long ; la fin du jour approche. Approche tellement que c’est la nuit, soudain… La ligne passe dans un quartier en bas de Downtown ; j’apprends plus tard qu’il se nomme le « Skid Row ». Cela fait deux jours, presque, que je vois la vie en rose, si je puis dire ; deux jours que je n’ai pas vraiment vu de Homeles : La Jolla, « Citadel Outlets »… Des milliers de personnes en majorité des Afro-Américains, des rues avec des tentes, des abris précaires, sur la cinquième et toutes les rues perpendiculaires. Je ne crois pas que cela puisse être réel ; c’est juste une sombre, très sombre hallucination. Je me dis que je vais y aller demain et puis, samedi, Beverly Hills, pour me faire un choc des civilisations. Un peu bourgeois et facile comme concept mais je manque d’énergie pour me faire 15 heures minimum aller-retour vers la Vallée de la Mort. Pourtant le désert me manque toujours ; il est entré dans mon corps, l’a intégré ; pour toujours ! Je descends sur la Septième en plein Downtown. Lorsque tu n’as que tes jambes, tu atterris forcément là. C’est un peu le Châtelet (Géant) du coin ; du moins, c’est là que se font les connexions de « pauvres ». Dans le bus 62, un beau mélange entre asiatiques et latinos ! Je suis le seul « visage pâle ». Je vais dans un « Liquor » sur Broadway pour acheter une bière, histoire de boire un coup en écrivant. Le vendeur a un flingue. Je lui fais remarquer. «It’s my wife, my babe, you know ». Suit une conversation sur les armes en France, sur le deuxième amendement. Et après : « I have three babes more » et les photos de ses flingues et son pote qui shoote avec dans le désert. Tout y passe ! Il me file sa carte, me disant qu’il faut que je vienne essayer « ses bébés » ! Je tourne un peu en rond. Encore un tournage. C’est très beau ! Ils ne lésinent pas sur les lumières. Un côté jour, un côté nuit, dans la rue. Juste après, ces chiens. Je n’en peux plus des chiens. En particulier, tous ces pitbulls. Qu’ils soient aux côtés de leurs maîtres ou à te sauter dessus derrière un grillage dans la rue. Je rentre. Avant de plonger dans le métro, je shoote toutes ces lucioles dans la nuit. Que puis-je dire d’autre à part : ce qui est si monstrueux est tellement beau !

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