« Contrecoups, Malik Oussekine » : tombé pour la France

© Jeanne Puchol et Laurent-Frédéric Bollée, Contrecoups, Malik Oussekine / Casterman

En 1986, le parti de Jean-Marie Le Pen obtient 35 sièges à l’Assemblée et la jeunesse emmerde encore le Front National. Au plus fort de la première cohabitation, le président François Mitterrand refuse de signer plusieurs ordonnances ministérielles (sur la flexibilité du temps de travail notamment) et s’oppose publiquement à son premier ministre Jacques Chirac sur la loi Devaquet. Cette année-là décèdent Simone de Beauvoir, Coluche, Thierry Sabine et Daniel Balavoine. Et Malik Oussekine.

© Jeanne Puchol et Laurent-Frédéric Bollée, Contrecoups, Malik Oussekine / Casterman
© Jeanne Puchol et Laurent-Frédéric Bollée, Contrecoups, Malik Oussekine / Casterman

6 décembre 1986. En marge des manifestations anti-Devaquet – du nom du ministre portant la réforme prévoyant notamment de sélectionner les étudiants à l’entrée des universités et de mettre celles-ci en concurrence –, un jeune étudiant de 22 ans trouve la mort au 20 de la rue Monsieur Le Prince à Paris, tombé sous les coups des pelotons voltigeurs motoportés remis en service par Robert Pandraud, ministre délégué à la Sécurité auprès du ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua. Né en France, Malik Oussekine est comme nombre de jeunes de son âge encore indécis sur son avenir. Quelques mois après sa mort, la presse a révélé qu’il avait fait des démarches pour devenir prêtre et qui sait ce qu’il serait devenu s’il avait vécu ? C’est la question majeure posée en introduction de Contrecoups. Malik Oussekine serait aujourd’hui dans sa cinquante-deuxième année, serait-il, comme se le demandent Jeanne Puchol et Laurent-Frédéric Bollée, un cadre commercial flambeur, un ecclésiastique chrétien ou serait-il parti en Algérie, le pays d’origine de ses parents ? On ne le saura jamais. Il ne le saura jamais.

© Jeanne Puchol et Laurent-Frédéric Bollée, Contrecoups, Malik Oussekine / Casterman
© Jeanne Puchol et Laurent-Frédéric Bollée, Contrecoups, Malik Oussekine / Casterman

Avec Contrecoups, roman graphique en noir & blanc, presque un docu-fiction, Jeanne Puchol et Laurent-Frédéric Bollée reviennent sur la mort tragique de Malik Oussekine. Pour ne pas oublier, tout en brossant un portrait fidèle de la France de la fin des années 80, passée par le prisme d’un événement dramatique et révélateur d’une époque dont les effets se font encore sentir aujourd’hui.

La vérité a éclaté (…) mais la cicatrice reste béante. (…) Car personne, et surtout pas Malik Oussekine, ne s’en est sorti indemne. (LF Bollée)

Plonger dans Contrecoups, c’est se remettre en mémoire des pans entiers d’une histoire que l’on a un peu trop vite oubliée et qui résonne encore douloureusement. C’est aussi se rappeler un passé dont (volontairement ou non) on n’a pas tiré tous les enseignements : la montée du nationalisme, du racisme, de l’antisémitisme ; les violences policières (encore très récemment, de Sivens aux manifestations anti Loi Travail) ; les outrances verbales condamnables des politiques (« Ce n’était pas le héros des étudiants français qu’on a dit », dixit Robert Pandraud) ou l’exubérance abjecte des éditorialistes (le «Sida Mental» de Louis Pauwels dans Le Figaro n’est pas très éloigné du «cancer de la société française» de Laurent Wauquiez) ; la rhétorique haineuse et populiste du FN (« Des Français comme les Oussekine, on peut s’en passer ») ; les dérives sécuritaires ; l’absence de réaction des intellectuels et des médias. Ou au contraire le parti-pris aveugle de ces derniers.

© Jeanne Puchol et Laurent-Frédéric Bollée, Contrecoups, Malik Oussekine / Casterman
© Jeanne Puchol et Laurent-Frédéric Bollée, Contrecoups, Malik Oussekine / Casterman
© Jeanne Puchol et Laurent-Frédéric Bollée, Contrecoups, Malik Oussekine / Casterman
© Jeanne Puchol et Laurent-Frédéric Bollée, Contrecoups, Malik Oussekine / Casterman

Jeanne Puchol et Laurent-Frédéric Bollée racontent l’avant, le pendant et l’après. Ils interrogent l’avenir et l’onde de choc créée par ce qui devint «l’affaire Malik Oussekine». Ils relatent comment tout est arrivé, comment la justice a finalement été rendue malgré les tentatives d’étouffement et d’atténuation des responsabilités. Le livre frappe par sa précision historiographique, soutenu par une ambiance graphique réaliste inspirée, avec ce noir et blanc profond, tout en jeu d’ombres et en contrejours. Il marque par sa construction précise et sa narration chorale, mêlant personnages inventés et faits réels. Il émeut par son acuité dès lors qu’on met en miroir la France de 1986 et celle de 2016. Depuis, et à maintes reprises malheureusement, on a de nouveau brandi des pancartes disant « plus jamais ça ». Dès le lendemain ou presque, la jeunesse est redescendue dans la rue. Les jours qui ont suivi, des manifestations silencieuses ont été organisées à la mémoire de Malik Oussekine dans 36 villes de France. Le 10 décembre 1986, la manifestation a rassemblé à Paris 600 000 personnes selon les organisateurs. 126 000 selon le ministère de l’Intérieur… Le Peloton des Voltigeurs Motoportés a été dissout dans la foulée.

Contrecoups parle à tous, à ceux qui «ont vécu» cette période (de près ou de loin), à ceux qui s’en souviennent (directement concernés ou non), car le livre de Jeanne Puchol et Laurent-Frédéric Bollée embrasse une France déjà plurielle quoi qu’on en dise. Olivier, Estelle, Martin, Oscar, Jean-Luc, Alain, Lise, Hassin et Francky sont les témoins fictionnels d’une histoire vraie. Une histoire qu’il ne faut pas oublier.

Jeanne Puchol et Laurent-Frédéric Bollée, Contrecoups, Malik Oussekine, 208 p. N&B, Casterman, collection Écritures, 18 € 95