Oui mais ça, c’était avent (2) : Dr Seuss

Selon Marilyn Manson, l’œuvre du Dr. Seuss est aussi importante que la Bible – et c’est sans doute tout ce qu’il y a de plus vrai.

Peu connu en France, si ce n’est par l’intermédiaire des nombreuses adaptations cinématographiques qu’il a suscitées, l’auteur a été et est encore un véritable phénomène aux États-Unis – éditorial bien sûr, puisque son succès a été fracassant dès ses débuts dans les années 1950, mais aussi culturel et intellectuel, ses livres ayant révolutionné l’apprentissage de la lecture. En utilisant un nombre limité de mots dans ses histoires, Seuss fait preuve d’une étonnante inventivité poétique et rythmique, fort difficile à traduire avec fidélité. Le résultat se situe à mille lieues du fade et morose manuel d’apprentissage. Ou alors, ce serait un petit précis de désordre et de chaos, une pédagogie du carambolage et de la stupeur.

Les trois livres que publie le Nouvel Attila cet automne témoignent de cette fantaisie sans filtre, graphiquement folle, à la narration chantante et charmante à tous les degrés qu’on puisse imaginer. Le Chat Chapeauté (1957) surgit dans une maison où deux enfants s’ennuient : grâce aux catastrophes qu’il cause, la journée passera beaucoup plus vite – et qu’importe ce qu’en pense le monde des adultes, de toute façon il ne s’aperçoit de rien. Comment le Grinch a volé Noël (1957) est une fable dickensienne sous acide, impertinente et morale à la fois – le consumérisme (la seule et unique raison d’être grincheux) en prend pour son grade au passage. Un Poisson deux poissons un poisson rouge un poisson bleu (1960) est une stupéfiante balade dans le monde de l’imaginaire : le jeune lecteur est censé y faire l’apprentissage des chiffres et des distinctions – il s’instruit surtout à faire du monde un terrain de jeu propice à toutes les digressions poétiques, à tous les étonnements et à toute l’inventivité possible. Dans l’univers du Dr. Seuss, la folie n’est jamais loin, mais elle est l’antidote à la déraison généralisée de notre univers. C’est une démence absurde et surréaliste, situationniste et carrollienne, salvatrice et insolente. On peut la croire destinée surtout aux petits, mais sur ce point il n’est jamais trop tard pour apprendre.

Dr. Seuss, Le chat chapeauté – Comment le Grinch a volé Noël – Un Poisson deux poissons un poisson rouge un poisson bleu
Traduit de l’anglais (américain) par Stephen Carrière – 12 € l’un