Coulisses de la rédaction (14) et Abécédaire nul (Dominique Bry)

© Dominique Bry

Les coulisses de la rédaction, 14. Cette semaine, on est tous passé en 2016, et Diacritik a sacrifié aux traditionnels best-of. Et dans nos colonnes, on a pu lire Joyce Carol Oates, Marc-Antoine Mathieu, Gary Shteyngart, Michel Foucault, Véronique Pittolo, Noemi Lefebvre, Fred le Chevalier (en 2015). Olivier Steiner a repris son journal dans le journal dès le 1er janvier, il y eut aussi Jana Černá et les héros ordinaires de Lip, on est passé en cuisine avec Bret Easton Ellis et Yorick a donné la solution de son apologue pour le capital.

Les coulisses de la rédaction 14, donc, et on ouvre l’année avec un des trois co-rédac chefs, Dominique Bry :

A comme ABCD NULS
Seule bible digne de ce nom pour qui veut entamer un abécédaire. Indépassable, culte, fin et décalé, suffisamment grossier pour que les bas du front qui vomissent l’esprit Canal trouvent ça bobo voire de gauche, après Objectif Nul, l’ABCD NULS a été pour moi une sorte d’acmé télévisuelle. En plein milieu, beaucoup trop tôt, Bruno s’en est allé. Alain, Chantal et Dominique ont arrêté et fait Histoire(s) de la télévision, Les Nuls L’émission et La cité de la peur. Depuis, rien n’est vraiment comme avant.

Avant {adv.} Expression du mouvement, du progrès, de l’antériorité.

Exemple : « Dis-donc Sancho, ici, y avait pas un moulin avant ». (Don Quichotte)

B comme Bande dessinée
Passion de jeunesse. Je dis souvent en plaisantant que j’ai appris à lire avec des BD, c’est en partie vrai. J’ai aussi appris des rudiments d’histoire de France, étendu mon vocabulaire – la légende familiale veut que j’ai énormément impressionné une vieille tante institutrice du côté de mon père au scrabble grâce à un mot pêché dans Astérix , façonné mon goût pour les images tout sauf dérisoires, exercé mon œil critique et enrichi ma culture générale… Je pourrais citer chronologiquement les auteurs, les séries, les livres, les personnages qui ont marqué ma vie de lecteur puis de critique. Mais la liste serait trop longue pour tenir ici in extenso. Je me contenterais de citer les premiers rayonnages de ma bibliothèque de chevet : Spirou par Franquin et Tome et Janry, XIII par Vance et Van Hamme, Achille Talon par Greg, Largo Winch par Francq et Van Hamme, Le Scorpion par Marini et Desberg, Soda, Gil Jourdan, Astérix par Goscinny et Uderzo (et Conrad et Ferri), Tintin, Bruno Brazil, Clifton, Cubitus, Robin Dubois, Blake et Mortimer, Lanfeust de Troy, Tardi, Bilal, Hugo Pratt, Yann et Conrad, Philippe Berthet, Xavier Dorison, Fabien Nury, Fabien Vehlmann, Schwartz, Jijé, Lambil, Cauvin, Fred, Maëster, Alexis, Cabu, Wolinski, Luz, Jul, Tignous… ad lib.

C comme évidence

J comme Jeux de mots
Mal nécessaire, malédiction, prise de position. Au choix. Élevé dans la culture des Goscinny, Greg, Jean Cézard, Franquin, je nourris une passion de longue date pour les mots et leurs jeux. Pas contradictoire pour deux sous, ma propension maladive à user et abuser des calembours m’agace autant qu’elle me ravit. C’est tout dire. Et rien ne m’amuse autant que de d’imaginer la consternation dans le regard des lecteurs qui découvrent mes kakemphatons volontaires ou mes contrepets assumés. Pierre Desproges disait en citant Hugo que les calembours sont des pets de l’esprit. J’ose les contredire tous les deux : c’est inexact. Ce sont des vents d’anges tardifs.

D comme Dominique (et Alain, Bruno et Chantal, voir plus haut)

Mon prénom. Moyennement assumé quand Sœur Sourire était encore dans toutes les mémoires. Depuis, ça va mieux, merci.
D comme Desproges aussi.

I comme influences
Nombreuses, beaucoup trop nombreuses. Filmiques, littéraires, télévisuelles, musicales, bédéphiles… J’ai eu (et j’ai encore) souvent beaucoup de mal à les laisser de côté, certaines sont indépassables. L’âge aidant, j’ai réussi à me débarrasser de quelques-unes et à m’accommoder des autres.

M comme Mémoire
Une de mes nombreuses obsessions. Les livres sont la mémoire du monde. Ceux qui disent le contraire n’ont jamais vraiment lu. Ou font une brillante carrière politique.

N Seconde évidence

P comme Pivot
The Pivot’s Questionnaire en actor’s studio dans le texte. Un exercice fait et refait, préparé pour le jour hypothétique où je deviendrais sinon assez célèbre du moins éphémèrement intéressant pour qu’on me le serve :

  1. Votre mot préféré ?

Triomphe. Car il ne rime avec rien.

  1. Le mot que vous détestez ?

Rentabilité

  1. Votre drogue favorite ?

Les mots

  1. Le son, le bruit que vous aimez ?

Les premières mesures de « Bad » de U2

  1. Le son, le bruit que vous détestez ?

Celui du mensonge

  1. Votre juron, gros mot ou blasphème favori ?

Pisse-vinaigre

  1. Homme ou femme pour illustrer un nouveau billet de banque ?

Bernard Madoff

  1. Le métier que vous n’auriez pas aimé faire ?

Gardien de zoo

  1. La plante, l’arbre ou l’animal dans lequel vous aimeriez être réincarné ?

Le dodo (disparu de la surface de la terre il y a bien longtemps, il y a gagné en tranquillité)

  1. Si Dieu existe, qu’aimeriez-vous, après votre mort, l’entendre vous dire ?

« On ne va pas vers le beau temps »

R comme rire
La question est éternelle et restera à jamais sans réponse fédératrice, et encore moins sans solution absolue : « peut-on rire de tout ? » Rayez la mention inutile — Oui – Non – Mais pas avec n’importe qui – Pour quoi faire ?
Pourquoi ? Parce que « le rire est le propre de l’homme » (Rabelais), parce que « le rire châtie certains défauts à peu près comme la maladie châtie certains excès » (Bergson), parce que « le rire est satanique, il est donc profondément humain » (Charles Baudelaire), parce que « rire de mourir et mourir de rire » (Jacques Prévert), parce que « le rire n’est jamais gratuit : l’homme donne à pleurer mais prête à rire » (Pierre Desproges), parce que « rire vaut un steak » (Sébastien Charal)…
Parce que. Point.
Pour mieux vivre au quotidien, brocarder l’actualité, s’amuser avec les lettres et jouer avec les mots, pour ne pas subir la mauvaise humeur des uns et pour apprécier l’humour des autres, aimer l’ironie, l’impertinence, le burlesque, l’humour noir, parler de tout avec (auto)dérision en passant du rire aux larmes, avec le rire comme seule arme. On n’a jamais vu des innocents, dessinateurs en conférence de rédaction, gens comme vous et moi, venus assister à un concert ou en train de boire un verre en terrasse mourir d’un éclat de rire.

W comme « Wqt » (prononcez « Waqueteu »)
Le Wqt est un animal aquatique nocturne partageant son habitat naturel avec le Ffifffu.

Z comme Zeugma
Cet abécédaire est fini, je vais pouvoir reprendre le cours de ma vie et un café.